La loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024 procède donc à une mise à jour de l’article 34 de la Constitution. Ce dernier est relatif à la délimitation du domaine de la Loi. Cela est bien loin de l’élan initial qui aspirait à la création d’un article nouveau au sein de la Constitution. Mais est-ce à dire que c’est un acte manqué ?
Il y a deux procédures de révision de la Constitution celle de l’article 11 [1] et celle de l’article 89 [2].
L’utilisation de l’article 11 de la Constitution implique, sans solliciter l’accord du Parlement, de soumettre le projet à un référendum, ce qui rend le résultat un peu plus incertain surtout lorsque l’enjeu est social et touche à un domaine sollicitant les valeurs et croyances des électeurs. Sur vingt-cinq révisions constitutionnelles [3], il semble que cette option n’a été utilisée que deux fois, en 1962 afin de permettre l’élection du président de la République au suffrage universel direct ; puis en 1969 pour une réforme du Sénat et pour la régionalisation. La première a été fructueuse [4] alors que la seconde a abouti à un échec pour le Général De Gaulle.
S’agissant du processus de révision de la Constitution par la mise en œuvre des dispositions de l’article 89, le projet de révision (c’est-à-dire que l’initiative est prise par le président de la République sur proposition du 1ᵉʳ ministre) ou la proposition de révision (c’est-à-dire que l’initiative est parlementaire) est soumis aux deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) qui doivent voter le texte en des termes identiques.
S’il s’agit d’une proposition de révision, à l’issue du vote du texte en termes identiques par les deux chambres, la proposition doit être approuvée par référendum. En revanche, s’il s’agit d’un projet de révision ; à l’issue du passage au vote auprès des deux chambres, le projet est approuvé soit par référendum, soit par la majorité des 3/5ᵉ des suffrages exprimés du Parlement réunie en Congrès. En l’espèce, c’est la procédure de l’article 89 de la Constitution qui a été mise en œuvre :
- Le 24 novembre 2022 : L’Assemblée nationale adopte une proposition de loi constitutionnelle visant à la création d’un article 66-2 au sein de la Constitution
- Le 1ᵉʳ février 2023 : Le Sénat adopte une proposition de loi optant pour une modification de l’article 34 de la Constitution
- Le 8 mars 2023 : Le président de la République exprime son attachement à la constitutionnalisation de l’IVG
- Le 12 décembre 2023 : Conseil des ministres au cours duquel le projet de révision est présenté au Président puis déposé au Parlement
- Le 24 janvier 2024 : Discussion du projet par les députés
- Le 30 janvier 2024 : Adoption du projet par les députés
- Le 28 février 2024 : Discussion et adoption par les sénateurs
- Le 29 février 2024 : Convocation du Congrès
- Le 4 mars 2024 : Réunion et vote du Congrès soit 780 voix pour le projet et 72 voix contre
- Le 8 mars 2024 : Promulgation de la loi constitutionnelle relative à la liberté de recourir à l’IVG
- Le 9 mars 2024 : Publication de ladite loi au JORF.
L’élan initial de constitutionnalisation de l’accès à l’IVG qui visait la création d’un nouvel article 66-2 au sein de la Constitution souhaitait l’exprimer en ses termes :
« Il ne peut être porté atteinte aux droits à l’IVG et à la contraception. La loi garantit l’accès libre et effectif à ces droits ».
A l’issue de 18 mois de débats politiques, la loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024, relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, composée d’un article unique, consacre le fait que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». S’agit-il là d’une constitutionnalisation du droit d’accès à l’IVG ?
En tout état de cause, il est manifeste que la Loi constitutionnelle du 8 mars 2024 procède à une mise à jour de la liste de l’article 34 de la Constitution [5].
Dès lors, il a consacré la position promue par le Sénat qui le 1ᵉʳ février 2024, à contrecourant de la posture de l’Assemblée nationale [6], préférait une intervention plus modérée. Pour bref rappel, l’article 34 de la Constitution, délimite le domaine de loi ce qui signifie que les domaines listés dans cette disposition ne peuvent faire l’objet que d’une intervention législative. Ainsi, sauf mise en œuvre de l’article 38 [7] de la Constitution, le gouvernement ne peut par un décret prendre des mesures dans le domaine de compétence de la loi [8] et vice-versa.
C’est en ce sens que la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 a au moins cinq mérites et au moins un bémol :
- Mérite n°1 : Introduction au sein de la Constitution de la locution « interruption volontaire de grossesse ».
- Mérite n°2 : Consacre comme « liberté garantie à la femme » la faculté d’avoir recours à l’IVG.
- Mérite n°3 : Consécration d’une pratique du Législateur Républicain qui consiste à intervenir sur ladite question de l’IVG uniquement (sauf mise en œuvre de l’article 38) par voie législative. En effet, sous la Vᵉ République, la question de l’IVG a été essentiellement traitée par voie législative. 6 lois ordinaires ont été construites pas à pas le droit d’accès à l’IVG et à la contraception [9]. Dès lors, la loi constitutionnelle constitutionnalise le fait que la question de l’IVG est un domaine de la loi.
- Mérite n°4 : La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 complète la liste de l’article 34 de la Constitution dans le prolongement et en cohérence avec le §3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Désormais, il est clairement précisé que parmi les droits garantis à la femme par la loi, compte les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’IVG.
- Mérite n°5 : Met à la charge du Législateur (responsabilité qu’il assume déjà en pratique du fait des 6 lois produites sur la question) la détermination des conditions d’exercice de la liberté garantie à la femme. Ainsi, d’une certaine manière est consacré du même coup un objectif de valeur constitutionnelle : la détermination des conditions d’accès à l’IVG. En effet : « Les objectifs de valeur constitutionnelle ne sont pas des droits mais des buts assignés par la Constitution au législateur, qui constituent des conditions objectives d’effectivité des droits fondamentaux constitutionnels. Ils découlent des droits et libertés et servent à en déterminer la portée exacte. Ils servent moins à les limiter qu’à les protéger. La « clef d’interprétation » des objectifs réside ainsi dans l’effectivité des droits et libertés » [10].
- Bémol n°1 : la loi est modifiable voire abrogeable par une autre loi selon la sensibilité politique majoritaire au Parlement. Mais pour l’heure, en France, les courants opposés à l’IVG sont minoritaires.
- Bémol n°2 : En pratique, il y a des inégalités territoriales qui rendent cette liberté garantie à la femme plus ou moins difficile d’accès (voire inaccessible) selon où l’intéressée se trouve sur le territoire national et selon son niveau social.
En tout état de cause, un première ligne de garde de cette liberté, outre la vigilance de chaque citoyen, c’est le Juge constitutionnel qui veillait déjà (bien avant ladite loi constitutionnelle) a priori sur cette liberté et, avec la QPC, pourra y veiller a posteriori. Les autorités juridictionnelles qu’elles soient constitutionnelles (juge constitutionnel), judiciaires (juge judiciaire) ou administratives (juge administratif) sont au final gardiennes de la liberté individuelle et assure le respect de ce principe.