Les années Covid ont coïncidé avec la disparation du RSI « Régime Social des Indépendants ».
Pour mémoire, avant 2018, la majorité de ces cotisations sociales étaient appelées et cotisées par le RSI qui, durant sa vie d’organisme de sécurité sociale, a connu de nombreuses contestations et critiques, la Cour des Comptes allant jusqu’à qualifier la gestion du RSI de « catastrophe industrielle » [1].
Finalement, le Décret n° 2018-174 du 9 mars 2018 relatif à la mise en œuvre de la réforme de la protection sociale des travailleurs indépendants prévue par l’article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 supprimait le RSI au bénéfice du régime général des URSSAF lequel supposait une phase de transition et de pilotage avec un comité qui devait cesser au 31 décembre 2020.
Et le Covid arriva avec son lot d’aides de l’Etat, de gel de cotisations, en somme le « quoi qu’il en coûte » souvent mis en avant dans les médias.
C’est ainsi que durant les années 2020 à 2022, les URSSAF (et la CGSS en outre-mer) qui avaient repris les comptes « TI – travailleurs indépendants » des cotisants du RSI se faisaient discrètes et ralentissaient notablement les recouvrements de dettes parfois anciennes ou contestées.
Depuis le début l’année 2023, l’Etat n’a pas caché sa volonté de renforcer les contrôles fiscaux et sociaux sifflant la fin de la récréation pour les indépendants.
C’est ainsi que nombre d’entre eux reçoivent désormais en préalable à des mises en demeure des « états de dettes » pour des cotisations datant parfois de dix années héritées de l’ancien RSI sans qu’ils comprennent toujours pourquoi ces sommes sont soudainement rappelées.
Ces cotisants désemparés à la vue de relevés présentant parfois des sommes colossales sont démunis et ne se voient ouvrir la plupart du temps que deux options :
- soit attendre une mise en demeure et entamer un contentieux contre l’organisme,
- soit négocier un échéancier (ce qui leur est d‘ailleurs suggéré par l’organisme) alors qu’ils contestent devoir de telles sommes.
Les deux situations ne sont pas exemptes de conséquences :
Pour la première le cotisant peut tout à fait contester les sommes réclamées à la réception de la mise en demeure mais son émission entraine des conséquences importantes et place l’indépendant dans une situation de « mauvais payeur a priori » ce qui fragilise sa position devant le juge.
Pour la seconde, le cotisant se retrouve souvent seul devant l’organisme qui lui propose un échéancier et n’entend pas forcément ses arguments, notamment sur les sommes potentiellement prescrites.
Il existe en réalité une troisième voie potentielle fort peu utilisée par les professionnels mais qui dans la situation typique post Covid que nous connaissons mérite que l’on s’y intéresse.
Elle consisterait à demander à l’URSSAF de prendre en compte les arguments du cotisant avant l’émission de la mise en demeure sur la base du relevé adressé par l’organisme ou du solde de compte présent sur le site du travailleur indépendant.
Elle présente cependant une difficulté d’ordre procédural qu’il faut prendre en compte.
En effet, les réclamations relevant du contentieux général de la sécurité sociale formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme (CSS art. R 142-1).
Or, sous réserve des exceptions suivantes :
- l’opposition à contrainte ;
- les contestations relatives au recouvrement des cotisations par la voie de la procédure sommaire ;
- les réclamations contre les décisions émanant du conseil d’administration de l’organisme ;
- les contestations relatives à la répartition du coût des accidents du travail et maladies professionnelles entre entreprises utilisatrices et entreprises de travail temporaire ;
- les contestations relatives à l’attribution, au refus d’attribution, à la suspension ou à la révision de l’allocation supplémentaire.
- et du cas particulier des actions en dommages-intérêts engagées contre les organismes de sécurité sociale échappent à cette règle [2].
Toutes les réclamations relevant du contentieux général doivent obligatoirement faire l’objet d’une saisine de la commission de recours amiable avant tout recours devant le tribunal ; à défaut la demande est irrecevable.
Or, pour saisir la Commission de recours Amiable il faut lui soumettre une décision de l’organisme, qui est dans la plupart des cas : une mise en demeure.
La commission de recours amiable ne statuant que sur les réclamations formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale, la demande portée directement devant la commission et le tribunal sans avoir été formulée au préalable devant l’organisme concerné est irrecevable [3].
C’est ainsi qu’une difficulté procédurale majeure apparaît et qui n’a pas été explicitement prévue par un texte sur le cas suivant :
si un cotisant n’est pas d’accord sur le décompte des sommes qui lui sont présentées par l’organisme (ou consultable sur le site) et qu’il ne veut pas attendre une décision de mise en demeure pour faire valoir ses arguments comment peut-il saisir la commission de recours amiable (et ensuite le tribunal) en l’absence de décision ?
La question est épineuse car lui fermer toute discussion reviendrait à le placer de facto en situation de défendeur sur une mise en demeure, le privant en quelque-sorte de la qualité de demandeur.
Si l’on en croit la Cour de cassation à qui a été soumis cette question et reprise par la RJS 3/02 n°351 :
« Dès lors que, selon l’article R 142-1 du Code de la sécurité sociale, le requérant doit préalablement saisir la commission de recours amiable de tout litige portant sur une demande formée auprès d’un organisme social, et qu’aucune impossibilité d’agir n’est invoquée, l’irrecevabilité ne peut qu’être opposée à une saisine directe du tribunal des affaires de sécurité sociale.
En effet, et à supposer que par sa carence à traiter d’une réclamation, la caisse ne notifie pas sa décision de rejet de celle-ci, le recours ne sera jamais frappé de forclusion devant la commission de recours amiable, ni par voie de conséquence devant le tribunal.
Par ailleurs, rien ne s’oppose à ce qu’un assuré saisisse la commission de recours amiable à l’encontre du silence abusif d’une caisse privant l’assuré de ses droits. La commission devant laquelle serait portée la contestation serait supposée avoir rejeté le recours en cas de silence valant implicitement rejet à l’issue d’un mois, en application de l’article R 142-6 » [4].
Partant de ce raisonnement, le cotisant pourrait mettre en demeure l’organisme de sécurité sociale de prendre position sur ses arguments (de prescription ou recalcul de dette notamment) et, dans le cas de rejet explicite ou implicite, il semblerait que celui-ci puisse dès lors endosser la qualité de demandeur en saisissant la Commission de Recours Amiable et si besoin les juridictions de fond.
Ainsi, tout cotisant aurait intérêt à faire d’ores et déjà le point des sommes potentiellement dues par les organismes de sécurité sociale et agir sur ses contestations sans attendre qu’on les lui réclame.