Rappel des règles de compétence judiciaire pour les contrats conclus avec un consommateur au sein de l’Union européenne.
Les règles de compétence judiciaire en matière de contrat conclu avec un consommateur dans l’union européenne sont définies par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [1].
Ce règlement prévoit que, en principe, les litiges relatifs à un contrat conclu avec un consommateur sont soumis à la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel le consommateur possède sa résidence habituelle, sauf si le professionnel n’exerce pas d’activité commerciale ou professionnelle dans cet État membre ou ne dirige pas ses activités vers celui-ci [2].
Toutefois, le consommateur peut également saisir les juridictions de l’État membre dans lequel le professionnel est domicilié.
Le consommateur est défini sans autre forme de précision, comme la personne qui conclut le contrat « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».
Le statut de consommateur pour les clients de plateformes crypto européennes.
Qualification de consommateur : approche objective ou subjective ?
Le litige soumis à la Cour de cassation portait sur des opérations frauduleuses effectuées sur un compte ouvert par un particulier sur la plateforme lituanienne Spectrocoin, gérée par les entités Spectro Finance Ltd (société de droit anglais) et UAB Spectro Finance (société de droit lituanien) [3].
Les sociétés défenderesses avaient soulevé, d’abord devant le Tribunal judiciaire de Montpellier, puis devant la Cour d’appel de Montpellier, une exception d’incompétence internationale, arguant que le client ne pouvait être considéré comme un consommateur au sens du règlement Bruxelles 1 bis [4].
Elles se fondaient sur la jurisprudence du Conseil d’Etat qui sur le plan fiscal, considère que les gains résultant d’une opération de cession d’unités de bitcoins doivent être imposées dans la catégorie des revenus professionnels BNC (bénéfices non commerciaux) [5].
Le choix de l’argument est intéressant car le Conseil d’Etat a fait le choix de retenir une approche résolument subjective de la notion de professionnel et non professionnel, fondée sur le comportement de la personne concernée (volume des transactions, importance des investissements ou des revenus générés).
L’enjeu était de taille puisque la qualité de consommateur permettait de facto d’invalider la clause attributive de compétence, stipulée dans les conditions générales d’utilisation des services, qui prévoyait la compétence des juridictions de la République de Lituanie en lieu et place des juridictions françaises.
Selon l’article 17 du Règlement Bruxelles 1 bis, seul celui qui agit en dehors de toute activité professionnelle, ce qui sous-entendrait d’agir dans le seul but de satisfaire ses besoins de consommation privée, est considéré comme un consommateur.
Dans son arrêt du 28 juin 2023, la Cour de cassation a confirmé la position de la Cour d’appel de Montpellier, à savoir qu’en l’espèce, le client de la plateforme SpectroCoin a agi pour satisfaire ses besoins privés, et que le contrat en question relevait de la gestion d’un patrimoine privé, lui permettant de bénéficier de la qualité de consommateur.
Les juges ont donc opté pour une approche objective de la notion de consommateur (le contrat a-t-il été conclu ou non pour les besoins de l’activité professionnelle), qui fait écho à celle de la CJUE [6], en ce qui concerne les contrats conclus sur des produits financiers complexes, et qui nous est rappelée par la Cour d’appel de Montpellier :
« L’article 17 du Règlement n° 1215/2012/UE du 12 décembre 2012 définit le consommateur comme une personne ayant conclu pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la notion de consommateur devant être interprétée strictement selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, seuls les contrats conclus en dehors de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu relevant du régime particulier prévu par le règlement en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible, une telle protection ne se justifiant pas en cas de contrat ayant comme but une activité professionnelle ».
Il est à noter que, si le contrat passé avec la plateforme contient une clause compromissoire prévoyant un arbitrage obligatoire, cette clause pourra être invalidée par le juge français au visa des articles R212-1 10° du Code de la consommation français [7].
Une application au cas par cas.
En premier lieu, pour que le consommateur puisse bénéficier de la compétence dérogatoire qui lui est offerte, à titre de protection, au for de son domicile, il faut que les conditions posées par le Règlement soient remplies, et notamment, que l’activité du professionnel soit dirigée vers l’Etat membre dans lequel réside le consommateur.
Or, de nombreux fournisseurs de services sur crypto-actifs opèrent par l’intermédiaire de la reverse sollicitation, qui permet aux acteurs étrangers de mettre à disposition leurs services dès lors qu’ils ne font pas de démarchage actif auprès des consommateurs ou de publicité pour promouvoir leurs offres, et qui se développe notamment parce qu’elle n’est pas directement couverte par le Règlement MiCA (voir l’article Ce que MiCA va changer pour les prestataires de services sur crypto-actifs (PSAN/CASP)), qui met en place un « passeport » européen pour les services sur crypto-actifs.
Dans ce cas précis, il n’est absolument pas certain que les clients puissent bénéficier de l’application des règles protectrices que leur confère le Règlement Bruxelles 1 bis.
En second lieu, les circonstances spécifiques en fonction des litiges pourraient influencer la qualification du client en tant que consommateur. En tout cas, la Cour de cassation ne semble pas fermer la voie à un examen au cas par cas :
« Après avoir relevé qu’il est établi par les pièces produites par l’appelant que celui-ci a reçu un don de 2 250 000 en crypto-monnaie XEM, qu’il a ensuite signé le contrat en cause lui permettant de procéder à l’ouverture d’un compte en ligne aux fins de créer son portefeuille de crypto-monnaie et de réaliser des opérations de conversion de cette monnaie, et que les relevés de ce compte en ligne produits par les intimés font apparaître des opérations régulières de conversion de cryptomonnaies, lui ayant procuré, aux termes de ses écritures, un gain minimum de plus de 300 000 euros et que si les 2 250 000 XEM reçus en don n’avaient aucune valeur initialement, leur valeur avait atteint au 4 janvier 2018 celle de 3 895 409 euros, que M. [U] a rejoint une fondation à but non lucratif dédiée au développement de la technologie blockchain destinée à stocker et échanger de la monnaie virtuelle et a été membre au moins temporairement au sein du conseil d’administration de cette fondation, et a participé à divers projets en lien avec les protocoles informatiques sur lesquels repose la monnaie virtuelle XEM, la cour d’appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que l’ensemble de ces éléments est insuffisant à établir le caractère professionnel du contrat en cause, dès lors que l’importance des sommes qu’il a reçues en créant son portefeuille de crypto-monnaies laissant présumer qu’il s’agissait de sa seule source de revenus n’est pas un élément déterminant pour sa qualification ou non de consommateur, étant précisé que le contrat en cause comporte aussi bien la chance de faire fructifier ses gains que le risque de les perdre, que quand bien même cette activité aurait été régulière, soit 200 opérations en 9 mois, le profit réalisé s’inscrit dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé et que si M. [U] dispose de connaissances particulières en matière de crypto-monnaie, il n’a participé à ces activités que de manière bénévole et n’est plus au conseil d’administration au jour de la conclusion du contrat ».
Dans ce contexte particulier, le client de la plateforme SpectroCoin avait été victime d’un piratage informatique qui a conduit au détournement de ses actifs à hauteur de 300 283 euros.
Une approche plus subjective pourrait être préférée lorsque le litige découle des services directement fournis par le prestataire, notamment en ce qui concerne la qualité des investissements réalisés par le client.
Rappelons enfin que, sauf le cas particulier où le cocontractant du consommateur a une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un des Etats membres de l’UE [8], le Règlement Bruxelles 1 bis ne s’applique pas aux entités domiciliées dans un état tiers à l’Union européenne [9]. En dehors de l’UE, les règles de compétence territoriale dépendront des conventions internationales en place entre la France et l’Etat de domicile de la plateforme en cause.