Toutefois bien avant les affaires Snowden ou Wikileaks d’Outre Atlantique, l’Europe continentale s’était déjà confrontée à cette question du droit d’alerte lorsque l’indigné, à travers la détermination notoire de Jan Kozielewski, s’était engagé pour la démocratie contre l’autorité qui menaçait celle-ci en méconnaissant ses valeurs fondamentales pour les droits de l’homme [3].
Précisément ce denier, résistant polonais de la Seconde Guerre mondiale, avait en effet pris l’initiative de dénoncer les crimes nazistes aux gouvernements alliés. Et pour rester dans le périmètre du sujet, c’est aussi pendant cette même période que le statut de la fonction publique qui apparait sous forme embryonnaire, avec le gouvernement de Vichy, par la Loi du 14 septembre 1941 [4], place alors tout fonctionnaire de l’époque dans cette perspective « inhérente à son statut » de soumission aux ordres de « sa hiérarchie » avec l’effacement « de sa conscience » au motif du devoir d’obéissance [5].
Mais à l’aube du 21ème siècle, notre droit positif s’est enrichi d’une dynamique nouvelle eu égard à la force contraignante des obligations statutaires pour le fonctionnaire avec la reconnaissance du droit d’alerte par la loi Sapin II [6].
Droit d’alerte et son cadre juridique.
Bref historique de l’alerte, du droit international public au droit public interne.
À partir de 2013, conformément à l’esprit des conventions internationales relatives au droit du travail [7], le législateur français pose donc la première pierre d’un édifice en construction, mais avec une définition du lanceur d’alerte applicable uniquement en matière d’environnement et de santé publique par la Loi Blandin du 16 avril 2013 [8].
En 2014, le Conseil de l’Europe, par sa Recommandation Rec (2014)7 adoptée le 30 avril de la même année, définit le lanceur d’alerte comme "toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé".
Puis en 2015, l’Onu recommande par la voie du rapporteur spécial sur la promotion et à la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression aux États membres l’adoption de législation pour la protection du lanceur d’alerte [9].
Et c’est de cette dynamique normative du droit international que le droit français s’inspire pour légiférer en la matière dans le cadre des règles statutaires du droit de la fonction publique pris en ses trois versants (État, Territoriale et Hospitalière) avec la loi Sapin II du 09 décembre 2016. Ainsi tel qu’il est organisé en conséquence par l’article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, aucun fonctionnaire "ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016".
Règles procédurales du Droit d’alerte.
On notera de prime abord que l’alerte visé par la Loi (Sapin II) se distingue du signalement imposé par l’article 40 (alinéa 2) et par les dispositions desquelles "tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la république et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".
Cette obligation à la charge du fonctionnaire contraint donc celui à s’adresser à l’autorité judiciaire en la personne du Procureur de la République.
L’affaire « Alexandre Benalla » est le parfait contre-exemple pour illustrer l’esprit de l’article 40 du code de procédure pénale puisqu’en l’occurrence l’activation de l’article 40 n’a pas eu lieu alors que les conditions étaient réunies [10].
Cela étant, il importe de préciser, d’une part que les prescriptions de l’article 40 du code de procédure pénale ne fixent aucune condition quant aux modalités de leur application, et d’autre part que la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser que l’exécution tardive de cette obligation n’est pas sanctionnée par la nullité [11].
Enfin, si tout fonctionnaire doit saisir le procureur de la République dans les conditions de l’article 40 parce qu’il estime disposer ainsi d’éléments suffisants et probants, il a néanmoins le devoir de veiller à ne pas enfreindre l’obligation de discrétion professionnelle à laquelle il est soumis [12].
Mais dès lors que l’activation de l’article 40 est conforme à ses prévisions, sont susceptibles d’annulation par le juge, les sanctions déguisées prononcées en représailles par l’employeur contre l’agent de droit public [13] comme de droit privé [14].
Et c’est après ce bref rappel des règles générales applicables au signalement opéré en application de l’article 40 du code de procédure pénale, qu’on s’attachera à une étude plus soutenue de celle applicable au signalement mis en œuvre dans le cadre du droit d’alerte en application du Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017, relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État.
Aussi pour comprendre quels sont les conditions matérielles de la procédure d’alerte ainsi que les contraintes juridiques de ses modalités pratiques, il faut s’attarder sur la lettre du texte de la loi Sapin 2 pris en son article 06 « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couvert par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte défini par le présent chapitre ».
Les conditions du bénéfice de la procédure d’alerte.
La bonne foi de son auteur.
La bonne foi du lanceur d’alerte présuppose que celui-ci est convaincu en toute sincérité de tenir « pour vérité » les faits qu’il relate dans son signalement. À celui qui signale, il appartiendra donc d’apprécier, d’abord sous le contrôle de sa propre conscience citoyenne, mais aussi par la suite sous le contrôle du juge administratif ou du juge judiciaire, la réalité et la gravité des faits dont il a personnellement eu connaissance, sans toutefois préjuger de la solution de droit qui serait alors retenue par la juridiction de jugement compétente en cas de procédure contentieuse. Entre l’exercice du droit d’alerte et les impératifs du devoir statutaire, c’est au final au juge (dans la limite de son office) de dire le droit en protégeant l’intérêt qui lui apparait le plus légitime au cas d’espèce.
Néanmoins, une erreur d’évaluation de la situation ne devrait pas inquiéter celui qui est « de bonne foi » par opposition à celui qui serait de mauvaise foi, puisque la personne qui est dans le faux alors qu’il pense être dans le vrai est après tout dans l’erreur (excuse absolutoire en droit) alors que celui qui sait pertinemment qu’il est dans le faux mais qui voudrait faire croire qu’il est dans le vrai est avant tout dans la faute (au sens pénal du terme).
Signalement relatif à« un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement…, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale …, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général.
D’abord pour ce qui est de la qualification des crimes et des délits, on ne peut penser qu’aux infractions qui par leurs typologies (criminelles ou délictuelles) trouveraient à s’appliquer à la matière en raison, d’une part de la qualité de l’auteur de l’infraction alors dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service publique, et d’autre part de la valeur sociale protégée par l’acte matériel incriminé. Ainsi de la rencontre du droit public et du droit pénal on citera : le délit de concussion, les délits d’octroi d’avantage injustifié et de prise illégale d’intérêts et les délits de corruption et de trafic d’influence.
Ensuite en pratique, le problème qui peut se poser est celui de la capacité à déceler le caractère grave et manifeste d’une atteinte à la norme juridique dont la violation est prétendue ou soutenue, et bien que les sages de la rue Montpensier ont dans leur décision n° 2016-741 (du 8 décembre 2016) jugé conforme à la Constitution les articles 6 et 8 de la loi Sapin 2, eu égard notamment aux exigences du principe de l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi, le lanceur d’alerte ne dispose pas forcément de la compétence ou de l’expertise des professionnels du droit. Car si le juriste en particulier peut faire preuve d’habilité sinon d’aisance dans la compréhensibilité des lois, ces dernières demeurent toujours plus ou moins obscures pour le citoyen d’une manière générale.
Employeurs & employés concernés.
Le décret du 19 avril 2017 venant préciser les modalités suivant lesquelles sont établies les procédures de recueil des signalements que doivent établir les employeurs concernés, limite toutefois à certaines personnes morales l’obligation à rendre effective (à compter du 01 janvier 2018) la mise en œuvre de cette qualité (de lanceur d’alerte). En application des dispositions de l’article premier dudit précité, ce sont donc les administrations de l’État, les personnes morales de droit public d’au moins 50 agents ou salariés, les communes de plus de 10.000 habitants, les départements et les régions ainsi que les établissements publics relevant de leur compétence, et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant au moins une commune de plus de 10.000 habitants.
Cette possibilité de signalement pour l’exercice du droit d’alerte bénéficie aux « agents publics » entendu au sens large, incluant a fortiori l’ensemble de ceux qui se trouvent vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire [15], comme les agents contractuels de droit public ou de droit privé des services publics des services publics administratifs, ou encore les agents employés par des organismes de droit privé chargés de la gestion d’un service public mais soumis par détermination de la loi à un régime juridique de droit privé.
Les modalités de la procédure d’alerte.
Référent (s) du lanceur d’alerte.
En principe c’est la procédure définie par l’autorité administrative, responsable du fonctionnaire ou de l’agent contractuel, qui précise l’identité de la personne référencé pour le signalement. Forcément différente selon la structure organisationnelle, soit de l’administration centrale de l’état ainsi que de ses services déconcentrés, ou bien de l’administration décentralisée des collectivités locales, les règles ainsi établies devront néanmoins avoir en commun la performance de répondre au minimum aux exigences fonctionnelles suivantes :
Savoir à qui adresser le signalement au sein de l’organisme employer ;
- Savoir comment lui adresser (voie postale, messagerie et) ;
Savoir quelles précautions seront prises pour préserver la confidentialité de l’alerte ;
Savoir les modalités suivant lesquelles il sera répondu au signalement (accusé de réception, délais de réponse sur la recevabilité du signalement, modalités d’information sur les conditions de traitement de l’alerte, etc.).
Mais on ne pourrait cependant négliger (le fait) que la nécessité "d’une alerte interne préalable" peut présenter quelques difficultés en termes d’impartialité (et d’efficacité au final) lorsque l’autorité hiérarchique receveur de l’alerte serait elle-même dans un lien de subordination vis-à-vis de la personne mise en cause ou son collaborateur direct. Cependant ces situations de confusion ou de conflit d’intérêts semblent pouvoir être néanmoins corrigées par l’intervention de deux autorités particulièrement compétentes en matière de déontologie dans la fonction publique que sont le Référent déontologue et le Défenseur des droits.
Lanceur d’alerte et référent déontologue.
La fonction principale du référent déontologue, en application de l’article 28 bis de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires - crée par l’article 11 de la loi du 20 avril 2016 - est une mission générale de conseil, d’une part sur l’ensemble des règles destinées à lutter contre les conflits d’intérêts, et d’autre part pour toutes questions déontologiques relatives aux obligations professionnelles statutaires (dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité et laïcité, discrétion, secret professionnel et d’obéissance). Mais selon les prévisions de l’article 4 du décret du 10 avril 2017, pris en application de l’art. 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, le référent déontologue peut aussi se voir confier des fonctions de « référent alerte éthique » par l’autorité hiérarchique (de l’employeur) pour recevoir à sa place le signalement effectué dans le cadre du droit d’alerte.
Cette fonction assurément consultative, qui n’implique aucun pouvoir décisionnel pour le référent déontologue, constitue cependant un droit essentiel pour tout agent de la fonction publique qui souhaite exercer un signalement dans les conditions fixées par la Loi.
Lanceur d’alerte et défenseur des droits.
En effet, par la loi organique n° 2016-1690, relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, le législateur a confié au Défenseur des droits le rôle d’aider l’ensemble des lanceurs d’alerte (qu’ils soient du secteur public ou privé) à s’orienter à toutes les étapes de leurs démarches.
L’obligation de confidentialité
Les signalements recueillis dans la cadre de la procédure d’alerte sont soumis à une stricte confidentialité de l’identité du ou des auteur (s) du signalement, des personnes mises en cause et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement (Article 9 de la loi n° 2016-1691). Les éléments de nature à identifier le ou les mises en cause ne peuvent être divulgués qu’à la condition que soit établi le caractère fondé de l’alerte et le consentement du lanceur d’alerte est nécessaire pour la divulgation des éléments de nature à l’identifier lui-même (sauf pour l’autorité judiciaire lorsque celle-ci est destinataires des informations).
Contenu de l’alerte et informations couvertes par le secret.
À côté des limites formelles relatives aux modalités de la divulgation, la notion de lanceur d’alerte est aussi déterminée dans ses champs d’action par des limites matérielles relatives au contenu de la divulgation. Les informations ou données signalées excluent celles liés à la préservation de secret par nature collectif (sécurité et défense nationale) ou individuelle (Vie privée) pouvant résulter de relations d’affaires ou professionnelles.
Les secrets relatifs à la politique étrangère ou à la sécurité intérieure sont des obstacles évidents au service des grandes administrations de l’État de puissances régaliennes (ministère de la défense ou ministère de l’intérieur) alors qu’elles sont de pures hypothèses pour les administrations locales des collectivités territoriales (Commune, Département, Région ou les établissements publics inter communaux) qui en raison de la règle de l’intérêt local n’ont pas vocation par nature à être concernées par ce genre d’informations confidentielles.
Pour ce qui est du secret relevant des professions réglementées en matière de santé ou du conseil juridique (le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client), l’article 122-9 du code pénal n’établit a fortiori aucune immunité en la matière [16] : le droit à la vie privée et dans une certaine mesure le droit à l’honneur commanderait donc à la discrétion la plus absolue.
Droit d’alerte et autres droits garantis.
À ce stade de la réflexion, on peut donc affirmer qu’en droit public interne, il n’y a pas de liberté d’alerte de portée générale mais un droit de ne pas être inquiété et sanctionné pour avoir alerté dans les conditions prévues par la loi.
Avec la reconnaissance de ce droit d’alerte, sous réserve d’inscrire la démarche du signalement conformément aux prévisions de la loi, le lanceur d’alerte ne prend plus le risque d’être "hors la loi" pour ce qui est des exigences de la légalité interne propre à son administration au regard notamment du devoir de réserve ou des obligations d’obéissance à l’autorité hiérarchique.
Quant au commandement de l’autorité légitime, il ne saurait dans l’exercice de ses propres prérogatives prétexter du signalement pour prendre en conséquence des sanctions déguisées sinon des mesures disciplinaires. Mais en cas de représailles, l’agent public menacé (dans sa situation statutaire ou contractuelle) pourrait, au demeurant, agir en contentieux contre la mesure illégale (prise à son encontre) sur le fondement de l’article L911-1 du code de justice administrative.
Cette nouveauté en droit du contentieux administratif (issue de la Loi Sapin 2) permet ainsi à la juridiction saisie, lorsqu’il est fait application de la disposition précitée, de prescrire « toute mesure d’exécution dans un sens déterminé » pour rétablir l’agent concerné dans ses droits.
Cela étant, même si l’immunité garantie par la procédure n’est pas une impunité garantie pour celui-ci qui ne saurait être reconnu de bonne foi, il faut néanmoins s’interroger sur les effets de ce signalement par rapport aux principes (sacro-saints) des droits de la défense et de la présomption d’innocence.
Droit d’alerte, droit de la défense et principe d’égalité des armes.
D’une manière générale, le principe du contradictoire, indubitablement lié au procès civil comme au procès pénal, implique le droit pour une partie de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l’autre, pour en discuter.
Partant de là dans le cadre particulier d’une procédure d’alerte, le ou les mis en cause devraient pouvoir accéder, le cas échéant, à tous les éléments du dossier issu et initié par la procédure d’alerte dans sa phase administrative avant même la phase judiciaire.
Ce droit d’accéder au dossier de la procédure constituerait, en effet, une condition essentielle et nécessaire à la préparation de sa défense, sinon à la présentation de ses propres observations, indépendamment des règles du droit disciplinaire bien établi par une jurisprudence constante. Ainsi, le respect des droits de la défense et plus généralement celui de l’égalité des armes, posés par les articles 6-2 et 6-3 de la convention européenne des droits de l’homme, sont donc susceptibles d’intéresser la matière puisque la contradiction étant par nature une technique juridique au service de la manifestation de la vérité (même avant dire droit).
Droit d’alerte, présomption d’innocence et situation administrative.
Dans une rétrospective non pas similaire mais analogue, relevant néanmoins plus de l’alerte éthique que de l’alerte légale à l’époque des faits, il n’est pas inutile de rappeler que « l’affaire François Fillon » au cours des élections présidentielles de 2017 donne à voir, dans une certaine mesure, du potentiel préjudiciable d’une dénonciation faite au grand public au nom de l’intérêt général mais néanmoins opérée au préjudice d’un autre principe tout aussi fondamental qui est celui de la « présomption d’innocence ».
En l’occurrence, rapporté au cas d’espèce, il est de bons sens de soutenir que la nouvelle loi ainsi rédigée (dans ses dispositions combinées des articles 6 à 16) ne pouvait trouver à s’y appliquer à l’époque des faits, puisque ni crime ni délit, ni violation grave ou manifeste d’un engagement international ou national, ou encore ni menace ou préjudice graves pour l’intérêt général ne furent établis ou produits à charges contre l’intéressé alors candidat à la plus haute fonction publique de l’état [17].
Mais à ce stade, l’intérêt du raisonnement juridique par analogie est de rappeler et de réaffirmer qu’en droit « la présomption d’innocence » est supérieure à tout autre jugement de valeur quand bien même l’opinion que les uns et les autres se font d’un individu déciderait de sa grandeur ou de sa décadence dans la société civile ou en politique.
Et en vertu de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans le cas éventuel où un fonctionnaire serait suspendu pour avoir été visé et mis en cause par un signalement relevant du droit d’alerte [18], si aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la mesure de suspension, celui-ci doit être rétabli dans ses fonctions sauf s’il fait l’objet de poursuites pénales.
Cependant, si poursuites pénales il y a et que les mesures décidées par l’autorité judicaire ou l’intérêt du service n’y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l’expiration du même délai. La commission administrative paritaire du corps ou cadre d’emplois d’origine du fonctionnaire est également tenue informée de ces mesures.
La raison d’être du droit d’alerte, prolongement de la liberté d’expression dans l’espace public [19], avec pour corollaire la liberté de la presse et la protection renforcée des sources journalistiques [20], est de libérer la parole de ceux qui savent en permettant le signalement de « faits constitutifs de manquement grave à la loi » tout en bénéficiant une protection contre d’éventuelles mesures de représailles.
Bien que « néfaste » pour l’ordre établi, il n’en demeure pas moins celui qui utilise « le signalement » pour défendre l’Etat de droit contre l’insoumission de la puissance publique au respect de valeurs inhérentes à toute société démocratique.
Avec la reconnaissance de ce droit d’alerte en droit de la fonction publique, le législateur moderne semble avoir fait écho de cet aphorisme de Montesquieu (1689-1755) selon qui : « une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ». Ainsi en l’état du droit nouveau, la problématique juridique nouvelle se pose dans les termes suivants : eu égard aux règles qui gouvernent le statut de la fonction publique, notamment les obligations d’obéissance hiérarchique et de réserve (Art. 28 Loi n°83.634 du 13/07/83) confrontées à celles de la procédure de signalement, le fonctionnaire serait-il en faute s’il révélait au grand public - par l’intermédiaire des médias - une information qu’il estime utile ou nécessaire au bon fonctionnement des institutions ? L’exercice de ce droit nouveau doit donc pouvoir et devoir se concilier avec le respect des sujétions spéciales que commande l’intérêt du service public [21].
Au demeurant, la pertinence et l’efficience de ce nouveau « cadre normatif national » sera surtout fonction de la probité de ceux qui reçoivent la responsabilité directe ou indirecte de sa charge. Mais c’est surtout la pratique du droit jurisprudentielle qui viendra préciser la consistance réelle de cette nouvelle notion puisque le droit est une pratique sociale aux conséquences juridiques.
Ainsi le droit d’alerte est donc devenu en droit positif un instrument de régulation sociale de la puissance publique au nom de l’intérêt général, car il en va autant de l’intérêt public de l’organisation sociale que de la force légitime des grands principes républicains dont la fonction publique est dépositaire. Et Albert Camus – dans son essai l’homme révolté – l’avait autrefois et autrement déjà presque pensé en formulant le propos suivant "Je me révolte donc nous sommes".