Défis juridiques des monnaies numériques et des cryptomonnaies : réglementation, fiscalité, impact sur le secteur financier.

Par Noémie Le Bouard, Avocat.

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Dans cet article, nous explorons les défis juridiques majeurs posés par les monnaies numériques et les cryptomonnaies, en examinant les aspects réglementaires, fiscaux et les implications pour le secteur financier.
Face à l’essor des cryptomonnaies et leur impact croissant sur le système financier mondial, il est essentiel pour les professionnels du droit, les régulateurs et les acteurs du secteur financier de comprendre et de relever ces défis afin d’assurer un développement durable et équilibré de ces nouveaux actifs numériques.

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Les monnaies numériques sont des formes électroniques de monnaie qui peuvent être utilisées pour effectuer des transactions en ligne. Les cryptomonnaies, quant à elles, sont un sous-ensemble spécifique de monnaies numériques, basées sur la technologie de la blockchain, qui permettent des transactions sécurisées et décentralisées sans l’intervention d’un intermédiaire financier traditionnel.

Depuis l’apparition du Bitcoin en 2009, les cryptomonnaies ont connu une croissance exponentielle et ont suscité un intérêt croissant de la part des investisseurs, des gouvernements et des institutions financières. Cette évolution a soulevé des questions sur la manière dont les autorités réglementaires devraient traiter ces actifs numériques innovants et les défis juridiques qui en découlent.

L’objectif de cet article est d’examiner les aspects réglementaires des monnaies numériques et des cryptomonnaies, notamment en ce qui concerne la classification, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT) et les approches réglementaires adoptées dans différentes juridictions. En outre, nous aborderons les défis juridiques liés à la régulation des cryptomonnaies et les réponses des autorités compétentes.

II. Les aspects réglementaires des monnaies numériques et des cryptomonnaies.

A. Les régulateurs et leur rôle dans le contrôle des cryptomonnaies.

La Banque centrale.

Les banques centrales jouent un rôle crucial dans la régulation des monnaies numériques et des cryptomonnaies. Elles ont pour mission de préserver la stabilité monétaire et financière et d’assurer la sécurité et l’efficacité des systèmes de paiement.

Dans ce contexte, elles surveillent l’évolution des cryptomonnaies et évaluent les risques potentiels pour la stabilité financière et la politique monétaire.

Les autorités de régulation financière.

Outre les banques centrales, d’autres autorités de régulation financière sont impliquées dans la régulation des cryptomonnaies, notamment les autorités de contrôle prudentiel et de résolution, les autorités de marchés financiers et les autorités de lutte contre le blanchiment d’argent (LCB-FT). Ces autorités sont responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre des règles et des normes visant à assurer l’intégrité, la transparence et la sécurité du marché des cryptomonnaies.

B. Les défis juridiques liés à la régulation des cryptomonnaies.

La classification des cryptomonnaies.

L’un des principaux défis juridiques dans la régulation des cryptomonnaies est leur classification. Selon les juridictions, les cryptomonnaies peuvent être considérées comme des monnaies, des biens, des valeurs mobilières ou des instruments financiers.

Cette classification a des implications importantes sur la manière dont elles sont réglementées et soumises à la fiscalité. Par exemple, si une cryptomonnaie est considérée comme une valeur mobilière, elle sera soumise aux règles et régulations applicables aux valeurs mobilières, telles que la directive européenne MIFID II ou le Securities Act américain de 1933.

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Les cryptomonnaies présentent des défis particuliers en matière de LCB-FT en raison de leur nature décentralisée, de l’anonymat relatif qu’elles offrent et de la rapidité des transactions. Les autorités sont donc particulièrement vigilantes à la mise en place de dispositifs efficaces pour prévenir et détecter les activités illicites liées aux cryptomonnaies. Les mesures de LCB-FT incluent, entre autres, l’identification et la vérification des clients (KYC), la surveillance des transactions et la déclaration des opérations suspectes aux autorités compétentes.

C. Les approches réglementaires à travers le monde.

Les États-Unis.

Aux États-Unis, plusieurs agences réglementaires, telles que la Securities and Exchange Commission (SEC), la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) et le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), jouent un rôle dans la régulation des cryptomonnaies. La classification des cryptomonnaies varie en fonction de l’agence concernée, ce qui peut entraîner des exigences réglementaires différentes et parfois contradictoires.

L’Union européenne.

Dans l’Union européenne, la régulation des cryptomonnaies est encore en cours d’élaboration. Toutefois, des mesures ont été prises pour intégrer les fournisseurs de services liés aux actifs virtuels dans le cadre de la directive anti-blanchiment (5e directive AMLD). De plus, la Commission européenne a proposé un nouveau règlement, appelé "MiCA" (Markets in Crypto-assets), visant à harmoniser et à clarifier la régulation des actifs cryptographiques dans l’ensemble de l’UE.

La Chine.

La Chine a adopté une approche beaucoup plus restrictive en ce qui concerne les cryptomonnaies. Les autorités chinoises ont interdit les échanges de cryptomonnaies et les offres initiales de coins (ICO) en 2017, et récemment, elles ont intensifié leurs efforts pour réprimer les activités de minage de cryptomonnaies et les transactions financières liées aux cryptomonnaies.

Autres pays et juridictions.

Les approches réglementaires varient également dans d’autres pays et juridictions, allant de l’interdiction totale des cryptomonnaies, comme en Inde ou en Algérie, à la mise en place de régulations adaptées et favorables à l’innovation, comme au Japon, en Suisse ou à Malte.

En bref, les défis juridiques posés par les monnaies numériques et les cryptomonnaies sont nombreux et complexes, nécessitant une approche réglementaire équilibrée qui tienne compte des risques et des avantages potentiels de ces actifs numériques innovants. Les autorités du monde entier continuent d’élaborer et d’adapter leurs régulations pour répondre à ces défis et assurer la stabilité et l’intégrité du système financier mondial. Il est essentiel pour les acteurs du secteur, les avocats et les décideurs politiques de suivre de près l’évolution de la régulation des cryptomonnaies et de collaborer pour trouver des solutions qui répondent aux préoccupations en matière de sécurité, de transparence et de protection des consommateurs, tout en encourageant l’innovation et la croissance économique.

A mesure que les cryptomonnaies gagnent en popularité et en adoption, il est probable que les régulations continueront d’évoluer et de s’adapter pour faire face aux défis juridiques posés par ces nouveaux actifs numériques et leur impact sur le système financier mondial.

III. La fiscalité des monnaies numériques et des cryptomonnaies.

A. Les enjeux fiscaux liés aux cryptomonnaies.

La détermination de la nature juridique des cryptomonnaies.

La nature juridique des cryptomonnaies a des conséquences directes sur leur traitement fiscal. Par exemple, en France, l’article 150 VH bis du Code général des impôts traite les cryptomonnaies comme des biens meubles incorporels, ce qui entraîne l’application de la fiscalité des plus-values sur les biens meubles lors de leur cession.

L’identification des contribuables.

L’anonymat relatif et la décentralisation des transactions en cryptomonnaies compliquent l’identification des contribuables et la collecte d’informations fiscales pertinentes. Dans l’Union européenne, la 5e directive AMLD (Directive (UE) 2018/843) impose aux fournisseurs de services liés aux cryptomonnaies de mettre en place des procédures d’identification et de vérification de l’identité des clients (KYC) pour faciliter la coopération avec les autorités fiscales.

B. La fiscalité des transactions en cryptomonnaies.

La taxation des gains et des pertes.

Les gains et les pertes réalisés lors de transactions en cryptomonnaies sont généralement soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les plus-values, selon la juridiction et la nature des transactions. Par exemple, aux États-Unis, l’Internal Revenue Service (IRS) considère les cryptomonnaies comme des biens, et les gains et les pertes sont traités comme des plus-values ou des moins-values en vertu de l’article 1001 du Internal Revenue Code.

La TVA et les cryptomonnaies.

La question de l’application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux transactions en cryptomonnaies a été abordée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-264/14 (Hedqvist). La Cour a jugé que les transactions en cryptomonnaies étaient exemptées de TVA en vertu de l’article 135(1)(e) de la directive 2006/112/CE, car elles étaient considérées comme des transactions portant sur des devises, des billets de banque et des pièces de monnaie ayant cours légal.

C. Les initiatives internationales en matière de fiscalité des cryptomonnaies.

L’OCDE et les propositions de régulation fiscale.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) travaille sur des propositions pour harmoniser la régulation fiscale des cryptomonnaies et faciliter la coopération internationale en matière de fiscalité. Les propositions incluent des normes communes pour la déclaration et l’échange d’informations fiscales sur les transactions en cryptomonnaies entre les administrations fiscales des pays membres.

La coopération entre les administrations fiscales.

La coopération entre les administrations fiscales est essentielle pour lutter contre la fraude fiscale liée aux cryptomonnaies. Des initiatives telles que l’échange automatique d’informations en vertu facilitent la collecte et le partage d’informations fiscales entre les pays. De plus, des groupes de travail internationaux, tels que le Joint Chiefs of Global Tax Enforcement (J5), réunissant des représentants des administrations fiscales de plusieurs pays, ont été créés pour renforcer la coopération et l’échange d’informations en matière de lutte contre la fraude fiscale liée aux cryptomonnaies.

IV. Les implications des monnaies numériques et des cryptomonnaies pour le secteur financier.

A. L’impact sur les institutions financières traditionnelles.

La concurrence avec les banques et autres intermédiaires financiers.

Les cryptomonnaies et les technologies sous-jacentes, telles que la blockchain, ont le potentiel de transformer le secteur financier en offrant des services financiers plus rapides, moins chers et plus accessibles. Cela peut entraîner une concurrence accrue pour les banques et autres intermédiaires financiers traditionnels, qui doivent s’adapter pour rester compétitifs.

Les opportunités et les risques pour les institutions financières.

Les cryptomonnaies présentent des opportunités pour les institutions financières, telles que la diversification des investissements, l’exploitation de nouvelles sources de revenus et l’amélioration de l’efficacité opérationnelle grâce à l’utilisation de technologies innovantes. Cependant, elles présentent également des risques, tels que la volatilité des marchés, les problèmes de sécurité et les défis réglementaires.

B. L’émergence de nouveaux acteurs et services financiers.

Les plateformes d’échange de cryptomonnaies.

Les plateformes d’échange de cryptomonnaies, telles que Coinbase ou Binance, jouent un rôle central dans l’écosystème des cryptomonnaies en permettant aux utilisateurs d’acheter, de vendre et d’échanger des cryptomonnaies. Ces plateformes sont soumises à des régulations spécifiques, qui varient selon les juridictions, en matière de protection des consommateurs, de lutte contre le blanchiment d’argent et de prévention du financement du terrorisme.

Les services de stockage et de gestion de portefeuilles numériques.

Les fournisseurs de services de stockage et de gestion de portefeuilles numériques, tels que les wallets numériques, permettent aux utilisateurs de stocker, de gérer et d’utiliser leurs cryptomonnaies en toute sécurité. Ces services sont également soumis à des régulations spécifiques pour garantir la protection des utilisateurs et la sécurité des fonds.

Les offres initiales de coins (ICO) et les levées de fonds en cryptomonnaies

Les ICO et autres formes de levées de fonds en cryptomonnaies, telles que les Security Token Offerings (STO) et les Initial Exchange Offerings (IEO), ont émergé comme des alternatives innovantes aux méthodes de financement traditionnelles. Ces opérations sont soumises à des régulations spécifiques, qui varient selon les juridictions, pour protéger les investisseurs et assurer la transparence des marchés.

C. Les enjeux juridiques liés aux innovations financières basées sur les cryptomonnaies.

Les smart contracts et le droit des contrats.

Les smart contracts sont des contrats automatisés et auto-exécutables qui sont codés et exécutés sur une blockchain. Bien qu’ils offrent des avantages en termes d’efficacité et de sécurité, les smart contracts soulèvent des questions juridiques complexes, telles que la validité et l’exécution des contrats, la responsabilité en cas d’erreurs ou de dysfonctionnements, et l’application des règles traditionnelles du droit des contrats.

La tokenisation des actifs et la régulation des marchés financiers.

La tokenisation des actifs, qui consiste à représenter des actifs traditionnels sous forme de tokens numériques sur une blockchain, offre des opportunités pour améliorer la liquidité, l’accessibilité et la transparence des marchés financiers. Cependant, la tokenisation soulève également des enjeux juridiques liés à la classification des tokens, à la régulation des émetteurs et des intermédiaires, et à la protection des investisseurs.

Les monnaies numériques et les cryptomonnaies posent des défis juridiques importants pour les régulateurs, les fiscalistes et le secteur financier. Il est essentiel de suivre de près les évolutions réglementaires et fiscales et de travailler ensemble pour développer des solutions juridiques adaptées qui répondent aux préoccupations en matière de sécurité, de transparence et de protection des consommateurs, tout en encourageant l’innovation et la croissance économique. À mesure que les cryptomonnaies gagnent en popularité et en adoption, il est probable que les régulations continueront d’évoluer et de s’adapter pour faire face aux défis juridiques posés par ces nouveaux actifs numériques et leur impact sur le système financier mondial.

V. Conclusion.

A. Synthèse des défis juridiques posés par les monnaies numériques et les cryptomonnaies.

Les monnaies numériques et les cryptomonnaies ont transformé le paysage financier mondial et ont soulevé des défis juridiques majeurs dans divers domaines, notamment la régulation, la fiscalité et l’impact sur le secteur financier. Les régulateurs sont confrontés à la complexité de la classification des cryptomonnaies, à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi qu’à la protection des consommateurs et des investisseurs. Les fiscalistes doivent quant à eux naviguer dans la détermination de la nature juridique des cryptomonnaies, l’identification des contribuables et la taxation des transactions en cryptomonnaies.

Enfin, le secteur financier doit s’adapter aux implications des cryptomonnaies pour les institutions financières traditionnelles, l’émergence de nouveaux acteurs et services financiers, et les enjeux juridiques liés aux innovations financières basées sur les cryptomonnaies.

B. Perspectives d’évolution de la régulation et de la fiscalité des cryptomonnaies.

Il est probable que les régulations et la fiscalité des cryptomonnaies continueront d’évoluer pour répondre aux défis juridiques posés par ces nouveaux actifs numériques.

Les initiatives internationales, telles que celles menées par l’OCDE, joueront un rôle clé pour harmoniser les régulations fiscales et faciliter la coopération entre les administrations fiscales. Les régulateurs nationaux et internationaux devront collaborer pour élaborer des cadres juridiques cohérents et adaptés qui tiennent compte des spécificités des cryptomonnaies tout en encourageant l’innovation et la croissance économique.

C. L’avenir des cryptomonnaies et leur intégration dans le système financier mondial.

L’adoption croissante des cryptomonnaies et leur intégration progressive dans le système financier mondial posent des défis juridiques sans précédent. Les professionnels du droit, les régulateurs et les acteurs du secteur financier devront travailler ensemble pour relever ces défis et assurer un développement durable et équilibré des cryptomonnaies. En adoptant une approche proactive et en anticipant les évolutions technologiques et réglementaires, il sera possible de tirer parti des opportunités offertes par les cryptomonnaies tout en atténuant les risques et en protégeant les intérêts des consommateurs et des investisseurs.

Noémie Le Bouard, Avocat
Barreau de Versailles

Le Bouard Avocats
https://www.lebouard-avocats.fr

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