1. La logique de base : la séquence « ERC » ; de la non-régression à l’intégration de la logique de cycle.
L’émergence de la logique d’optimisation des usages est ancienne puisque l’on peut identifier ses prémisses en 1976 [1], au travers de la création de l’étude d’impact et des mesures de suivi potentielles pouvant en découler déclinant la séquence ERC (éviter/réduire/compenser).
Le « éviter » signifiera/ devra signifier dans certains cas ne pas faire mais pourra également se traduire en termes d’intensification des usages par l’utilisation en priorité des m² vacants ou par la logique de recyclage des fonciers déjà artificialisés.
Le « réduire » poussera, outre la rationalisation des projets, vers toutes formes de densification.
Le « compenser » permettra l’optimisation des usages par la mise en place de facilitations en vue de la dépollution, ou la désartificialisation/la renaturation pour rééquilibrer la densité/l’imperméabilisation des sols à l’échelle d’un territoire.
S’y est sans doute rajouté – au regard de la crispation du contexte :
le « s’adapter » reposant sur un usage raisonné des biens existants (comme le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière qui permet une utilisation, tant que possible, au regard de l’érosion côtière avec faculté de résiliation anticipée en cas de danger avéré) et
le « transformer » qui émerge clairement des derniers textes, en facilitation des changements d’usages (exemple : leviers fiscaux divers en faveur de la transformation en logements), et plus encore en anticipation des évolutions futures dès le moment de la création.
2. L’optimisation de l’existant : faire mieux avec ce qui existe.
Le droit organise au travers de divers textes récents la faculté de mieux utiliser ce qui existe :
Par la remise en activité du vacant, du bâti ou foncier dégradé et le renouvellement urbain
Par la reconversion du foncier en friche et/ou pollué
Par l’incitation à la densification et l’utilisation maximale et multiple de tout terrain déjà artificialisé et du bâti existant.
• Maîtriser l’évolution des territoires : la trajectoire Zéro Artificialisation Nette (ZAN).
Introduite par la loi Climat [2], cette trajectoire vise l’optimisation de la fonctionnalité des sols et l’atteinte d’un objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. Le rythme de l’artificialisation des sols doit être diminué de moitié tous les 10 ans, à l’échelle territorialisée.
Parmi les éléments pris en compte pour l’atteinte de ces objectifs, le texte prévoit outre la renaturation et la préservation des espaces naturels existants :
la maîtrise de l’étalement urbain
le renouvellement urbain
l’optimisation de la densité des espaces urbanisés.
L’ensemble des documents d’urbanisme de l’échelle régionale jusqu’à l’échelle communale doivent être orchestrés sur la base de ces stratégies et ce, d’ici à août 2027. Les sanctions sont sévères à défaut : en l’absence de documents supra-communaux cohérents avec cette stratégie, l’ouverture à l’urbanisation sera suspendue dès août 2026 et dans les communes dites non « zannées » en août 2027, aucune autorisation d’occupation des sols ne pourra plus être instruite.
Les dispositions de la loi visent corrélativement à accélérer les projets de rénovation, de réhabilitation ou de changement de destination des bâtiments existants sans modification de l’emprise au sol.
• Exonérer de taxe d’aménagement pour inciter à reconvertir ou sanctionner l’étalement urbain.
L’article 65 de la loi de finances pour 2023 [3] prévoit ainsi deux mesures :
d’une part, donner à compter du 1er janvier 2024 et en récompense des efforts de reconversion, la possibilité aux collectivités locales d’exonérer de taxe d’aménagement les constructions réalisées sur des sites qui ont fait l’objet d’une opération de dépollution (ou d’une renaturation) effectuées dans des conditions permettant la réaffectation des sols à un usage conforme aux règles d’urbanisme applicables sur ces terrains [4].
d’autre part, en sanction de l’étalement, l’augmentation progressive de la valeur forfaitaire par emplacements de stationnement servant à la détermination de la taxe lorsque les aires de stationnement ne sont pas comprises dans des constructions closes et couvertes (et donc non situées en surdensité en dessus ou en dessous des constructions).
• Exproprier pour libérer du bâti ou foncier dégradé.
Depuis le 25 décembre 2022, les collectivités peuvent envisager -au regard de l’état de dégradation ou d’absence d’entretien- l’expropriation de locaux, terrains ou équipements situés en secteur de restructuration d’une zone d’activité économique (ZAE) ayant fait l’objet d’un projet partenarial d’aménagement (PPA) ou d’une opération de revitalisation de territoire (ORT) [5]
Le préfet ou les autorités compétentes - Maire ou Président d’EPCI - peuvent mettre en demeure les propriétaires concernés de conduire les travaux nécessaires [6].
Lorsque les propriétaires n’ont pas manifesté, dans un délai de trois mois, la volonté de se conformer à la mise en demeure ou lorsque les travaux de réhabilitation n’ont pas débuté dans un délai d’un an, une procédure d’expropriation peut être engagée au profit de l’Etat, de la Commune, de l’EPCI ou d’un établissement public d’aménagement, national ou local.
• Assouplir les règles d’urbanisme en place pour accélérer la reconversion et la verticalité.
Les possibilités de dérogations aux règles du PLU offertes par la loi Climat permettent au travers de :
- la « dérogation friche » : dans la limite d’une majoration de 30%, une dérogation aux règles de gabarit ou aux obligations en matière de stationnement en cas de réemploi d’une friche,
- la « dérogation toitures et façades végétalisées » : en cas d’installation de ces dispositifs, une dérogation, depuis fin 2022, aux règles de hauteur (jusqu’à 1m) et aux règles d’aspect extérieur,
- la toute récente (décret et arrêté du 8 mars 2023) « dérogation exemplarité environnementale des procédés constructifs » : une dérogation aux règles de hauteur allant jusqu’à 2,50m.
• Autoriser la densification dans les secteurs de la maison individuelle :
Un projet d’ordonnance envisage la possibilité de densifier les lotissements (vote à majorité simplifiée pour remise en question du règlement de lotissement en termes notamment de hauteur).
• Maximiser l’usage de l’existant pour la production énergétique vertueuse
La loi du 10 mars 2023 [7] relative à l’accélération de la production d’énergie renouvelable organise la valorisation en support de production d’énergie renouvelable (panneaux solaires) des terrains déjà artificialisés ou ne présentant pas d’enjeu environnemental majeur ainsi que du bâti existant.
Sont notamment visés :
- les terrains en bordure des routes et des autoroutes (par exemple, les aires de repos ou les bretelles d’autoroutes) et des voies ferrées et fluviales
- les friches en bordure du littoral
- les parkings extérieurs existants de plus de 1 500 m2
- les bâtiments non résidentiels neufs ou lourdement rénovés (entrepôts, hôpitaux, écoles...) ; la couverture minimum des toitures solaires augmentera progressivement de 30% en 2023 à 50% en 2027. Cette obligation sera étendue dès 2028 aux bâtiments non résidentiels existants. En outre, les organismes privés d’habitations à loyer modéré (HLM) devront réaliser une étude de faisabilité pour développer de tels équipements sur leurs logements sociaux.
3. De l’écoconception à la réversibilité : faire mieux et plus sobre.
Au-delà du mieux utiliser ce qui existe, le droit organise le « moins utiliser » qui se décline :
Au travers de la mise en avant de la lutte contre le gaspillage et de l’économie circulaire ;
Au travers d’une réflexion dès la conception de l’évolution du bâti, depuis l’approvisionnement du chantier jusqu’à la fin de vie du bâtiment, en passant par l’optimisation de la densité,
Au travers d’une anticipation de la réversibilité du bâti.
A ce titre, on peut mettre en avant :
• Réutiliser, réemployer et économiser :
La loi du 10 février 2020 dite loi AGEC (anti-gaspillage et économie circulaire) permet, outre la traçabilité des déchets, la mise en œuvre, sur la base des pratiques existantes antérieures et par le biais d’une écriture du droit en direct avec des start’up d’Etat type Trackdéchets, la réutilisation ou le réemploi des matériaux de construction et de démolition ou de rénovation significative.
• Justifier l’optimisation de la densité en amont.
Les récentes dispositions relatives à l’évaluation environnementale [8] prévoient que l’étude d’impact des projets d’aménagement intègre, dès le moment du dépôt du permis de construire, les conclusions d’une « étude d’optimisation de la densité des constructions » portant sur la zone concernée par ces actions ou opérations et tenant compte de la qualité urbaine et des enjeux de préservation et de la restauration de la biodiversité et de nature en ville.
• Ecoconstruire et analyser le cycle de vie du bâti.
La RE 2020 est applicable depuis janvier 2023 à tous les types de bâti neufs. Cette réglementation, non plus seulement thermique mais environnementale, intègre l’écoconception de l’opération et le cycle de vie du bâti sur 50 ans, de sa naissance (acheminement, choix des matériaux…) à sa fin de vie (reconversion/recyclage) en passant par son fonctionnement et son entretien. Il s’agit donc bien de développer une réflexion en amont pour mieux consommer, produire et gérer.
• Etudier la réversibilité du bâti.
L’étude du potentiel de changement de destination et d’évolution d’un bâtiment (décret restant à paraître) vise au travers d’un diagnostic prévu par la loi Climat à intégrer les enjeux de réversibilité des usages des bâtiments dès la conception du projet (articles L. 122-1-1 et L. 126-35-1 du code de la construction et de l’habitation).
En conclusion, il est au regard de ces développements, possible de dire que le droit accompagne, le « maximiser » d’une part et encourage la sobriété d’autre part.
Néanmoins, il se base très essentiellement sur la réalité et les logiques actuelles et n’anticipe encore pas les innovations nécessaires à une réelle frugalité créative.
Le biomimétisme imposerait de s’inspirer des principes du vivant, au-delà de l’optimiser, et d’aller vers le « beaucoup avec peu » ou vers le « ne plus vouloir faire trop », en prenant en compte les limites du milieu.
Au titre du « ne plus faire trop », en dehors de la désormais nécessaire justification des projets au travers des études d’impact, la loi Climat [9] a certes instauré le principe général d’interdiction des projets commerciaux (implantation ou extension) soumis à Autorisation d’Exploitation Commerciale qui artificialiseraient nouvellement des sols. Cependant les dérogations mises en place corrélativement restreignent fortement la portée du texte [10].
Il s’agira sans doute aussi de s’engager sur les voies innovantes de la bio-ingénierie pour des systèmes plus durables, notamment inspirés par la nature.
Au Zimbabwe à Harare un supermarché, l’Eastgate Center, a été construit en s’inspirant directement des termitières. En recréant leurs structures, le bâtiment garde une chaleur uniforme, peu importe la température extérieure. Dans ce grand ensemble en béton, l’air extérieur est rafraîchi ou réchauffé quand il circule dans le bâtiment, grâce à un système de trappes et de différences de pression. Pour l’aération, l’architecte s’est tourné vers un matériau « modeste », amplement disponible à proximité : l’argile. Il a combiné techniques de constructions traditionnelles et ingénierie moderne (par exemple, en surélevant le toit pour laisser circuler l’air). En recréant ce modèle de ventilation et d’isolation, le Eastgate Center consomme moins de 10 % de l’énergie d’un bâtiment conventionnel de cette taille.
Le droit saura-t-il accompagner ce virage ? Là, comme dans d’autres domaines, cela suppose avant tout un changement de pratiques voire de paradigme…