Un récent arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2009 (pourvoi 08-86777) nous donne l’occasion de confronter l’arsenal accusatoire de répression routière à l’une des principales causes exonératoires de responsabilité : la force majeure.
Le contentieux de la circulation routière intègre comme beaucoup d’autres disciplines juridiques l’exception de force majeure comme une cause exonératoire de responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction.
Pour échapper à la sanction, précisent les dispositions de l’article L. 121-3 du Code de la route, le titulaire de la carte grise doit démontrer l’existence d’un cas de force majeure qui justifierait la commission de l’infraction relevée à son encontre.
Si le cas de force majeure est juridiquement admis comme un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur au conducteur ou à sa conduite, le Code de la route reste taisant sur la définition.
En matière de circulation routière, autant dire que l’évocation du cas de force majeure comme moyen légal d’exonération pénale relève plutôt de l’habitude rédactionnelle du législateur que d’une prise en compte des circonstances réelles pouvant être subies par un conducteur.
D’aucuns s’interrogeront sur la nature de l’événement qui emporterait la conviction d’un juge à exonérer un contrevenant sur ce seul motif.
C’est donc une fois de plus la jurisprudence qui supplée les carences du législateur.
Si l’étude de la matière ne nous permet pas de déterminer l’exacte définition du cas de force majeure, elle nous permet autant que de besoin de définir ce qui n’en est pas un.
La jurisprudence observe une stricte appréciation des événements extérieurs de nature à influer sur le comportement du conducteur.
Les tribunaux écartent systématiquement toute cause exonératoire de responsabilité du fait du conducteur ou des autres usagers.
Ainsi, la Cour de cassation écarte le cas de panne d’essence du véhicule pour justifier un stationnement gênant qui selon elle ne satisfait pas la définition du cas de force majeure puisque « tout conducteur est à même de prévoir et de prévenir une telle circonstance (Cass.crim., 12 février 1957, Bull.crim., n°133).
De la même manière, l’état de nécessité pour justifier la commission d’une infraction de changement de direction sans précaution ni avertissement « ne saurait être constituait dès lors qu’il appartient à chaque conducteur de respecter les distances de sécurité afin de pouvoir anticiper les manœuvres des autres conducteurs » (Cass.crim., 15 mai 2002, JPA 2002, p.336).
Et pour cause, le conducteur doit être maître de son véhicule en toute circonstance.
L’appréciation de la contrainte physique ne rencontre pas plus de succès judiciaire.
Récemment, la Cour de cassation saisie de cette question, a écarté d’une manière pour le moins surprenante la contrainte physique comme cause d’exonération de responsabilité de l’auteur de l’infraction.
La Cour n’a pas manqué de censurer la décision de première instance estimant que le juge de proximité n’avait pas, selon elle, justifié sa décision après avoir pourtant relevé, d’une part, que la responsable du magasin où la prévenue enceinte de huit mois s’était rendue avait attesté par écrit que celle-ci était réellement fatiguée, et, d’autre part, retenu qu’au moment où elle a été prise d’un malaise elle se trouvait dans l’incapacité de conduire son véhicule en toute sécurité et qu’en s’arrêtant sur le seul emplacement libre (emplacement réservé au GIC et GIG), à cet instant, elle a eu une réaction de bon sens en ajoutant que l’infraction qu’elle a commise a eu pour effet d’éviter une perte de contrôle de son véhicule dont les conséquences pour elle-même et pour les autres auraient pu être graves .
Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, sans préciser en quoi la défaillance physique invoquée par la prévenue l’avait placée dans l’impossibilité absolue de se conformer à la loi, la juridiction de proximité n’a pas justifié sa décision (Cass.crim.15 novembre 2006, JPA 2007, p.15).
Aurait-il fallu alors que la conductrice poursuivre sa route et soit à l’origine d’un accident pour que la contrainte soit retenue ?
Dans son dernier arrêt en date du 10 février 2009, la Chambre criminelle écarte une fois encore l’état de santé invoqué par le prévenu (les séquelles d’un accident vasculaire cérébral) comme événement de force majeure au sens du Code de la route ; alors qu’elle accueille la relaxe d’un automobiliste (poursuivi pour homicides involontaires, mise en danger d’autrui et défaut de maîtrise) victime d’un malaise brutal et imprévisible qui lui a fait perdre le contrôle de l’accélération de son véhicule, lancé à une vitesse croissante sur l’autoroute puis l’aire de repos où il s’est immobilisé après avoir heurté les véhicules occupés par les victimes, le prévenu a agi sous l’empire d’une contrainte à laquelle il n’a pu résister (Cass.crim.15 novembre 2005, JPA 2006, p.21).
C’est aussi cela l’expression de « la tolérance zéro ».
Par Rémy JOSSEAUME, Docteur en Droit