Il est certes possible de penser que le contrôle international c’est-à-dire au-delà de celui exercé par les États eux même reste inexistant quand la question reste à l’abri de tout écrit ; néanmoins, dès l’instant où l’existence est démontrée, la question de sa mise en œuvre effective reste la seule question valable en suspens. Ainsi, la lecture d’un certain nombre de textes faisant mention de la nécessité d’un contrôle, semble abonder la question dans le même sens que nous.
Surtout quand les organisations communautaires soutiennent cette initiative dans leurs textes, qui sont à leurs tours, adoptés par les États. La question des finances publiques relevant d’une sensibilité élevée, son encadrement c’est-à-dire sa gestion, mérite d’être contrôlé.
C’est pourquoi une directive de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) pouvait laisser voir :« L’argent public est au cœur de l’État de droit et de la démocratie. La collecte et l’utilisation des fonds publics respectent les principes de l’État de droit : la légalité, la transparence, le contrôle démocratique et la responsabilité ».
C’est en connaissance de cause donc que les organisations communautaires ont accordé cette prérogative à certains de leurs organes dont le parlement qui nous intéresse dans la présente étude. D’aucuns pourraient s’interroger sur le contenu du contrôle exercé par le parlement ; et en cela, nous nous proposons d’apporter une réponse à la question suivante : les parlements de l’UEMOA et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) exercent ils un contrôle sur les finances publiques de leurs Etats membres ?
Le contrôle Parlementaire ou en d’autres termes, démocratique est celui qui relève de la compétence des Parlements communautaires. Il est à ce titre prévu par le traité de l’UEMOA en tant que contrôle démocratique. Sauf dénomination contraire, ce contrôle est prévu par les traités constitutifs de l’UEMOA et de la CEMAC et il consiste d’une part en un contrôle évaluatif (I) et d’autre part en un contrôle consultatif (II).
I. Un contrôle évaluatif des parlements communautaires.
L’évaluation des parlements au sein des deux communautés s’inscrit dans une logique ; un cadre bien défini. En effet, attribution est donnée aux parlements d’évaluer les systèmes de contrôle des Cours des comptes nationales (B) comme communautaires (A).
A- Une évaluation des systèmes de contrôle des Cours des comptes communautaires.
« Le Parlement est saisi du rapport annuel (…) de la Cour des Comptes de l’UEMOA sur l’évaluation des systèmes de contrôle des comptes en vigueur dans l’Union ». Ce passage, tel qu’énoncé, ne laisse aucun doute quant au contrôle de la Cour des comptes de l’UEMOA sur les systèmes de contrôle que celle-ci applique. Appelé également Comité Inter Parlementaire (CIP), le Parlement de l’Union a été mis en place en mars 1998. Il est ainsi compétent pour évaluer les systèmes de contrôle des Cours des Comptes des Communautés.
Au niveau de la CEMAC, cela est perceptible au niveau de l’article 21 de la convention régissant le parlement de la CEMAC. En effet, selon le traité, « le Parlement est chargé du contrôle démocratique des institutions, organes et institutions spécialisées participant au processus décisionnel de la Communauté ». Ce contrôle démocratique s’exprime et s’explique par les débats ayant lieu en session du Parlement sur les questions soulevées.
Et là, il est pratiquement similaire au Parlement de l’UEMOA. Son contrôle relevant d’une importance certaine, peut être confirmé par Henri Michel Crucis qui pouvait laisser voir que « le contrôle des finances publiques est un impératif démocratique ». Il peut se justifier par l’implication de tous, dans l’orientation à donner à la Communauté.
D’un regard comparatif, nous aborderons le cas du Parlement européen qui est en charge de l’aspect politique du contrôle de l’exécution budgétaire. Il exerce un contrôle budgétaire qui se veut en cours d’exécution et a posteriori.
En son sein, la Commission européenne, responsable de l’exécution budgétaire, se doit de rendre compte à celle-ci sous forme de rapports mensuels de l’état de l’évolution des dépenses et de la façon dont celles-ci sont effectuées. Il s’agit là d’un contrôle qui se veut sérieusement instaurer avec des mécanismes similaires à ceux des États en interne.
Mais en lien avec le Parlement, la Commission européenne transmet à la Commission de contrôle budgétaire, un rapport présentant le bilan financier de l’exercice écoulé et un état des finances à mi- exercice pour l’exercice en cours.
A la suite de cette transmission, la Commission du contrôle budgétaire et celle du budget peuvent poser toutes questions utiles à la Commission européenne. Elles peuvent également auditionner cette dernière qui est tenue de répondre. L’article 319 du TFUE dispose que le Parlement européen donne décharge à la Commission européenne au vu des propositions desdites Commission s internes, du rapport de la Cour des comptes et des recommandations des ministres des Finances réunis en Conseil.
B- Une évaluation des systèmes de contrôle des Cours des comptes nationales.
Prévu, par le traité de l’UEMOA, le Parlement communautaire fait l’objet d’un traité spécial. Ainsi, l’évaluation des systèmes de contrôle des Cours des comptes nationales relève du parlement. Il s’agit là, d’une prérogative reconnue aux parlements communautaires, se justifiant par l’article 21 commun aux Traité et Convention régissant les parlements des deux Communautés. Il y est mentionné que le parlement procède à l’évaluation des systèmes de contrôle des Cours des comptes nationales des États membres.
Dans le cadre du contrôle démocratique des finances publiques au sein des États membres de l’UEMOA, Le Parlement est dans le cadre de ses compétences, saisi du rapport annuel conjoint de la Cour des Comptes de l’UEMOA et des Cours des Comptes des États membres sur l’évaluation des systèmes de contrôle des comptes en vigueur dans l’Union. Le rapport de la Cour des Comptes de l’UEMOA sur l’exécution des budgets de l’Union est communiqué au Parlement, pour information.
Prévu dans le traité portant création de l’UEMOA, le Parlement contrôle ainsi annuellement, évalue les systèmes de contrôle des comptes. Quoique cette évaluation soit suivie d’avis et de recommandation, elle constitue tout de même un contrôle. D’aucuns pourraient reprocher le caractère de contrôle à cette évaluation parce que n’étant pas suivi de contrainte, cependant, il est à noter que l’évaluation en elle-même constitue une sorte de contrôle. Le vocabulaire juridique de Gérard Cornu nous indique que l’évaluation est l’appréciation de l’application d’une loi, d’un texte.
Une appréciation a posteriori des choix et des résultats de ce texte dans la perspective d’un nouvel examen. Pour notre part, ce contrôle Parlementaire des finances publiques tel qu’exercé, quoi critiquable est d’abord salutaire. Même si ce contrôle n’est pas assorti de sanctions à l’image du droit interne, il est important que le parlement, ait un regard sur les systèmes de contrôle des comptes des États afin que ceux-ci puissent bien évidemment en tenant compte des avis et recommandations, avoir un contrôle efficient pour garantir une bonne gestion des finances publiques. Cela d’autant plus que Philip Loïc affirme que le contrôle des finances publiques est essentiel pour assurer une bonne gestion des services publics et éviter le gaspillage et les détournements de deniers publics. À cet effet, il en va de soi que ce contrôle soit apprécié. Seulement, voudrions nous plus de rigidité afin de contraindre les États à appliquer les textes, les normes, comme il se devrait.
Egalement dans cette même veine, le Parlement exprime ses vues sous forme de recommandations, d’avis, simples ou conformes, ou de propositions d’amendements.
En dehors de la faculté évaluative reconnue aux parlements communautaires, le contrôle consultatif relève également des prérogatives des parlements communautaires.
II. Un contrôle consultatif des parlements communautaires.
Au sein de la Communauté de l’Afrique Centrale également, à l’image de l’UEMOA, le contrôle démocratique est du ressort du Parlement. Celui-ci dispose de prérogatives de consultation facultative (A) comme obligatoire (B).
A- Une consultation facultative.
Le Parlement communautaire est, selon le traité de l’UEMOA, un organe de contrôle des activités de la Communauté. Et cela est d’autant plus vrai lorsque le traité mentionne que « Le contrôle des activités de la Communauté est assuré respectivement par le Parlement communautaire… ». Ce dernier est institué et réglementé par une convention séparée, qui fera l’objet d’une analyse, mais avant, nous nous contenterons de nous prononcer sur ledit organe lui-même. Le parlement a ainsi, à titre de contrôle consultatif, des options facultatives.
Le rapport de la Cour des Comptes de la CEMAC sur l’exécution du budget de la Communauté est communiqué au Parlement pour information. Lequel peut constituer des Commissions temporaires d’enquête, à la demande du quart des Députés. La décision est prise à la majorité absolue des Députés composant le Parlement.
En ce qui concerne le contrôle des finances publiques des États membres de la CEMAC, le Parlement communautaire de la CEMAC,
« Le Parlement est saisi du rapport annuel de la Cour des comptes de la Communauté et des Cours ou chambres des comptes des États membres sur l’évaluation de systèmes de contrôle des comptes en vigueur dans la CEMAC.
Le rapport de la Cour des comptes de la CEMAC sur l’exécution du budget de la Communauté au Parlement pour information ».
A la lecture de cet article similaire au traité de l’UEMOA sur le Parlement communautaire, il va de soi que même si ce contrôle parait peu visible ou même mitigé, il existe. Le Parlement exerce effectivement un contrôle sur les systèmes de contrôle des comptes exercés par les Cours nationales. De la sorte, elle s’assure que les Cours contrôlent conformément aux principes arrêtés par l’INTOSAI, puis donne son avis, ou ses recommandations sur la question.
Le Parlement dispose également du droit d’entendre les responsables de certains organes sur leur fonctionnement. En effet, celui-ci peut, à son initiative ou à leur demande, entendre le Président du Conseil des ministres ou du Comité ministériel, le Président et les membres de la Commission, les responsables des Organes et des Institutions spécialisées de la CEMAC.
Dans le cadre du contrôle démocratique, le Parlement exprime ses vues sous forme de résolutions ou de rapports. Mais aussi, il peut être consulté sur les projets d’Actes Additionnels, de règlements et de directives. Cette consultation facultative à la base est obligatoire dans les domaines concernant l’adhésion de nouveaux États membres, les accords d’association avec les Etats tiers, le budget de la Communauté, les politiques sectorielles communes, le droit d’établissement et la libre circulation des personnes, des biens et des services, la procédure d’élection des membres du Parlement de la CEMAC, les taxes et tous prélèvements communautaires.
B- Une consultation obligatoire conditionnée.
Le rôle consultatif du parlement en matière budgétaire touche des matières que les États signataires du traité instituant le parlement ont jugées opportun d’énumérer. Il s’étend à la fois sur les dépenses et sur les recettes sans aucune discrimination entre les différentes catégories de dépenses ou de recettes.
L’article 25 du traité de création de l’UEMOA dispose qu’en effet, que la consultation du parlement est obligatoire pour les budgets de l’Union, les politiques sectorielles, les impôts, taxes et tous prélèvements communautaires.
Par conséquent, l’adoption des politiques communes est, depuis la création du traité, théoriquement soumise à la consultation obligatoire du parlement. Cette disposition a conduit à la modification du protocole additionnel II relatif aux politiques sectorielles en son article 25 (protocole additionnel IV portant modification du protocole additionnel II). De même aucun impôt, taxe, et prélèvement communautaire ne pourraient être créés en dehors de la consultation préalable du parlement. Cette disposition pourrait laisser croire à une certaine emprise ou droit de regard réel du parlement sur la création de prélèvement obligatoire et sur la répartition des dépenses dans la communauté.
De même il est reconnu un droit d’amendement au parlement. Après que le projet de budget a été établi par la commission, il est transmis au parlement au plus tard 15 jours avant le début de la 2ème session ordinaire (2ème lundi d’octobre). Pendant l’examen du projet de budget à lui transmis, le parlement peut proposer des amendements au projet de budget. Il a 30 jours à compter de sa saisine pour examiner et proposer ses amendements. Après quoi, il transmet le projet de budget accompagné des éventuels amendements à la Commission. Si dans l’UE, le pouvoir budgétaire du parlement varie selon qu’il s’agit de dépenses obligatoires ou de dépenses non obligatoires, le pouvoir d’amendement du parlement en Afrique ne souffre pas de telles restrictions. Il peut donc porter sur tous les domaines de la consultation.
Cependant, la portée réduite d’une consultation obligatoire qui n’est ni un avis conforme, ni l’expression d’un véritable droit de décision, limite la portée des pouvoirs ainsi reconnus au parlement. Il n’a, en principe, aucune capacité d’influencer le processus budgétaire puisqu’il ne dispose pas du dernier mot. Ce qui implique que, des prélèvements communautaires et des dépenses qu’il n’a pas approuvés, peuvent être autorisés à l’occasion du vote du budget. De plus, contrairement au parlement européen qui a la possibilité de rejeter le projet de budget en bloc à défaut d’un pouvoir budgétaire suffisamment accru, les parlements de l’UEMOA et de la CEMAC n’ont pas de pouvoir de rejet. Son avis conforme est requis pour des domaines complètement étrangers à la procédure budgétaire. Bien évidemment, cette situation est contraire à ce qui prévaut dans l’ordre interne des États.
Bibliographie.
I- Dictionnaire.
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II- Ouvrage généraux.
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III- Articles.
Bagagna Bégni, « Le principe de transparence dans les finances publiques des États membres de la CEMAC », Revue Africaine des Finances Publiques, n°2, 2017, p. 186.
Bagagna Begni, « Réflexions sur le contrôle international des finances publiques : le cas des États d’Afrique subsaharienne francophone », Revue Africaine des Finances Publiques, n°7, 2020, p. 37.
Bertrand Brunessen, « La nouvelle approche du droit de l’intégration », in L’identité du droit de l’Union européenne, Mélanges en l’honneur de Claude Blumann, édition Bruylant, Bruxelles, 2015, p. 553.
Boullanger Hervé, « Les institutions supérieures de contrôle à l’heure de la maitrise des dépenses publiques », Revue Géoéconomie, n°67, 2013/4, pp. 207-221.
IV- Thèse.
Ouedraogo Djibrihina, L’autonomisation des juridictions financières dans l’espace UEMOA. Étude sur l’évolution des Cours des comptes, Thèse pour le doctorat en droit présentée et soutenue publiquement le 29 novembre 2013 à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, 672 p.
Sawadogo Elvis Flavien, Les instruments de la convergence des politiques budgétaires dans la zone UEMOA, Thèse de doctorat en Droit à l’Université de Bordeaux, 2016, 547p.