Litige marque et nom de domaine : protections concurrentes ou complémentaires. Par Julien Lacker, Avocat.

Litige marque et nom de domaine : protections concurrentes ou complémentaires.

Par Julien Lacker, Avocat.

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Explorer : # propriété intellectuelle # contrefaçon # nom de domaine # marque déposée

Ce que vous allez lire ici :

Une marque déposée permet d'agir contre un signe identique ou similaire utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires. Le nom domaine est protégé contre la concurrence déloyale et le parasitisme. Il est recommandé de déposer à la fois la marque et le nom de domaine.
Description rédigée par l'IA du Village

La marque et le nom de domaine sont au cœur de nombreux conflits. Nous proposons ici de synthétiser les différents cas de litiges entre une marque (qui peut être antérieure ou postérieure à un nom de domaine) et un nom de domaine (qui peut être inactif ou utilisé).

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Une marque déposée (Voir l’article Pourquoi déposer une marque de l’Union européenne ?) permet d’agir en contrefaçon et d’obtenir une protection contre un signe identique ou similaire utilisé pour des produits identiques ou similaires. Cette protection est prévue par l’article L713-2 du Code de la propriété intellectuelle.

Le nom de domaine est protégé par le droit de la concurrence déloyale et le parasitisme sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, ainsi que par des dispositions spécifiques du Code de la propriété intellectuelle. Ils permettent d’agir et de déposer une opposition (Article L712-4) ou une action en annulation devant l’INPI ou encore d’intenter une procédure devant le tribunal judiciaire.

Un des facteurs décisifs sera la date des droits en conflit.

I. La marque est antérieure au nom de domaine.

Le droit sur la marque s’acquiert par l’enregistrement et non par l’usage.
Une marque est protégée dès la date de son dépôt [1], dans la mesure où elle est enregistrée. En France, il n’y a aucune condition d’utilisation durant les 5 premières années suivant l’enregistrement d’une marque.

Pour le présent article, on traitera le cas où la marque est antérieure et valable, ce qui peut ne pas toujours être le cas cependant (voir exemple procédure d’annulation INPI pour dépôt frauduleux d’une marque postérieurement à un nom de domaine).

Cas n°1 - La marque est antérieure et le nom de domaine est inactif.

Une marque antérieure à un nom de domaine ne donne pas forcément droit à agir en contrefaçon de marque.

La Cour de cassation, dans l’arrêt Locatour du 13 décembre 2005, a jugé qu’un nom de domaine qui n’est pas utilisé ne constitue pas un acte de contrefaçon.

De manière simple et cohérente avec le Code de la propriété intellectuelle, une marque n’est protégée que contre un signe identique ou similaire utilisé pour des produits et services identiques ou similaires.

Un nom de domaine non utilisé ne permet pas de déterminer pour quels produits et services il serait utilisé. La comparaison avec les produits et services couverts par la marque n’étant pas possible, il n’y a pas d’action en contrefaçon ouverte contre un nom de domaine s’il n’est pas utilisé.

Point d’attention La fraude et la marque de renommée sont des exceptions à ce principe. Ainsi, le nom de domaine « redbull.re » n’était pas utilisé. Il a cependant pu faire l’objet d’une action en contrefaçon de la part de la marque de renommée « Redbull » à qui l’on avait tenté de vendre ce nom de domaine et d’obtenir un paiement (TGI Paris 23 mai 2014).

Cas n°2 - La marque est antérieure et le nom de domaine est utilisé.

Lorsque la marque est antérieure et que le nom de domaine est utilisé, le droit des marques classique trouve à s’appliquer. On va devoir, d’une part, comparer les signes. Le nom de domaine est-il identique ou similaire à la marque antérieure ?

Sur la question des noms de domaine, on considérera que les extensions de type « .fr » ou « .com » ne sont pas ou faiblement distinctives, et ne jouent pas un rôle important dans la comparaison des signes.

S’il ne s’agit pas d’une marque de renommée, pour que le nom de domaine porte potentiellement atteinte à la marque, il faut que le signe soit identique ou similaire.

1/ Le nom de domaine n’est pas similaire à la marque.

Si le nom de domaine n’est pas similaire à la marque, il ne peut pas y avoir de contrefaçon, sauf dans le cas de la marque de renommée. À titre d’exemple, le nom de domaine 31street.fr ne contrefait pas la marque antérieure figurative « 231 East St » selon la Cour d’appel de Paris Pôle 5 - Chambre 1 - Arrêt du 20 avril 2022 (n°080/2022) : « la seule reprise dans la dénomination sociale ou le nom commercial de deux des trois chiffres composant la marque antérieure ne pouvant suffire à établir un risque de confusion ».

2/ Le nom de domaine est similaire à la marque antérieure.

Si le nom de domaine est identique ou similaire à la marque, la question de la contrefaçon se pose. Il convient alors d’étudier si l’activité offerte par le site - qu’il s’agisse de produits ou de services - est identique ou similaire aux produits ou services couverts par la marque antérieure.

Pour savoir si le signe est identique ou similaire, la comparaison entre la marque et le nom de domaine s’effectue sur trois plans : visuel, phonétique et intellectuel. Si les signes ne sont pas identiques, démontrer un risque de confusion sera alors nécessaire.

Lorsque les signes sont identiques, on considère que le risque de confusion est présumé.

L’identité des produits et services.

La première question est de savoir si les produits et services sont identiques ou non. Rappelons qu’on considère qu’un produit qui est une sous-catégorie d’un autre est identique à celui-ci, et inversement.

Exemple Si la marque antérieure couvre les vêtements et que le nom de domaine est utilisé pour des T-shirts, il y a identité.

La similarité des produits et services.

Si les produits ne sont pas identiques, il faut se demander s’ils sont similaires ou différents.

Par définition, la comparaison des produits et services est possible, puisque le nom de domaine est utilisé. La comparaison des produits et services va prendre en compte les critères élaborés par la jurisprudence, à savoir si :

  • ils ont la même nature,
  • ils ont la même finalité,
  • ils ont les mêmes canaux de distribution,
  • ils ont la même méthode d’utilisation et répondent aux mêmes besoins,
  • ils s’adressent au même public pertinent,
  • ils sont susceptibles d’être fournis par la même société,
  • il s’agit de produits et services complémentaires ou concurrents.
    Ces différents critères permettent de déterminer si les produits sont similaires ou différents.

Si le nom de domaine est similaire à la marque, et s’il est utilisé pour des produits et services identiques ou similaires, le risque de confusion doit être démontré pour qu’il y ait contrefaçon.

II. La marque est postérieure au nom de domaine.

À nouveau, deux cas sont possibles. Le nom de domaine peut être utilisé ou ne pas être utilisé.

Cas n°3 - La marque est postérieure et le nom de domaine n’est pas utilisé.

Un nom de domaine qui n’est pas utilisé ne crée pas de droits. Il n’est donc pas possible d’agir sur le fondement d’un nom de domaine pour faire annuler une marque postérieure si ce nom de domaine n’est pas utilisé.

Point d’attention. L’exception à ce principe est le dépôt frauduleux d’une marque postérieurement au dépôt d’un nom de domaine qui aura fait l’objet d’une grande communication (décision de l’INPI du 13 mars 2021 - marque Patrimoine24).

Le titulaire d’un nom de domaine qui n’est pas utilisé ne peut pas agir contre le titulaire de la marque, puisqu’il ne dispose pas d’un signe distinctif protégeable, le nom de domaine n’étant protégeable que s’il est utilisé.

Cependant, le titulaire de la marque postérieure ne peut pas non plus agir contre un nom de domaine qui n’est pas utilisé. L’arrêt Locatour de la Cour de cassation cité plus haut s’applique également en ce sens. L’absence d’utilisation empêche de déterminer les produits et services concernés par le nom de domaine et ainsi de savoir s’il y a un acte de contrefaçon.

Cas n°4 - La marque est postérieure et le nom de domaine est utilisé avant la date de dépôt de la marque.

L’article 713-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose :

« Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’un nom commercial, d’une enseigne ou d’un nom de domaine, de portée locale, lorsque cet usage est antérieur à la date de la demande d’enregistrement de la marque et s’exerce dans les limites du territoire où ils sont reconnus ».

Pour être opposable, un nom de domaine doit avoir été déposé avant la marque, être distinctif et être utilisé pour des produits et services identiques ou très proches de la marque postérieure.

Le nom de domaine déposé antérieurement, s’il est utilisé et s’il n’est pas de portée seulement locale, permet de s’opposer à l’enregistrement d’une marque, mais également de fonder une procédure en annulation de marque devant l’INPI [2].

Cependant, la procédure permettant de faire annuler une marque sur la base d’un nom de domaine antérieur semble difficile à mettre en œuvre sans un avocat spécialiste en propriété intellectuelle du fait des preuves nécessaires.

À ce jour, l’INPI n’a pas rendu beaucoup de décisions en ce sens. De nombreuses actions sur la base des noms de domaine ont abouti à un échec, du fait du non-respect de règles procédurales ou d’un manque de preuves.

Le dépôt d’une marque permet de s’affranchir de la condition d’utilisation pour obtenir une protection immédiate. La protection par le dépôt de marque offre une délimitation claire et précise des produits et services couverts par la marque. Il offre une protection dès que la marque est enregistrée, même si l’activité commerciale n’a pas commencé. Ce qui n’est pas le cas pour le nom de domaine, dont la protection sera limitée aux produits et services dont l’activité pourra être démontrée.

Si le nom de domaine ne doit pas être complètement oublié de l’arsenal de protection du titulaire de droits de propriété intellectuelle, il vaut mieux ne pas avoir à s’en servir, et déposer une marque de manière préalable [3].

En conclusion, on relèvera que marque et nom de domaine ne sont pas alternatifs mais cumulatifs. Il s’agit de moyens complémentaires. Une marque doit avoir une visibilité en ligne sur les réseaux sociaux ou par le biais d’un site Internet. Un nom de domaine est donc nécessaire mais n’est pas suffisant.

Mon conseil Dès la recherche d’antériorité, pensez à intégrer le nom de domaine dans la stratégie de propriété intellectuelle.

Pour aller plus loin Il convient donc de déposer dès que possible le nom de domaine, mais également la marque, pour protéger une dénomination ; Voir aussi : Déposer sa marque à l’INPI ou à l’EUIPO : sept erreurs à ne pas commettre.

En résumé De manière générale, le dépôt d’une marque est préférable à la protection offerte par la simple utilisation d’un nom de domaine. Un nom de domaine est cependant nécessaire pour une visibilité en ligne.

Julien Lacker, Avocat Associé
Barreau de Paris
Droit de la propriété intellectuelle/Droit des NTIC
Agréé par l’INPI pour faire des prédiagnostics
Chercheur associé au CERDI (Centre d’Études et de Recherche en Droit de l’Immatériel)
Chargé de cours de droit des marques et de droit de l’internet à l’Université de Paris Saclay et à l’Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication (Sorbonne Université).
Médiateur diplômé
Gomis et Lacker Avocats AARPI
www.gomis-lacker.fr

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Notes de l'article:

[2Article L712-4 alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle.

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