Il convient de rappeler que le rapport Magendie [2] avait eu un précédent en septembre 2004 intitulé « Célérité et qualité de la Justice devant la cour d’appel » [3] qui devait conduire à une accélération des procédures devant la Cour d’Appel et promouvoir « certaines bonnes pratiques » en matière de procédure, mais parallèlement des règles qui étaient destinées à accélérer le cours de la Justice ont été dévoyées de leur but initial...
Au dernier état de la réforme de la procédure civile, les parties disposent chacune d’un délai de trois mois pour conclure (articles 908 et suivants du CPC) pour l’appelant, article 909 du CPC pour l’intimé, sous le contrôle du Conseiller de la Mise en Etat qui peut impartir des délais plus courts et qui, en application de l’article 912 du CPC, examine ou plutôt devrait-on dire, est censé examiner l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, fixer la date de clôture et celle des plaidoiries, sauf fixation du calendrier, après avoir recueilli l’accord des Avocats.
La question est, aujourd’hui, de savoir si les Conseillers de la Mise en Etat remplissent le rôle qui leur est dévolu par la Loi [4] car le problème qui se pose est que tant que l’affaire n’est pas clôturée par le Conseiller de la Mise en Etat et fixée, le délai de péremption de deux ans court contre les justiciables et leurs avocats sans que le Juge n’encoure évidemment la moindre responsabilité, alors que paradoxalement, ce sont les avocats qui assument les responsabilités pour des omissions et manquements de diligences qu’ils n’ont aucun pouvoir de faire, et qui incombent aux Conseillers de la Mise en Etat.
En effet, seul le juge a le pouvoir de clôturer et fixer à plaider une affaire, mais lorsqu’il omet ou refuse de le faire pour cause d’encombrement du rôle, c’est le justiciable qui est sanctionné et ensuite, éventuellement, son Avocat.
Sur le parcours des obstacles dressés entre le justiciable et le Juge, se dresse la péremption de l’article 386 du Code de Procédure Civile qui dispose que :
« L’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ».
Malheureusement, force est de constater que toutes les excellentes idées des rapporteurs des réformes Magendie, n’ont, à la lumière de la pratique, été suivies que de peu d’effets, les délais de traitement d’un dossier sont toujours aussi longs quand ils ne se sont pas allongés, et au lieu d’améliorer la confiance du justiciable en sa justice, celui-ci s’en est peu à peu éloigné, ou plus exactement l’accès au Juge est devenu de plus en plus complexe avec la multiplication des chausse- trappes de procédure instituées par le Décret qui a multiplié les causes de caducité et d’irrecevabilité et de péremption d’instance.
La théorie et la pratique sur des rails parallèles qui ne se rejoignent jamais !
Les principes directeurs du procès sont bien connus, le procès est la chose des parties mais en théorie : elles introduisent l’instance et ont la liberté d’y mettre fin (article 1er du Code de Procédure Civile), elles conduisent l’instance (article 2 du Code de Procédure Civile) sous le contrôle du Juge qui veille au bon déroulement de l’instance (article 3 du Code de Procédure Civile).
Le problème essentiel est celui de savoir quelles diligences les parties doivent accomplir pour éviter la péremption d’instance lorsqu’elles ont respecté l’intégralité des délais que leur impartit la Loi, que l’appelant a conclu dans le délai de trois mois, que l’intimé lui a répliqué dans le délai de trois mois, que l’affaire est en état d’être jugée et que le dossier est oublié dans un placard par le Conseiller de la Mise en Etat qui, aux termes de l’article 912 du Code de Procédure Civile, aurait dû examiner l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, et fixer la date de clôture et celle des plaidoiries...
En pratique, par le dévoiement de l’article 386 du Code de Procédure Civile, qui ne prévoit aucune sanction à l’égard du Conseiller de la Mise en Etat (c’est un autre débat...), un certain nombre de Conseillers de la Mise en Etat, oublient que c’est de leur fait que les dossiers ne sont pas clôturés et fixés à plaider, et que les parties n’ont aucun pouvoir d’effectuer des diligences pour faire avancer l’affaire, sanctionnent à tour de bras les justiciables et leurs Avocats pour un défaut de diligences qui, en réalité, leur sont imputables.
Quelles diligences demande-t-on aux Avocats pour faire avancer l’affaire lorsqu’ils ont accompli toutes les charges qui leur incombaient, conclu dans les délais et attendent qu’on leur propose une date de fixation, qui n’est pas fixée même lorsqu’ils en font la demande en l’état de l’encombrement du rôle.
Une lettre demandant la fixation de l’affaire ne servirait à rien puisque dans le meilleur des cas, il leur est répondu par une lettre type leur indiquant que l’encombrement du rôle ne permet pas la fixation du dossier et ils sont invités, dans le meilleur des cas, à renouveler leur demande ultérieurement.
Fallait-il pousser l’hypocrisie jusqu’à resignifier les mêmes conclusions pour manifester sa volonté de faire progresser l’instance ou solliciter à longueur de journée des clôtures et des fixations qui n’avaient aucun écho, ou fallait-il tout simplement admettre que les parties qui ont accompli les diligences et les charges que le Code de Procédure Civile mettait à leur charge ne peuvent se voir opposer la péremption ?
Peu à peu la résistance s’est organisée et, par exemple, la juridiction d’appel héraultaise vient d’emboîter le pas de la Cour Suprême dans certains arrêts isolés jusqu’alors, en jugeant que :
« (...) Selon l’article 912... le Conseiller de la Mise en Etat doit dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure, fixer les dates de clôture et de plaidoiries ou un calendrier de procédure, ce qu’il n’a pas fait... alors qu’il est le seul à détenir ce pouvoir, de sorte que ce qui n’était qu’une simple faculté est devenu le décret numéro 2009-1524 du 9/12/2009 entré en vigueur le 01.01.2011, et s’est mué en obligation (...) les parties n’ayant plus l’initiative sur le choix des diligences de nature à faire progresser l’affaire... de sorte que l’incident est rejeté » [5].
Le problème qui se pose lorsqu’il n’y a pas d’ordonnance de clôture prononcée par le Conseiller de la Mise en Etat, qui ne la prononce pas, et que le délai de péremption continue de courir et on sanctionne le justiciable pour un défaut de diligences qui, en réalité, incombe au Juge :
Alors et pourtant que la Cour de Cassation avait rappelé dans un arrêt du 26 janvier 2011, procédures 2011 numéro 168, que « lorsque les parties ont déposé leurs écritures dans les délais impartis... la direction du procès échappe aux parties qui n’ont plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l’instance et la péremption n’est pas encourue ».
Et encore, certaines Cours d’Appel (Montpellier/ Rennes), se sont prononcées à de multiples reprises dans de pareilles instances, pour rappeler que si les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent, à l’impossible nul n’est tenu.
C’est ainsi qu’il a été jugé que justifiait légalement sa décision le Premier Président d’une Cour d’Appel statuant sur un recours en matière de taxe, qui écartait l’incident de péremption soulevé par une partie en relevant que la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer, la fixation de l’affaire et la convocation des parties étant le seul fait du Greffe [6]
De même, il a été jugé que si aux termes de l’article 2 du CPC les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent, elles ne sont plus tenues à aucune diligence à compter de la clôture des débats et, dès lors, la péremption ne peut plus leur être opposée [7].
Pourtant, malgré ce principe d’équité et de bon sens maintes fois rappelé et bien établi selon lequel les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent, elles ne sont plus tenues d’effectuer spontanément des diligences, une fois qu’elles ont échangé leurs pièces et conclusions, des justiciables et leurs Avocats continuent, au gré de l’aléa judiciaire, à être injustement sanctionnés.
En effet, les parties et leurs Avocats n’ont aucun moyen de contrainte à l’égard du Conseiller de la Mise en Etat pour obtenir une clôture, si ce n’est lui rappeler respectueusement l’ancienneté du dossier.
Pourquoi les parties ne seraient-elles plus tenues d’effectuer de diligences à compter de la clôture des débats ou à compter de la fixation du dossier qui ne dépend pas d’elles, et quelles diligences sérieusement doivent-elles accomplir une fois qu’elles ont respecté les obligations légales qui résultent du principe du contradictoire et lorsqu’elles ont échangé leurs pièces et conclusions et que le dossier est en état et prêt à être plaidé ?
Face à ce dévoiement du Code de Procédure Civile qui devrait sanctuariser l’accès au Juge on aboutissait en fait à l’effet inverse, éloigner le justiciable du Juge...
Enfin, la solution de ce problème semble proche et il convient de signaler la proposition de Loi de Madame le Député Anne-Laurence Petel, qui propose de compléter l’article 386 du Code de Procédure Civile, qui précisera désormais que :
« la péremption ne peut être opposée aux parties qui ont accompli les actes de procédure mis à leur charge dans les délais qui leur étaient impartis ».
Il était quand même évident que les parties qui avaient initié une procédure et respecté l’intégralité des charges qui leur incombaient dans le strict respect des délais, n’avaient pas à subir la sanction d’un défaut de diligences qu’elles n’avaient aucun pouvoir d’accomplir et qui incombaient au Juge...
Cela va quand même mieux en le disant et l’on peut espérer qu’avec le vote imminent de cette proposition de Loi, que le chemin du Droit qui est parsemé d’embûches, rejoigne enfin celui de l’équité dont il n’aurait jamais dû s’éloigner [8].
Discussions en cours :
Merci pour ces rappels importants.
Bonjour Maître,
Qu’est-il advenu de la proposition de loi visant à compléter l’article 386 du code de Procédure Civile en précisant que « la péremption ne peut être opposée aux parties qui ont accompli les actes de procédure mis à leur charge dans les délais qui leur étaient impartis » : cette mention verra -t- elle le jour ?
Merci