Les principaux outils de la propriété intellectuelle à la disposition des entreprises, sont, alternativement ou cumulativement : éventuellement le droit des brevets (à la condition que la forme du produit consiste en une invention nouvelle, présentant un caractère inventif, et susceptible d’application industrielle), mais surtout le droit d’auteur (sous condition d’originalité), le droit des dessins & modèles (sous conditions de nouveauté et de caractère propre) et le droit des marques (sous conditions de distinctivité et de disponibilité).
Si dans leurs effets, ces droits permettent tous de disposer d’un monopole sur l’exploitation d’une forme déterminée, il en existe néanmoins un qui possède un avantage certain sur les autres, du fait de sa protection théoriquement illimitée dans le temps : le droit de marque. Contrairement aux autres, en effet, le droit de marque est susceptible de perdurer, au-delà de l’enregistrement, aussi longtemps que la marque est renouvelée par son propriétaire.
Le droit de marque est donc naturellement très recherché par les entreprises soucieuses de protéger la forme de leurs produits.
C’est ce qui a donné lieu à un récent arrêt du Tribunal de l’Union européenne (1) qui a retenu notre attention.
La société danoise Bang & Olufsen, célèbre dans le monde entier pour porter un soin tout particulier au design de ses produits, tentait d’obtenir l’enregistrement à titre de marque communautaire de la forme ci-dessous reproduite, pour des appareils et instruments de sonorisation (en classe 9) et des meubles hi-fi (en classe 20).
Voir la reproduction : http://www.wagret.com/images/articles/bangolufsen.jpg
Le Tribunal rejeta le recours de la déposante, confirmant ainsi le rejet de sa demande de marque, sur le fondement des dispositions réglementaires refusant l’enregistrement à titre de marque communautaire aux "signes constitués exclusivement […] par la forme qui donne une valeur substantielle au produit" (2).
La société Bang & Olufsen avait pourtant développé quelques arguments intéressants.
Elle faisait par exemple valoir que la disposition précitée devait être interprétée strictement, du fait de l’emploi de l’adverbe "exclusivement". Elle en déduisait que son produit, qui tire selon elle sa valeur certes en partie de sa forme, mais également, et pour une part non négligeable, d’autres facteurs tels que ses caractéristiques fonctionnelles, sa marque, sa promotion commerciale, ou l’image de son fabricant, qui auraient tout autant d’incidence sur le choix du consommateur, pouvait donc voir sa forme enregistrée à titre de marque.
Le Tribunal ne fit cependant pas droit à ces arguments, à raison selon nous, en rappelant à titre principal la ratio de la règle appliquée qui, selon l’analyse de l’avocat général, "est d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer d’autres droits que le législateur a voulu soumettre à des ‘délais de péremption’".
Une lecture attentive de la disposition précitée laissait peu de doute sur le sens à donner à l’emploi de l’adverbe "exclusivement". Les signes refusés à l’enregistrement sont bien les "signes constitués exclusivement […] par la forme qui donne une valeur substantielle au produit", c’est-à-dire exclusivement par une forme qui se trouve être une forme donnant au produit une valeur substantielle, et non pas, comme le suggérait la déposante, les signes constitués par la forme qui "exclusivement" donne une valeur substantielle au produit.
Cela signifie bien que le produit en cause peut parfaitement posséder une valeur substantielle résultant de nombreux facteurs mais que si, parmi ces facteurs, sa forme procure ne serait-ce qu’une partie de la valeur substantielle du produit, l’enregistrement en tant que marque de cette forme seule doit être refusé.
Et la société Bang & Olufsen, sur ce point, avait vraisemblablement admis "que ce design est un élément essentiel de sa stratégie de marque et qu’il augmente l’attractivité du produit en cause, c’est-à-dire sa valeur".
Relevons que le raisonnement de la déposante était pourtant subtil. Il consistait entre autres à critiquer le refus de sa demande de marque à l’enregistrement au motif que la valeur substantielle de son produit résidait en partie dans sa marque (sous-entendu Bang & Olufsen). Sur le motif du défaut de distinctivité, l’argument n’aurait pu prospérer sans contradiction car la demande portait bien sur une représentation graphique de la forme du produit, à l’exclusion de tout élément verbal, de sorte que cette forme devait pouvoir remplir en elle-même la fonction de marque. Sur le motif de la forme donnant au produit sa valeur substantielle, peut-être aurait-il pu avoir quelques succès.
Mais le Tribunal, jugeant ainsi à l’encontre de ce que requérait la société Bang & Olufsen, releva que dans le cadre de l’application de la disposition précitée, la perception du public ciblé n’a pas nécessairement à être prise en compte car il ne s’agit pas de "déterminer si le signe déposé en vue de l’enregistrement en tant que marque permet de distinguer les produits ou les services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée". Dès lors, peu importe que le public concerné perçoive la forme du produit comme une marque. Si cette forme contribue à donner au produit une valeur substantielle, elle doit être refusée à l’enregistrement en tant que marque.
Les autres droits de propriété industrielle conservent donc tout leur intérêt, et toute leur valeur.
Manuel ROCHE
NOTES :
(1) TUE, 6 oct. 2011, Aff. T-508/08, Bang & Olufsen A/S c/ OHMI.
(2) Article 7, §1, e), iii) du Règlement CE N°207/2009 Du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire. A noter que, dans un premier temps, l’OHMI avait refusé l’enregistrement du signe à titre de marque sur le fondement de l’Article 7, §1, b), pour défaut de caractère distinctif.