Dans un arrêt du 18 octobre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a autorisé une association de protection de l’enfance à saisir la justice d’une demande tendant à contraindre les fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès des utilisateurs mineurs à un site pornographique et ce, sans avoir engagé au préalable une action en justice contre l’auteur, l’hébergeur ou encore l’éditeur des contenus à caractère pornographique.
La Haute juridiction a rendu sa décision au visa de deux articles :
- l’article 227-24 du Code pénal qui interdit la diffusion sur internet d’un message à caractère pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ;
- l’article 6-I-8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique qui offre au juge la possibilité d’imposer en urgence aux hébergeurs ou fournisseurs de prendre toute mesure propre à faire cesser ou prévenir un dommage causé par le contenu d’un service de communication en ligne.
La cour retient notamment que l’article 6-1-8 de la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique précité
« ne crée par de hiérarchie entre l’action en justice menée contre l’hébergeur de sites pornographiques et l’action en justice menée contre le fournisseur d’accès internet ».
À cet effet, l’association de protection de l’enfance ne devait pas non plus démontrer qu’il lui était « impossible d’engager une procédure contre ces éditeurs, auteurs ou hébergeurs de sites pornographiques ».
La décision infirme celle rendue par la Cour d’appel de Paris en mai 2022 qui avait débouté les associations « La voix de l’Enfant » et « E-Enfance » de leur demande de blocage de sites pornographiques qui ne vérifiaient pas l’âge de leurs utilisateurs.
Les deux associations avaient assigné en référé les principaux fournisseurs d’accès à internet et avaient demandé le blocage de neufs sites pornographiques : Pornhub, MrSexe, Iciporno, Xnxx, Xvideos, YouPorn, Redtube, Tukif et xHamster. L’assignation était fondée sur la loi du 30 juillet 2020 qui obligeait les éditeurs des sites à vérifier l’âge des utilisateurs afin d’empêcher qu’un mineur puisse accéder à ces contenus.
Elle retenait comme motif l’absence d’assignation en premier lieu des responsables des sites. En effet, les associations avaient saisi le juge des référés sans avoir cherché en premier lieu à mettre en cause les éditeurs des sites pornographiques ou leurs hébergeurs.
Cette décision de la Cour de cassation intervient le lendemain de l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN). L’une des dispositions de ce projet de loi étant de donner la possibilité à une autorité administrative de bloquer tout site à caractère pornographique qui n’empêche pas les mineurs d’accéder à leur contenu. Une vérification sérieuse de l’âge des utilisateurs devra ainsi être réalisée. Dès lors, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) se verra confier la mission d’ordonner le blocage de ces sites pornographiques sans l’intervention du juge judiciaire.
Cette procédure accélérée permettra un blocage rapide lorsque les fournisseurs d’accès à internet n’auront pas mis en place un système de vérification de l’âge des visiteurs. L’institution devra également rédiger un « référentiel technique » auquel seront soumis les sites pornographiques. En cas de non-respect, ils s’exposeront à une amende maximale de 500 000 euros ainsi qu’au blocage des sites pornographiques auprès des fournisseurs d’accès à internet (FAI).
Il s’agit d’un nouvel acte dans la lutte contre l’exposition massive des mineurs aux sites pornographiques. Toutefois, la question de la fin du libre accès des mineurs aux sites pornographiques n’a pas encore été tranchée puisque la décision est en attente d’examen auprès du Conseil d’État.
Pour rappel, le Tribunal judiciaire de Paris devra notamment établir si le principe de sécurité juridique est respecté en l’absence de précisions dans la loi quant aux modalités techniques permettant d’empêcher l’accès des mineurs aux sites pornographiques.