Par suite, l’illégalité de la décision d’autorisation de lotir ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre l’autorisation d’occupation des sols.
La problématique soumise au Conseil d’Etat, et ayant conduit à son arrêt du 22 décembre 2022 (n°458524, Cne Bonneville-sur-Touques), n’annonçait à priori rien de très révolutionnaire.
Mais c’était sous-estimer la capacité du Conseil d’Etat à bousculer des solutions que l’on croit bien établies.
1) Une SCI avait obtenu du juge des référés du Tribunal administratif de Caen la suspension de l’exécution de deux permis de construire délivrés par le maire de Bonneville-Sur-Touques à une autre SCI, dénommée Medan.
Les deux permis de construire portaient chacun sur l’édification d’une maison d’habitation et un garage.
Les garages devaient respectivement être implantés sur les lots 2 et 3 du lotissement.
Antérieurement, le maire de la commune avait en effet délivré un certificat d’urbanisme pour la création d’un lotissement de trois lots.
Puis, en 2019, le maire avait délivré un arrêté de non-opposition à déclaration préalable portant division en vue de créer deux lots à bâtir.
C’est ensuite, que par deux arrêtés du 13 janvier 2021, il a délivré à la société Medan, pour chacun de ces deux lots, un permis de construire une habitation individuelle et un garage en annexe.
Le juge des référés a donc fait droit à cette demande de suspension et le bénéficiaire des deux permis de construire a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
2) Dans son arrêt, la haute juridiction administrative rappelle tout d’abord le principe selon lequel l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale.
Elle indique ensuite que s’agissant d’un acte réglementaire, une telle exception peut être formée à toute époque, même après l’expiration du délai du recours contentieux contre cet acte. En revanche, s’agissant d’un acte non réglementaire, l’exception n’est recevable que si l’acte n’est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l’acte et la décision ultérieure constituant les éléments d’une même opération complexe, l’illégalité dont l’acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.
Ensuite, le Conseil d’Etat examine immédiatement le rapport entre autorisation d’occupation des sols et autorisation de lotir, pour en conclure que la seconde n’est pas la base légale de la première :
« une autorisation d’occupation des sols délivrée sur l’un des lots issus d’une division foncière ayant donné lieu à une autorisation de lotir n’est pas prise pour l’application de la décision par laquelle l’administration a délivré l’autorisation de lotir, cette dernière ne constituant pas non plus la base légale de la première ».
En conséquence, pour le Conseil d’Etat, l’illégalité de la décision d’autorisation de lotir ne peut pas être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre l’autorisation d’occupation des sols.
L’ordonnance de référé ayant au contraire retenu que le permis de construire devait être suspendu par le mécanisme de l’exception d’illégalité au motif que le maire de Bonneville-sur-Touques aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en prenant un arrêté de non-opposition à déclaration préalable de division foncière pour un projet de construction de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme intercommunal, elle est annulée par le Conseil d’Etat.
Enfin, statuant au fond le Conseil d’Etat écarte chacun des moyens contre les permis de construire, ces derniers n’étant pas de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions en litige.
Les recours contre les permis de construire sont rejetés.
3) Les conclusions du rapporteur public nous apprennent que les terrains d’assiette des deux projets constructifs étaient situés en zone agricole dans le PLUi en cours d’élaboration.
Ce dernier était d’ores et déjà prescrit à la date de délivrance des permis litigieux et le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durable avait eu lieu.
Il est donc, il est vrai que, dans un autre contexte, le maire de la commune aurait eu à opposer un sursis à statuer aux demandes d’autorisations d’urbanisme qui lui étaient soumises.
Néanmoins, en l’espèce, le bénéficiaire du permis de construire disposait d’un certificat d’urbanisme qui lui faisait bénéficier d’une cristallisation des règles d’urbanisme.
L’inscription de ses parcelles en zone agricole dans le PLUi en cours d’élaboration ne lui était donc pas opposable, y compris au moyen d’un sursis à statuer.
Mais là n’est pas le sujet qu’avait à traiter le Conseil d’Etat pour examiner le bienfondé de la suspension prononcée par le juge des référés du tribunal administratif.
4) Le Conseil d’Etat s’est en effet concentré sur le sujet de l’exception d’illégalité.
Pour mémoire, le mécanisme de l’exception d’illégalité n’est pas nouveau.
Le principe a été par exemple rappelé par un arrêt du Conseil d’Etat du 11 juillet 2011 : « l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale » (CE, 11 juillet 2011, n°320735).
Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que « En raison des effets qui s’y attachent, l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l’annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n’auraient pu légalement être prises en l’absence de l’acte annulé ou qui sont en l’espèce intervenues en raison de l’acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l’acte annulé et de celles dont l’acte annulé constitue la base légale » (CE, 30 décembre 2013, n°367615).
Dans un précédent arrêt, le Conseil d’Etat avait retenu au sujet du lien entre autorisation de lotir et permis de construire que :
« si les règles de portée générale que l’auteur de l’autorisation de lotir prend, le cas échéant, l’initiative d’édicter dans le règlement du lotissement ou le programme des travaux présentent un caractère réglementaire et si, par suite, l’exception d’illégalité de ces règles peut être invoquée sans condition de délai, il n’en va pas de même de la décision par laquelle l’autorité administrative délivre à une personne l’autorisation de lotissement ; qu’il suit de là qu’en retenant comme susceptible de faire naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire accordé à M. Z..., le moyen tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité de l’autorisation de lotissement dont ce dernier bénéficiait, sans examiner si, comme le Territoire de la Polynésie Française le soutenait devant lui, à la date de la requête, l’autorisation de lotir accordée à M. Z... n’était pas devenue définitive, le juge des référés a entaché son ordonnance d’une erreur de droit ; que, par suite, le Territoire de la Polynésie Française est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée » (CE, 15 octobre 2003, n°255623).
Dans ce précédent arrêt, le Conseil d’Etat retenait donc que l’illégalité de l’autorisation de lotir pouvait être invoquée par exception d’illégalité à l’encontre du permis de construire, à la condition que les dispositions dont l’illégalité est invoquée par le requérant soient de nature réglementaire. A défaut, s’agissant de dispositions de nature non réglementaires, il fallait alors que l’autorisation de lotir ne soit pas devenue définitive.
Dans l’arrêt ici commenté du 22 décembre 2022, tel n’est pas le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat.
En effet, dans ce dernier, le Conseil d’Etat se contente d’affirmer que « l’autorisation d’occupation des sols délivrée sur l’un des lots issus d’une division foncière ayant donné lieu à une autorisation de lotir n’est pas prise pour l’application de la décision par laquelle l’administration a délivré l’autorisation de lotir, cette dernière ne constituant pas non plus la base légale de la première ».
Dès lors, par principe, l’illégalité éventuelle de l’autorisation de lotir ne peut pas être invoquée par exception d’illégalité à l’encontre du permis de construire. Cette solution semble désormais s’appliquer, que les dispositions de l’autorisation de lotir invoquées soient de nature réglementaire ou pas, que l’acte soit encore attaquable ou pas.
Cette solution nous surprend. Selon nous, la question pertinente pour faire application de l’exception d’illégalité, est celle de savoir si la décision initiale était nécessaire pour que la décision attaquée soit délivrée.
Si la décision initiale est nécessaire à la décision attaquée, alors l’exception d’illégalité devrait pouvoir trouver à s’appliquer.
En l’espèce, en l’absence de division du terrain, le permis de construire ne pourrait pas être délivré sur le lot crée par l’autorisation de lotir.
En tout cas, les règles du PLU ne s’appliqueraient pas de la même manière puisqu’elles seraient examinées au regard de l’ensemble de l’unité foncière, et non plus au regard du seul lot qui constitue l’assiette du projet litigieux.
Le rapporteur public avait d’ailleurs conclu à l’application de l’exception d’illégalité au cas d’espèce.
Il rappelait ainsi que « Il n’y a guère de doute qu’il est possible, à l’appui d’un recours contre un permis de construire, d’invoquer l’illégalité des dispositions réglementaires attachées à l’autorisation de lotir ».
Le Conseil d’Etat avait précisément jugé que « Considérant que la décision accordant un permis de construire concernant un terrain soumis à un plan d’occupation des sols opposable aux tiers et situé dans un lotissement doit respecter tant les prescriptions édictées par ce plan que les dispositions réglementaires régissant les constructions dans le lotissement, à l’exception de celles de ces règles qui ne seraient pas conciliables » (CE, 5 décembre 1994, n°137353).
Le rapporteur public souligne ensuite ce qui nous semblait être une évidence : « l’autorisation de lotir est accordée en vue de la délivrance de permis de construire. Le lotissement est défini par l’article L442-1 du Code de l’urbanisme comme la division d’une unité foncière ayant pour objet de créer des lots destinés à être bâtis. Un permis de construire ne peut être délivré dans le périmètre d’un lotissement qui n’a pas été autorisé. L’autorisation de lotir est une condition de la délivrance du permis sur le lot détaché ».
Il ajoute qu’« indépendamment même des dispositions réglementaires qui y sont associées, l’autorisation de lotir détermine largement le cadre dans lequel la légalité du permis sera appréciée, en particulier la version du plan local d’urbanisme qui sera applicable et l’unité foncière au regard de laquelle sera vérifié le respect des règles d’urbanisme ».
En effet, la haute juridiction administrative avait retenu dans un précédent arrêt du 24 février 2016 que :
« les lotissements, qui constituent des opérations d’aménagement ayant pour but l’implantation de constructions, doivent respecter les règles tendant à la maîtrise de l’occupation des sols édictées par le Code de l’urbanisme ou les documents locaux d’urbanisme, même s’ils n’ont pour objet ou pour effet, à un stade où il n’existe pas encore de projet concret de construction, que de permettre le détachement d’un lot d’une unité foncière ; qu’il appartient, en conséquence, à l’autorité compétente de refuser le permis d’aménager sollicité ou de s’opposer à la déclaration préalable notamment lorsque, compte tenu de ses caractéristiques telles qu’elles ressortent des pièces du dossier qui lui est soumis, un projet de lotissement permet l’implantation de constructions dont la compatibilité avec les règles d’urbanisme ne pourra être ultérieurement assurée lors de la délivrance des autorisations d’urbanisme requises » (CE, 24 février 2016 n°383079).
Dès lors, si l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 décembre 2022 permet incontestablement une simplification du contentieux des autorisations d’urbanisme, il est également une petite révolution de la qualification du lien entre permis de lotir et permis de construire.