Que ce soit à la télévision où dans les journaux, le terme d’entreprise y occupe une place importante. Pourtant peu de personnes sont capables de comprendre le sens de ce mot. Pour beaucoup d’entre elles, y compris pour certains de nos politiciens, le terme « entreprise » n’est qu’un simple synonyme de « société ». Pour d’autres, l’entreprise n’existe pas en Droit ou du moins, elles ont des difficultés à percevoir sa place dans le Droit.
Une telle confusion autour d’une notion en apparence simple est compréhensible puisque le Droit définit ce qu’est une société [1], mais ne définit jamais ce qu’est une entreprise. Ce qui laisserait penser que l’entreprise n’est pas une notion présente en Droit. Pourtant, ce n’est pas le cas. En effet, de nombreux textes évoquent la notion d’entreprise [2]. Ceci nous amène à nous demander quel rapport le Droit et l’entreprise entretiennent-ils.
I- La place de l’entreprise dans le Droit.
Une entreprise n’est pas une société. En effet, la société peut être définie comme étant l’association de plusieurs personnes respectant des règles communes (en droit des affaires, cela renvoie à la notion d’associés et de statuts de sociétés), alors que le terme d’entreprise peut être définie comme la réalisation d’un objectif. Ainsi, la notion de société est davantage une notion organisationnelle alors que la notion d’entreprise est une notion fonctionnelle. Pourtant, il ne peut pas exister de société sans entreprise. En effet, l’article 1832 du Code civil définit la société comme étant « instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Il existe donc un lien fort entre ces deux notions qui aide à comprendre la place de l’entreprise dans le Droit.
Il n’existe pas de définition claire et précise de l’entreprise. Mais en croisant plusieurs textes avec de la jurisprudence, nous commençons à percevoir ce que peut être une entreprise. En effet, dans l’arrêt Höfner [3], la Cours de justice a donné une définition de l’entreprise comme étant « toute entité exerçant une activité économique est considérée comme une entreprise au sens du droit communautaire, et ce quel que soit son statut juridique ou son mode de financement ». Cette définition large de l’entreprise est partagée par les textes français. Cela est visible notamment à travers l’étude des règles relatives aux droits des entreprises en difficultés. En effet, ces règles qui visent la sauvegarde des entreprises sont applicable « à tout commerçant, à toute personne immatriculée au répertoire des métiers, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu’à toute personne morale de droit privé » [4]. Cette définition large est également appliquée par le Code du travail [5] qui met en place des règles au sein non pas de la société mais de l’entreprise (comité d’entreprise…).
De par l’étude des textes et de la jurisprudence, une notion d’entreprise semble se dégager. Ainsi, l’entreprise serait la réunion des moyens nécessaires à la poursuite d’un objectif économique, indépendamment de son organisation. Cette définition pouvant variée en fonction de la jurisprudence ou selon les besoins des règles appliquées.
Par conséquent, une société, pour exister, a besoin d’une entreprise. Il en va de même pour les associations, les fonds, les entrepreneurs individuels ou tout autres acteurs économiques. En effet, que ce soit la société ou l’association ou tout autres groupements, il ne s’agit là que des différentes manières d’organiser la vie de l’entreprise. Mais l’entreprise existe préalablement à la création de ces groupements. Une telle analyse ressort même de l’article 1832 du Code civil puisqu’il est fait mention de l’affection à une entreprise de bien par contrat. Le contrat ici renvoyant à la société qui organise l’affectation des biens à l’entreprise. Il est donc erroné d’affirmer que l’entreprise n’a pas sa place en Droit, car c’est un élément essentiel du droit des affaires. Mais pour autant, est-il possible de parler de droit de l’entreprise ?
II- Le droit de l’entreprise.
Il n’existe aucun code de loi en France qui s’intitule « code de l’entreprise ». Toutefois les politiques n’hésitent pas à parler d’entreprise dans leur loi. Le dernier exemple en date est la loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). De plus, comme cela a été démontrer plus haut, de nombreuses lois s’appliquent à l’entreprise. Encore une fois, en faisant un travail de recherche approfondi, il est facile de trouver ce qui correspond au droit de l’entreprise.
Le droit de l’entreprise est l’ensemble des règles qui organisent la vie de l’entreprise. Ainsi, le Code de commerce, la loi de 1901 sur les associations, le Code civil (pour sa partie sur le commerce), le Code du travail, le Code monétaire et financier, le Code de la propriété intellectuelle et ainsi de suite, font tous partie du corpus formant le droit de l’entreprise. Il serait donc contreproductif d’essayer d’élaborer un Code de l’entreprise puisqu’il se composerait de la réunion de plusieurs codes préexistants.
Contrairement aux règles d’organisation de l’entreprise, qui ne concernent en principe que les parties au contrat (effet relatif des contrats), les règles de l’entreprises englobent toutes les personnes ayant intérêts au bon fonctionnement de l’entreprise. Nous y trouvons bien évidemment les associés, les employés mais aussi les créanciers et les consommateurs.
Il est important de comprendre cela puisque la plupart des crises sociales des dernières années proviennent d’une incompréhension du rôle de l’entreprise. Le Code du travail et le Code du commerce, dans son livre II concernant les sociétés, ont souvent été perçus comme étant deux codes défendant des intérêts différents voire contradictoires : le Code de commerce servant à enrichir les associés et le Code du travail à améliorer les conditions de travail des employés. Il existe donc beaucoup de difficulté à faire cohabiter ces deux codes. Or comme cela vient d’être montré, ces deux codes défendent la même cause : celle de rendre l’entreprise pérenne. En effet, si les conditions de travail sont optimales, le salarié sera plus productif. Si l’entreprise réalise de bons résultats, il est normal que ceux qui l’ont mise en place en amassent les fruits. Ainsi, bien que les règles concernant l’entreprise soient réparties dans plusieurs codes distincts, il ne faut pas perdre de vue que tous ces codes n’ont qu’un objectif commun, celui de l’exploitation de l’entreprise. L’idée de la création d’une société dite « sociale » n’est donc pas une bonne solution car cela ferait penser que les autres sociétés n’ont pas à être sociale, ce qui serait un non-sens du point de vue du droit de l’entreprise.
Ainsi, la vision selon laquelle le droit des affaires ne doit protéger que les intérêts des détenteurs de parts sociales et des dirigeants de sociétés n’est plus satisfaisante.
Le droit des affaires se doit de protéger l’intérêt de l’entreprise dans son ensemble et donc doit prendre en compte tous les éléments qui influent sur les résultats d’une entreprise.