Le directeur technique (et associé) d’une société spécialisée dans la conception et la commercialisation de logiciels, qui avait développé plusieurs logiciels pour le compte de son employeur, avait été licencié pour faute lourde pour avoir effacé les codes sources de tous les logiciels présents sur le serveur de la société.
Attaqué par son ex-employeur, qui lui demandait la restitution des codes sources des logiciels qu’il avait développé et des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l’impossibilité de continuer à exploiter lesdits logiciels, le directeur technique répliqua qu’il était l’auteur des logiciels en cause et demanda reconventionnellement la condamnation de la société pour contrefaçon de ses droits d’auteur.
Mais c’était sans compter les dispositions spécifiques de l’article L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) : "Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer."
En l’espèce, le défendeur ne rapportant pas la preuve que le développement des logiciels litigieux avait été opéré avant la prise d’effet de son contrat de travail d’une part, et la demanderesse ayant pu produire une lettre d’embauche précisant clairement que le directeur technique était embauché pour développer des logiciels d’autre part, le tribunal ne pouvait qu’appliquer la disposition précitée et constater que l’employeur "dispose des droits patrimoniaux sur ces logiciels" (2).
La règle précitée de l’article L.113-9 du CPI déroge donc expressément à la règle générale en droit d’auteur selon laquelle (i) "l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous" et (ii) "l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa" (article L.111-1, al. 1 et 3, CPI) (3).
Si dans bien des domaines industriels, celui de la mode par exemple, le droit d’auteur est perçu comme une contrainte pour les employeurs, qui se doivent de respecter les règles parfois strictes du droit d’auteur, et notamment celles relatives à la cession des droits, le législateur a spécifiquement prévu, en matière logicielle, des règles dérogatoires destinées à favoriser les investissements, sans doute encouragé par le caractère technique très marqué de ce domaine de création.
Le droit d’auteur n’est donc pas systématiquement l’ennemi des entreprises. Ajoutons pour conclure, que les entreprises du secteur informatique, comme les autres, peuvent également s’appuyer sur les dispositions de l’article L.113-5 du CPI, relatives à la titularité des droits d’auteur sur les œuvres collectives, qui peuvent leur être favorables, sous réserve d’être bien comprises et mises en œuvre.
NOTES :
(1) TGI Bobigny, 26 avril 2011, 5ème ch., 3ème sect.
(2) Précisons que par dérogation aux règles de compétence rationae materiae, pour l’application des dispositions de l’article L.113-9 du CPI, le tribunal de grande instance du lieu d’établissement du siège social de l’employeur est seul compétent.
(3) En réalité, notons que les droits patrimoniaux et moraux sur l’œuvre que constitue un logiciel, sous réserve qu’il soit original, naissent bien en faveur de l’auteur-salarié personne physique. Le Code prévoit simplement que les droits patrimoniaux sont automatiquement dévolus à l’employeur.