Au beau milieu du brouhaha « Hadopi », le FAI Free tire son épingle du jeu en refusant d’adresser les mails d’avertissement à ceux de ses abonnés dont l’adresse IP a été identifiée comme permettant le téléchargement d’œuvres surveillées sur les réseaux P2P.
Bref rappel des faits …
La riposte graduée pensée initialement avait pour objectif d’instaurer une contravention pour contrefaçon au montant gradué selon sa « gravité » … Que nenni selon le Conseil constitutionnel qui l’a bien vite retoquée. Petit tour de passe-passe, le législateur entend, et reformule… et a donc trouvé un contournement constitutionnellement acceptable pour parvenir, non sans mal, à instaurer une graduation des peines, non pas par le biais de contrefaçon, mais sur la surveillance de l’accès à internet.
C’est en effet sur le fondement d’une nouvelle obligation de surveillance de l’accès à internet que cette riposte graduée a pu, non sans mal, passer le cap du Conseil constitutionnel, ainsi que celui de la CNIL. A la condition expresse du respect des droits de la défense, la suspension de l’accès à Internet demeurant en outre la prérogative du seul juge pénal et non d’une autorité administrative indépendante.
Le dispositif de la riposte graduée prévoit, depuis la loi du 12 juin 2009, que la Haute autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADOPI donc) puisse adresser une recommandation au titulaire d’un accès à internet, dont l’adresse IP a été identifiée par des agents assermentés.
Cette recommandation rappelle au détenteur de l’accès qu’il encourt contravention de négligence caractérisée s’il ne met pas en place un moyen de sécurisation de son accès internet, aux fins notamment, de protéger la propriété littéraire et artistique sur internet. Cette obligation a été instituée par le décret n° 2010-695 du 25 juin 2010, aux articles L.335-7 et R. 335-5.-I du Code de la Propriété intellectuelle.
Il est à noter que l’article L336-3 CPI prévoyait que « La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ». Ces dispositions ont été déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009.
Le dispositif actuel prévoit donc, dans un but louable de sensibilisation (qui ne trompe personne) d’adresser tout d’abord des courriels d’avertissement à tout quidam dont l’adresse IP aurait été repérée sur les réseaux P2P. Puis un deuxième avertissement par courrier recommandé en cas de réitération, l’ensemble de ces éléments pouvant par suite être transmis au juge pénal, lequel peut prononcer, entre autre une peine complémentaire résidant dans la suspension de l’accès à internet.
Afin de mettre en place la riposte graduée, le concours des fournisseurs d’accès à internet (FAI) est donc requis à double titre, d’une part pour identifier les contrevenants, non les « téléchargeurs-contrefacteurs », mais les détenteurs d’un accès à internet utilisé pour commettre des faits de contrefaçon d’œuvres, dits de « téléchargement », et d’autre part pour relayer les courriels d’avertissement de la Haute Autorité.
A la suite d’une mise en œuvre assez délicate, sans cesse repoussée, les premiers courriels d’avertissement sont enfin partis, en date du 4 octobre dernier ; les principaux FAI français jouant le jeu et adressant par leur intermédiaire les mails HADOPI.
Tous ? Non, un petit village de Freenautes résiste encore et toujours au législateur…
Arès les scandales de Usenet, des serveurs privés, des bandes passantes démesurées…Free se positionne une nouvelle fois « du côté des internautes », en refusant d’adresser les courriels d’avertissement à ses abonnés dont l’adresse IP a été transmise par l’HADOPI.
Au-delà du formidable « coup de pub » à moindres frais, cette position se justifi(ait) juridiquement. Selon l’article L331-25 du CPI, « Lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné, sous son timbre et pour son compte, par la voie électronique et par l’intermédiaire de la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec l’abonné [à savoir le fournisseur d’accès à internet] , une recommandation lui rappelant les dispositions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter l’obligation qu’elles définissent et l’avertissant des sanctions encourues en application des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 CPI. »
Or, les premiers décrets d’application HADOPI adoptés cet été sont loin de préciser efficacement le dispositif.
Si aucune convention n’a été signée entre les FAI et l’HADOPI concernant les données personnelles des abonnés, le décret n°2010-1057 du 3 septembre 2010, modifiant le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l‘article L.331-29 du CPI et intitulé « Systèmes de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet » prévoit bien, et de manière détaillée, quelles sont les informations qui doivent être fournies par les FAI sur sollicitation de l’HADOPI .
En outre, le décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet prévoit bien que les FAI peuvent être sanctionnés s’ils n’identifient pas une adresse IP qui leur est communiquée par l’HADOPI comme contrevenante.
Cependant, ni l’un ni l’autre de ces deux décrets ne prévoyait d’obligation ni de sanction à l‘égard de ces mêmes FAI s’ils n’adressent pas de courriels d’avertissement à leurs abonnés… Ainsi, en refusant d’adresser les courriels d’avertissement, Free n’a donc manqué à aucune obligation légale… Une immunité toutefois de court terme.
En effet, en réaction à cette « rébellion », un nouveau décret n° 2010-1202 du 12 octobre 2010 modifiant l’article R. 331-37 du code de la propriété intellectuelle, a publié en urgence, pour pallier ces insuffisances. Celui-ci prévoit que « Les opérateurs sont tenus d’adresser par voie électronique à l’abonné chacune des recommandations mentionnées respectivement au premier et au deuxième alinéa de l’article L. 331-25, dans un délai de vingt-quatre heures suivant sa transmission par la commission de protection des droits », sous peine d’une amende de 1500 euros.
Il convient cependant de noter que selon la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 1998, une mesure pénale « qui vise spécifiquement un service de la société de l’information » doit être notifiée, aux services de la Commission européenne.
A ce titre, en cas de sanction sur la base du décret, tout fournisseur d’accès pourra arguer devant le juge de l’inopposabilité du texte. Ainsi, en réponse à ce décret, Xavier Niel vient d’annoncer dans une interview donnée aux Echos que Free va commencer à envoyer des e-mails dès aujourd’hui, tout en précisant « Nous contesterons ce nouveau décret, qui nous semble illégal ».
Le dernier décret HADOPI en date ne règle cependant pas une dernière question, cruciale, celle du financement des frais d’identification de l’adresse IP et de l’envoi des courriels. La prise en charge de ces coûts, supportés a priori par les FAI, est en effet susceptible d’être sanctionnée au titre de la rupture d’égalité devant les charges publiques …
Au-delà et sans entrer sur le débat relatif aux moyens (aisés) de contournement des dispositifs HADOPI (lecture en streaming, services de téléchargement et d’échanges du types Megaupload et autres Rapidshare, émergence des serveurs privés virtuels –ou VPN…), rappelons que Free a depuis le début compris (et plus vite a priori que le législateur), que la réponse au téléchargement, au-delà de la guerre marketing et des effets d’annonce), loin de léser les auteurs, résidait dans le fait de proposer des nouveaux modèles économiques de distribution des œuvres, correspondant réellement aux nouveaux usages des internautes et à leurs exigences de mobilité et d’interopérabilité.
La réponse de Free depuis 2007, Deezer (au capital duquel s’est invité depuis peu Orange, qui a semble-t’il senti le vent tourner…). Le site d’écoute en streaming d’oeuvres musicales possède en effet deux versions : l’une gratuite, avec insertion de publicité entre les titres lors de l’écoute, et de publicité visuelle ; et l’autre, sans publicité, reposant sur un abonnement, permettant entre autres, l’écoute sur téléphone mobile… Alors que Free entrera prochainement dans le cercle très privé des opérateurs mobiles en France, avec un objectif de chiffre d’affaires à 4 milliards d’euros d’ici 2012.
Juriste Droit des Médias
Doctorante PI & NTIC
Sources :