Prévenu de conduite sous l’empire d’un état alcoolique et de conduite d’un véhicule malgré suspension du permis de conduire, un automobiliste est notamment condamné à la confiscation du véhicule ayant servi à commettre les infractions. La peine est confirmée par la cour d’appel. Il doit être précisé que le véhicule avait été acquis auprès d’une société par un acte contenant une clause de réserve de propriété avec subrogation au profit d’un organisme de crédit. En conséquence, à l’occasion de son pourvoi en cassation, le condamné fait grief à l’arrêt d’avoir confisqué un véhicule dont il n’était pas propriétaire du fait de l’existence de cette clause de réserve de propriété. Or, tant l’article 131-21, alinéa 2, du Code pénal, qui constitue la disposition de droit commun en matière de confiscation de l’instrument de l’infraction, que les articles L224-16, II, 1° et L234-2, I, 8° du Code de la route, qui prévoient cette peine pour les infractions susmentionnées, posent la condition de propriété de l’instrument par le condamné [1]. L’absence de précision sur le fondement retenu par la cour d’appel était également critiquée.
Si la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît que les juges d’appel auraient dû préciser le fondement de la confiscation prononcée, elle considère cependant que ce moyen n’a pas d’incidence sur la solution à retenir. En effet, la Haute juridiction estime que l’existence d’une clause de réserve de propriété dans un contrat de vente n’est pas de nature à faire obstacle à la confiscation du bien concerné.
Elle rappelle d’une part que l’article 1583 du Code civil dispose que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé » et, d’autre part, qu’aux termes de l’article 2367 du Code civil
« la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie ».
La chambre criminelle en tire la conséquence que la clause de réserve de propriété s’analyse en une sûreté [2], ce qui entraîne deux séries de conséquences, l’une de nature substantielle, l’autre de nature procédurale.
Les conséquences au fond concernent tant le condamné que le bénéficiaire de la clause.
En premier lieu, l’acquéreur condamné ne peut échapper à la confiscation en faisant valoir qu’il n’est pas propriétaire du bien au motif de l’existence d’une telle clause. L’arrêt poursuit le mouvement jurisprudentiel visant à ce qu’aucun mécanisme de droit civil ne mette un bien à l’abri d’une potentielle confiscation dès que le condamné dispose d’un droit de propriété (en ce sens, sont notamment susceptibles de confiscation les démembrements du droit de propriété [3]. Il a également pour effet de rendre vaine, au stade de la confiscation tout au moins, une collusion entre le créancier et le débiteur ou une manœuvre du débiteur.
En second lieu, le vendeur dispose d’une sûreté opposable à l’État, étant précisé qu’aux termes de l’alinéa 10 de l’article 131-21 du Code pénal, « la chose confisquée est […] dévolue à l’Etat, mais elle demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement constitués au profit de tiers ».
L’article 706-151, alinéa 2, du Code de procédure pénale, fournissait déjà, en matière immobilière, une illustration de ce que le créancier ne subit pas les conséquences d’une saisie pénale puis d’une confiscation lorsque son droit est antérieur. En effet, cette disposition prévoit que
« la saisie porte sur la valeur totale de l’immeuble, sans préjudice des privilèges et hypothèques préalablement inscrits ou des privilèges visés à l’article 2378 du Code civil et nés antérieurement à la date de publication de la décision de saisie pénale immobilière ».
De manière plus générale, l’article 706-145, alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit, en dehors du cas particulier de la matière immobilière, que
« le créancier ayant diligenté une procédure d’exécution antérieurement à la saisie pénale est de plein droit considéré comme titulaire d’une sûreté sur le bien, prenant rang à la date à laquelle cette procédure d’exécution est devenue opposable ».
Néanmoins, s’agissant de ces deux dispositions, l’opposabilité à l’État pouvait être comprise comme la conséquence de la nécessaire connaissance par l’autorité étatique de l’existence des sûretés, soit en raison de leur publication au service de la publicité foncière, soit en raison de l’existence d’une procédure d’exécution.
L’arrêt commenté confirme l’opposabilité d’une sûreté n’ayant fait l’objet d’aucune mesure de publicité particulière. Il se situe dans la continuité de deux arrêts de la chambre criminelle en date du 28 juin 2023 dans lesquels la Haute juridiction avait estimé, à propos d’un contrat d’assurance sur la vie ayant fait l’objet d’un acte de délégation imparfaite, qu’
« en cas d’antériorité de la délégation par rapport à la saisie pénale, la créance du délégataire à l’encontre du délégué est opposable à l’Etat lors de l’exécution de la peine de confiscation » [4].
Si le bénéficiaire de la clause de réserve de propriété entre dans la catégorie des créanciers titulaires d’une sûreté sur le bien, il échappe logiquement par la même occasion à celle des tiers propriétaires. Ce constat entraîne des conséquences procédurales, qui seront examinées plus loin, mais également des conséquences au fond. En particulier, la question de sa bonne ou de sa mauvaise foi ne se posera pas dans la mesure où le condamné ne saurait être considéré comme ayant la libre disposition du bien. Néanmoins, l’État pourra probablement discuter du caractère frauduleux ou, de manière plus générale, de la validité de la clause [5].
Les conséquences procédurales sont de deux ordres : sur les modalités de revendication du bien ; sur les phases de la procédure pénale durant lesquelles cette revendication est possible.
En premier lieu, la chambre criminelle précise les modalités de revendication du bien, qui sont conformes aux dispositions civiles applicables, à savoir les articles 2371 et 2372 du Code civil. Elle indique que « sur justification du défaut de la complète exécution de l’obligation, le bénéficiaire de la clause de réserve de propriété peut demander à l’Etat la restitution du bien ou de sa valeur liquidative, afin de recouvrer le droit d’en disposer » [6] et que « la valeur du bien repris ou sa valeur liquidative est alors imputée, à titre de paiement, sur le solde de la créance garantie » [7]. Elle ajoute que « lorsque la valeur du bien repris excède le montant de la créance garantie encore exigible, le créancier doit à l’État une somme égale à la différence » [8]. Ainsi, la confiscation n’aura-t-elle pour effet ni de priver le bénéficiaire de la clause de ses droits, ni de l’enrichir indûment.
En second lieu, dès lors que l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à l’État est liée à un transfert de propriété à son profit, la revendication du bien par le bénéficiaire de la clause a lieu lors de la phase post-sentencielle, à un moment où la confiscation est devenue définitive faute d’exercice des voies de recours par le condamné ou en raison de l’épuisement de celles-ci.
Se pose la question de savoir si la solution de l’arrêt commenté rend le sort du bénéficiaire de la clause de réserve de propriété strictement identique à celui du créancier inscrit en matière immobilière ou à celui du délégataire d’une créance saisie pénalement. Dans ces deux derniers cas, il est acquis que le créancier ou le délégataire dont le droit est antérieur à la saisie pénale ne peut solliciter la restitution du bien saisi pénalement auprès de la juridiction de jugement dès lors qu’il n’en est pas le propriétaire [9]. Il ne peut faire valoir son droit qu’au stade présentenciel, sur le fondement notamment de l’article 706-144 du Code de procédure pénale [10] ou de l’article 706-146 du même code, ou au stade post-sentenciel [11].
La lecture de l’arrêt du 28 février 2024 permet de conclure avec certitude que le bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété peut faire valoir son droit après une condamnation définitive du prévenu à la confiscation du bien.
Un doute subsiste en revanche sur les voies de droit qui lui sont ouvertes, en cas de saisie pénale préalable, au stade présentenciel ou pendant la phase de jugement.
En l’espèce, l’établissement de crédit pouvant se prévaloir de la clause de réserve de propriété n’apparaît pas être intervenu devant la juridiction répressive. La chambre criminelle se prononce sur le seul pourvoi du condamné qui, sans plaider par procureur, se prévaut cependant de la supposée existence d’un tiers propriétaire du véhicule.
Si le créancier inscrit en matière immobilière ou le délégataire d’une créance ne sont pas propriétaires du bien immobilier ou de la créance saisis, le bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété recouvre le droit de disposer du bien lorsqu’il exerce l’action en revendication. Dans ces conditions, la question de sa recevabilité à solliciter la restitution devant le tribunal correctionnel n’est pas dénuée de pertinence. En effet, si la défaillance du débiteur est acquise au moment du jugement, le créancier peut pleinement se prévaloir d’un droit à restitution du bien dont il est propriétaire.
S’agissant du stade présentenciel, la possibilité pour le bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété de revendiquer le bien saisi en raison de la défaillance du débiteur pose également question. S’il est un créancier titulaire d’une sûreté et non un tiers propriétaire, il ne peut solliciter la restitution sur le fondement de l’article 41-4 du Code de procédure pénale en matière d’enquête ou de l’article 99 du même code en matière d’information judiciaire. Pour autant, il ne peut utiliser la requête fondée sur l’article 706-144 du Code de procédure pénale qu’à condition d’admettre que cette disposition s’applique tant aux saisies de droit commun qu’aux saisies spéciales. En effet, l’existence de cette voie de recours a été rappelée par la Cour de cassation en matière de délégation de créance portant sur la saisie d’une créance figurant sur un contrat d’assurance sur la vie ayant fait l’objet d’une saisie pénale spéciale [12]. Dans une hypothèse comme celle de l’arrêt commenté, un véhicule, bien meuble corporel, saisi à titre d’instrument de l’infraction fait l’objet d’une saisie de droit commun de sorte qu’il est loin d’être évident que l’article 706-144 du Code de procédure pénale soit applicable.
En définitive, l’arrêt commenté permet de nouveau de constater que si les droits du titulaire d’une sûreté sur un bien confisqué paraissent préserver, encore faudrait-il que leur effectivité soit garantie, ce qui supposerait l’existence de voies de droit clairement identifiées permettant d’obtenir gain de cause dans un délai raisonnable.