Une société est placée en procédure de sauvegarde, avant de bénéficier d’un plan de continuation, plan décidant de maintenir le mandataire judiciaire en ses fonctions. La société créancière déclare sa créance à la procédure collective et une ordonnance d’admission de la créance est rendue par le juge-commissaire.
La société débitrice relève appel de cette ordonnance mais ne signifie pas ses conclusions d’appel au mandataire judiciaire. Le conseiller de la mise en état relève d’office la caducité de la déclaration d’appel par application de l’article 911 du code de procédure civile puisque l’appelant n’avait pas fait signifier par voie d’huissier de justice ses conclusions au mandataire judiciaire non constitué.
La cour d’appel de Bordeaux, sur déféré, confirme l’ordonnance et l’appelant forme un pourvoi contre cet arrêt.
L’appelant faisait grief à la cour d’appel d’avoir jugé caduque la déclaration d’appel alors que seul le mandataire judiciaire, lorsqu’il reçoit la mission d’assurer l’administration, serait fondé à se prévaloir de l’absence de signification des conclusions, ce d’autant qu’il avait ultérieurement déclaré par lettre à la cour d’appel avoir bien eu connaissance des conclusions.
Rejetant le pourvoi, la chambre commerciale juge « que, si l’administrateur judiciaire n’a pas, dans une procédure de sauvegarde, à être intimé sur l’appel du débiteur contestant l’admission d’une créance déclarée, le lien d’indivisibilité qui unit le mandataire judiciaire au débiteur et au créancier dans l’instance relative à l’admission des créances, impose, en revanche, au débiteur appelant, d’intimer le mandataire judiciaire et, si ce dernier n’a pas constitué avocat, de lui signifier ses conclusions d’appel dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile ; que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu qu’en sa qualité d’intimé, le mandataire judiciaire ne pouvait renoncer à la caducité de la déclaration d’appel ; que le moyen, qui procède d’un postulat erroné, n’est pas fondé ».
L’arrêt rendu par la chambre commerciale intéressera les praticiens de la procédure collective et de la procédure d’appel en ce qu’il pose trois principes essentiels.
En premier lieu, sur appel d’une ordonnance rendue par le juge-commissaire, compétent pour statuer en l’absence de contestation sérieuse sur l’admission ou le rejet d’une créance, le débiteur en procédure collective, qui dispose d’un droit propre à relever appel, doit nécessairement intimer le mandataire judiciaire.
Mais, comme prend la peine de le rappeler la chambre commerciale à des fins didactiques en raison d’une solution récente et innovante, ce n’est pas le cas de l’administrateur judiciaire lorsque le débiteur est soumis à une procédure de sauvegarde.
C’est en effet ce qu’elle venait de juger, le 20 avril 2017 par un arrêt publié au Bulletin, en cassant un arrêt d’une cour d’appel qui avait estimé irrecevable l’appel alors que l’administrateur, avec mission d’assistance, n’avait pas été intimé sur l’acte d’appel (Com. 20 avr. 2017, n° 15-18.182, Dalloz actualité, 3 mai 2017, obs. X. Delpech ).
Mais rappelons qu’au regard de l’article R. 661-6 du code de commerce, les mandataires de justice qui ne sont pas appelants doivent être intimés. Aussi, en cas de jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire, l’administrateur devra, à peine d’irrecevabilité, être intimé, bien qu’il soit admis qu’il puisse régulariser une intervention volontaire lorsqu’il est désigné par le jugement ou bien qu’il soit assigné en intervention forcée sur appel d’un jugement de conversion d’une procédure de redressement en liquidation judiciaire (Com. 14 juin 2017, n° 15-20.229).
L’arrêt ne le dit pas, mais il est vrai que le débiteur en sauvegarde, conformément à l’article L. 622-3 du code de commerce, exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission de l’administrateur tandis que l’article L. 624-3 est dépourvu d’équivoque : le recours contre les décisions du juge-commissaire est ouvert au créancier, au débiteur ou au mandataire judiciaire. Ce n’est pas illogique puisqu’en sa qualité de représentant de l’intérêt collectif des créanciers, le mandataire joue un rôle essentiel en matière de vérification des créances. Dès lors, l’indivisibilité du litige fonctionne non pas à l’égard de l’administrateur, mais à l’égard du mandataire judiciaire qui seul doit être intimé.
Et c’est là le second enseignement de cet arrêt au regard des délais imposés devant la cour d’appel. Si le mandataire judiciaire, à la différence de l’administrateur, est partie à l’instance dans une matière résolument indivisible, il doit impérativement être intimé et, partant, l’appelant doit lui signifier ses conclusions, par application de l’article 911 du code de procédure civile, s’il n’a pas constitué avocat.
Or, en l’espèce, si le mandataire judiciaire avait bien été intimé sur l’acte d’appel – l’irrecevabilité du recours ne pouvait donc être prononcée – l’appelant ne lui avait pas signifié ses conclusions alors qu’il disposait pour ce faire, à peine de caducité de sa déclaration d’appel, d’un délai d’un mois à compter de l’expiration du délai de trois mois de l’article 908 du code de procédure civile puisqu’il n’était pas constitué.
Si l’appelant avait omis le mandataire judiciaire sur sa déclaration d’appel, il disposait toujours de la possibilité, du fait de l’indivisibilité de l’appel et de l’article 552 du code de procédure civile, de régulariser à tout moment la procédure.
La chambre commerciale a déjà rappelé qu’il existe un lien d’indivisibilité en matière de vérification du passif entre créancier, débiteur et mandataire judiciaire qui conduit à l’irrecevabilité de l’appel en l’absence de l’une de ces parties (Com. 29 sept. 2015, n° 14-13.257, Dalloz actualité, 14 oct. 2015, obs. X. Delpech ; 31 mai 2016, n° 14-20.882). Mais en intimant le mandataire judiciaire tout en ne concluant pas contre lui, l’appelant n’encourait pas une irrecevabilité mais une caducité.
La sanction est augmentée encore du fait de l’indivisibilité, puisque ce n’est plus une caducité partielle qui est encourue à l’égard de la seule partie contre laquelle la formalité n’a pas été accomplie, mais une caducité totale qui doit être prononcée.
Ainsi, la deuxième chambre civile a pu approuver une cour d’appel d’avoir retenu une caducité totale à l’égard de toutes les parties présentes sur la déclaration d’appel plutôt qu’une caducité partielle en l’absence de signification des conclusions à un seul intimé défaillant dès lors que le litige était indivisible (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-14.868, Dalloz actualité, 6 juin 2017, obs. R. Laffly ).
Enfin, dernier enseignement général cette fois au regard des règles procédurales strictes devant la Cour : on ne renonce pas à une caducité ! Le demandeur au pourvoi arguait que si la signification des conclusions n’avait pas été effectuée, le mandataire judiciaire avait toutefois indiqué à la Cour qu’il avait bien pris connaissance des conclusions du débiteur-appelant alors qu’il était le seul à pouvoir se prévaloir de ce défaut de signification, ce qu’il n’avait pas fait.
Mais pour la Cour de cassation, la cour d’appel a exactement retenu qu’en sa qualité d’intimé, le mandataire judiciaire ne pouvait renoncer à la caducité de la déclaration d’appel.
C’était en effet oublier que la sanction de caducité court contre l’appelant et, devant l’ensemble des exigences imposées par les articles 902 et suivants, que le conseiller de la mise en état peut toujours relever d’office – ce qu’il fit – la caducité de la déclaration d’appel. Les parties ne peuvent donc s’entendre sur le non-respect des délais qui leur sont imposés à peine de caducité ou d’irrecevabilité.
Et si le conseiller de la mise en état dispose à cette fin des pouvoirs les plus étendus par application de l’article 914 du code de procédure civile, le décret du 6 mai 2017 a complété cet article en offrant expressément à la cour d’appel, comme si l’on voulait éteindre toutes velléités d’entente ou de négligence, le pouvoir d’office de relever l’irrecevabilité ou la caducité de l’appel.
Si l’appelant, l’intimé et le conseiller de la mise en état décidaient de fermer les yeux sur les sanctions encourues, la Cour pourra désormais les ouvrir...