Bien que cela puisse paraitre évident, il faut rappeler que le parcours particulier du demandeur d’asile devant les juridictions administratives françaises avant de détailler la confusion qu’opère un tel amendement dans les autorités chargées de délivrer les décisions.
I. Le parcours judiciaire du demandeur d’asile.
Replaçons-nous dans le contexte d’un demandeur d’asile qui quitte son pays en urgence en raison des persécutions dont il fait l’objet (appartenance à une religion ou encore suite à des idées politiques particulières). Deux éléments vont entrer en ligne de compte : l’état d’esprit du demandeur d’asile lorsqu’il dépose sa demande mais également les preuves qu’il aura pu collecter avant son départ.
La procédure administrative concernant les étrangers obéit à un régime très dérogatoire puisque ce ne sont pas des magistrats indépendants qui seront chargés de juger un demandeur d’asile en « première instance ». Aussi, le demandeur devra faire face aux nécessités qu’implique un contentieux très particulier et devra se laisser juger par les Officiers de l’OFPRA.
Or, comme bien souvent, l’OFPRA a tendance à débouter les demandeurs d’asile aux motifs que ceux-ci ne disposent pas d’éléments de preuve suffisants. Un arrêt récent du Conseil d’Etat pourra toutefois édulcorer l’appréciation des Officiers puisque le Conseil a appliqué, par un arrêt du 10 avril 2015, pour la première fois « la position de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), adoptée dans des arrêts rendus en septembre 2013, concernant l’évaluation des documents médicaux dans les procédures d’asile. En l’espèce, le Conseil d’Etat a annulé la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour erreur de droit faute pour celle-ci d’avoir dûment tenu compte d’un certificat médical présenté par le demandeur d’asile. En effet, ce certificat corroborait le récit de l’intéressé concernant les risques qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine » [1]
On voit en conséquence une obligation qui pèse sur les Officiers également – lesquels ne sont pas déliés de cette jurisprudence – d’apprécier sur le fond les éléments de preuve qui leurs sont soumis, notamment les certificats médicaux. Par ailleurs, il faut noter que les étrangers ont parfois fui une situation excessivement complexe laissant derrière eux toute leur famille mais également toute les preuves… Cette jurisprudence est en conséquence la bienvenue.
Dans l’hypothèse où la décision de l’OFPRA entend être contestée par l’intéressé, celui-ci va former un recours devant la Cour National du Droit d’Asile (CNDA) laquelle est composée de magistrats indépendants et professionnels ayant une compétence en droit des étrangers et en droit administratif. Le demandeur d’asile, par ailleurs, quitte une situation traumatique (persécutions) pour se retrouver devant ses juges ce qui est une autre situation traumatique dans l’hypothèse où souvent, le sentiment développé par les étrangers accompagnés est qu’ils ont commis un délit ou un crime grave alors qui se sont contentés de fuir la mort qui les pourchassait dans leur pays.
II. L’amendement institue la confusion de deux éléments
La commission des lois du Sénat a substantiellement amendé le projet de loi relatif à la réforme d’asile après l’avoir fait largement retardé. Le Sénat introduit dans le projet de loi des dispositions plus contraignantes pour les demandeurs qui se voient définitivement refuser l’asile. Ainsi, un amendement prévoit que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, éventuellement après intervention de la CNDA, vaut obligation de quitter le territoire français (article 14).
Cette logique s’inscrit bien évidemment dans une démarche plus répressive vis-à-vis des étrangers en procédant à leur expulsion dès que possible. Or, il s’agit là de deux domaines différents. La décision de l’OFPRA porte sur une question de fond (la demande d’asile est bien ou mal fondée et sur des éléments tangibles ou non). L’obligation de quitter le territoire correspond à une décision administrative. Comme le rappelle Benjamin Brame :
« Au sein de cette décision, un premier article informe l’étranger que sa demande de titre de séjour est refusée. Un deuxième article précise quant à lui à l’intéressé qu’il doit quitter le territoire français dans un délai d’un mois ou sans délai. Enfin, un troisième article indique le pays dans lequel l’étranger sera renvoyé ».
D’ailleurs, si le bien fondé d’une décision de l’OFPRA se conteste dans le cadre de la procédure d’asile devant la CNDA, la décision de quitter le territoire se conteste quant à elle devant le Tribunal administratif. Il apparait donc complexe de destituer les autorités préfectorales du pouvoir de délivrer une obligation de quitter le territoire et de permettre à une décision qui porte sur le bien fondé de statuer également sur l’exécution. A défaut, comment contester l’exécution et non le bien fondé ? Devant quelle juridiction ?
Plutôt que de faciliter les choses, cette procédure introduit une insécurité juridique et une facilitation de l’expulsion des réfugiés politiques alors même que ces derniers sont parfois dans un état d’esprit de crainte, ce qu’on ne peut leur reprocher compte tenu des motifs pour lesquels ils ont quitté leur pays.
Discussions en cours :
bonjour
si aujourd’hui je me suis rapproché des métiers du droit, j’ai eu à travailler à l’échelon préfectoral et je voudrais vous livrer ceci :
que devez vous penser lorsque vous voyez TOUS LES MATINS aux abords d’une préfecture des "futurs réfugiés" qui apprennent par coeur le discours qu’ils viendront vous servir une heure plus tard au guichet ?
Les effets dommageables de ces comportements mafieux (dans le sens où les "professeurs d’asile politique " sont aussi des passeurs) ne peuvent que porter atteinte à la vraie nature du droit d’asile et pousser à la réaction
Et quand au surplus l’étranger finira par s’évanouir dans la nature pour resurgir des années plus tard bardé d’attestations génératrices de droits alors oui malheureusement la représentation nationale ne peut plus que durcir le ton plus ou moins adroitement.
Merci pour votre article cher confrère.
Et merci à vous pour la citation confraternelle.
Benjamin Brame
Avocat Contentieux publics & Droit des étrangers
La Cour National du Droit d’Asile n’est-elle pas une juridiction administrative ? Qu’y a-t-il de choquant dans le fait qu’une décision sur le fond ait des conséquences administratives ?
J’avais entendu dire qu’il s’agissait de raccourcir les délais d’examen des dossiers. La menace d’une sanction n’a-t-elle pas l’intérêt de décourager les demandes purement dilatoires ?