Village de la Justice : Sur le plan juridique comment fonctionne le réseau FNE porte-parole de plus de 6 000 associations ?
- Romain Ecorchard, membre du directoire du réseau juridique
et Juriste salarié de l’association FNE Occitanie-Méditerranée
Romain Ecorchard : « Le réseau juridique de FNE regroupe des juristes qui sont membres, bénévoles ou salariés, d’associations affiliées à la fédération France Nature Environnement.
Ce réseau est animé par deux juristes salariés, par un directoire composé de 11 juristes, et par un pilote, qui est Raymond Léost, maître de conférence à l’université de Brest. Le directoire instruit les décisions et dossiers qui sont ensuite validé par le Conseil d’administration de la FNE. Le Directoire se réunit en visioconférence une fois par mois et se retrouve deux fois par an en présentiel.
Les juristes salariés dépendent de la Direction générale de FNE, ils font du plaidoyer pour faire avancer les textes de loi et les procès pour défendre la nature.
Les juristes des différentes structures du réseau FNE bénéficient de l’agrément de consultation juridique du ministère de la Justice selon la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ».
Combien de juristes environs sont membres de la FNE ? Comment interagissent-ils entre-eux et avec l’ensemble des autres acteurs du réseau FNE ?
« La force indéniable de FNE c’est son réseau de juristes présents sur l’ensemble du territoire français.
Il y a 80 juristes qui sont membres du réseau juridique de FNE. Parmi ces 80 juristes, 33 sont salariés dans des associations membres de FNE. Il n’y a que 2 de ces juristes qui sont salariés par la structure nationale, les autres sont salariés par des fédérations régionales, départementales, ou par des associations spécialisées. Chaque association est autonome. Les juristes des associations se coordonnent avec divers outils de communication (boucles mails, réseaux sociaux...), une rencontre physique annuelle et des formations communes régulières (plusieurs formations par an). On passe beaucoup de temps à se former entre nous, un juriste d’une association qui a été confronté à une problématique juridique spéciale va partager son expérience et former les autres juristes qui auraient besoin de maîtriser le sujet.
De plus il existe une synergie très intéressante entre les juristes du réseau et les autres membres, ces derniers pouvant être experts dans certains domaines (déchets, eaux, biodiversité, énergie...) ».
Quel est son usage du Droit ? Est-il vu comme une "arme" vis-à-vis des différentes actions menées par FNE ?
« Oui ;
FNE "œuvre pour obtenir un droit de l’environnement à la hauteur des enjeux et une justice environnementale effective".
Historiquement, les fondateurs du réseau juridique de FNE ont œuvré pour ouvrir l’accès au prétoire aux associations de protection de l’environnement. Cet accès est aujourd’hui largement effectif, les associations environnementales disposant d’un large spectre d’actions juridiques ouvertes au fil des années par la législation (agrément) et la jurisprudence.
Le droit de l’environnement est très foisonnant mais pas toujours bien appliqué. FNE a un énorme apport en visant davantage d’ambitions dans l’application du droit de l’environnement par les collectivités publiques (contentieux administratif) mais aussi en intervenant très régulièrement devant les juridictions judiciaires, auprès desquelles elle a développé une certaine expertise y compris parfois en engageant des citations directes. FNE s’est récemment illustré à plusieurs reprises en proposant des questions prioritaires de constitutionnalité (notamment sur l’article 7 de la charte de l’environnement), en obtenant des décisions au Conseil d’État ou à la Cour de Cassation publiées aux bulletins, ou encore en étant à l’origine de plusieurs questions préjudicielles ayant donné lieu à des arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
L’ensemble des actions juridiques des associations membres de FNE représente environ 1 000 contentieux par an. Il ne s’agit pas de faire des contentieux symboliques ou médiatiques, mais bien de disposer de juristes répartis sur l’ensemble du territoire capables d’intervenir et d’engager des contentieux visant à protéger la nature, et ce en lien avec les enjeux et problèmes identifiés par les associations locales ; ou bien d’identifier des points d’application de la législation environnementale pour lesquels il est utile d’aller chercher des interprétations jurisprudentielles favorables à une meilleure protection de l’environnement ».
Le côté hybride (salariés-bénévoles) des différents acteurs, répond t-il à la quête de sens recherchée par certains (jeunes notamment) et proposer une autre façon de travailler ?
« Oui, l’engagement comme bénévole juriste implique beaucoup de motivation et d’énergie parce que ce type de bénévolat n’est pas vraiment classique, il nécessite souvent un engagement sur plusieurs années, avec la nécessité d’avoir des très bonnes compétences juridiques et d’être personnellement prêt à devoir assumer les conséquences personnelles : exposition médiatique, pression politique, conséquences éventuelles sur sa carrière personnelle. Lorsqu’on est fonctionnaire, il faut être très prudent sur ce genre d’engagement qui peut contrarier certaines obligations professionnelles, de secret, neutralité ou discrétion.
Les avocats membres du réseau juridique doivent également être vigilants sur les risques de conflit d’intérêt et leurs obligations déontologiques. Cela n’empêche pas de constater que beaucoup des bénévoles du réseau juridique sont des professionnels en activité, notamment parmi les avocats ou enseignants des universités.
Pour les juristes salariés, il y a clairement une réponse à une quête de sens. C’est clairement un métier passionnant, où le juriste est directement confronté à des questions juridiques complexes et doit prendre immédiatement des responsabilités. Ses analyses vont fonder les actions engagées par les associations et peuvent avoir des conséquences importantes. De plus les associations n’hésitent pas à engager des jeunes en première expérience professionnelle (souvent après un stage réussi).
Mais les jeunes juristes qui décident de s’engager comme salariés dans des associations de protection de l’environnement doivent avoir pleinement conscience des inconvénients que peut avoir sur leur vie personnelle de faire un tel choix.
Les niveaux de rémunération proposés sont souvent très largement inférieurs à ceux qui peuvent être proposés à niveau d’expérience ou qualification similaire dans le privé. Il n’y a pas non plus à proprement parlé d’évolution de carrière, si le juriste d’association souhaite évoluer vers un poste de direction ou de coordination, il doit changer de métier.
Il n’y a pas non plus de reconnaissance particulière de l’expérience acquise dans ce genre de métier. Par exemple, contrairement à d’autres métiers, il faut savoir que les conseils de l’ordre des différents barreaux de France refusent aux juristes des associations de protection de l’environnement d’accéder à la passerelle qui permet aux juristes ayant 8 ans d’expérience d’accéder à la profession d’avocat ».
Pour illustrer l’union de ce réseau, voici une photographie prise lors de la réunion des membres du réseau juridique, en septembre 2022 à Méze (34) :
Pour aller plus loin vous pouvez visionner la vidéo suivante et/ou vous rendre sur le site de France Nature Environnement [1] :