1/ La théorie : force majeure et imprévision.
Le sort du bail commercial à l’épreuve de la crise du coronavirus a fait couler beaucoup d’ancres ces deux derniers mois. En effet, il a suscité de nombreux commentaires et analyses de la part des praticiens de la matière, avocats, doctorants, professeurs, … Village de la justice n’a d’ailleurs pas été épargné. Il faut dire que l’incertitude qui règne sur le sort du bail commercial est une problématique juridique intéressante pour ces juristes impliqués, qui aiment se poser des questions et analyser des concepts juridiques encore flous. Le coronavirus est-il un cas de force majeur au sens de l’article 1218 du code civil, un cas d’imprévision visé par l’article 1995 du code civil ? Le preneur peut-il invoquer l’exception d’inexécution au sens des articles 1219 et 1229 du code civil ? Chacun s’y est donné à cœur joie et en est arrivé aux conclusions suivantes qui ne font pas l’ombre d’un doute :
Oui, cette crise constitue un cas de force majeur,
Oui, la situation doit être qualifiée de cas d’imprévision.
D’autres en ont profité pour rappeler et accentuer l’importance de rédaction de clauses contractuelles ayant pour but de prévoir des solutions face à de tels événements.
2/ Les réponses pratiques : l’incertitude.
Et une fois que cela est dit, quelle est la solution à appliquer entre les parties ? Une suppression totale des loyers dus pendant la période de confinement ? Ou un report et un paiement échelonné pour la totalité de cette période ? Et surtout, à l’heure où l’interdiction d’ouverture d’une bonne partie des locaux commerciaux a cessé depuis le 11 mai dernier, les loyers doivent-ils reprendre pour le montant total ?
Face à ces questions essentielles et qui sont celles que se posent les bailleurs et preneurs, les réponses sont plus évasives. Pourtant, il ne faut pas hésiter à dire les choses comme elles sont : nous ne savons pas. Ni le Gouvernement, ni le juge (pour l’instant), ni vous, ni moi ne savons quelle solution appliquer. Alors que, avant l’apparition de cette crise sanitaire, certains politiques et professionnels de santé ont affirmé des certitudes et prédictions qui se sont révélées totalement inexactes et dangereuses, le juriste doit lui faire preuve de sagesse et oser dire « je ne sais pas ».
3/ Le principe directeur : la bonne foi.
Une chose est sûre, c’est que cette situation présentant incontestablement un cas de force majeur et imprévisible doit conduire les parties, tant le preneur que le bailleur à « faire des compromis », et ce au nom d’un principe trop souvent oublié et qui pourtant a été placé comme un principe essentiel régissant désormais le droit des contrats français (au même titre que le principe du consensualisme ou de la force obligatoire ?) : la bonne foi [1].
L’obligation d’exécution de bonne foi des conventions, auparavant placée à l’alinéa 3 de l’article 1134 du code civil (pour les anciens), a été érigée en article autonome, l’article 1104 du code civil, compris dans les dispositions liminaires des dispositions du code civil relatifs aux contrats. Et ce n’est pas un hasard. En effet, un des objets de la réforme du droit des obligations du 10 février 2016 a été d’« affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle » [2]. Ainsi, face à cette incertitude générale, la bonne foi contractuelle doit servir de « cadre de référence » aux relations entre le bailleur et le preneur. Ne vous méprenez pas : la bonne foi n’est pas un principe « de niveaux supérieur » aux autres règles régissant les dispositions du code civil ou au statut des baux commerciaux, pouvant justifier un interventionnisme accru du juge. Ce principe a néanmoins été consacré et mis en avant, pour « faciliter l’interprétation de l’ensemble des règles applicables au contrat, et au besoin à en combler les lacunes » (Rapport précité). En l’occurrence, la bonne foi doit ici faciliter l’interprétation de l’article 1195 du code civil relatif à la renégociation du contrat pour cas d’imprévision.
4/ La renégociation.
Ce principe de bonne foi doit à notre sens, conduire le bailleur et le preneur à prendre en compte cette situation exceptionnelle, à en comprendre les conséquences qu’elles ont pu avoir sur la situation économique de l’un et de l’autre, et à trouver un compromis, qui doit être adapté en fonction de l’évolution de la situation. Mais il est certain que, face à une absence totale de chiffre d’affaires réalisé par le preneur pendant la période de confinement, et à une baisse de plus de la moitié du chiffre d’affaires du preneur suite à la réouverture des locaux, par rapport à celui réalisé durant le même intervalle de temps l’année précédente :
Le bailleur agirait contrairement à la bonne foi en exigeant un paiement total des loyers y compris durant la période de confinement,
Le preneur, lui aussi, agirait contrairement à la bonne foi et à ses obligations contractuelles en s’abstenant de ne payer aucun loyer.
Chaque situation appelle à une analyse concrète et les parties doivent trouver une solution juste et équitable. Sans parler de ceux qui cultivent l’image du fonds d’investissement multipropriétaire en la personne du bailleur alors qu’il s’agit parfois de retraités pour qui le loyer commercial constitue presque l’unique source de revenus ; l’analyse doit s’attacher à la réalité économique du preneur, à son chiffre d’affaires, et aux solutions qu’il peut mettre en œuvre « en bon père de famille » pour éventuellement remédier à ses difficultés.
Ainsi, « dans un monde idéal » et si l’on suit la volonté du législateur, bailleurs et preneurs doivent réciproquement manifester vis-à-vis de l’autre une volonté de renégociation.
Conclusion :
Discutez, asseyez-vous autour d’une table (ou convenez d’un rendez-vous par visio-conférence) et formalisez par écrit la renégociation.