Le bail commercial est encadré de façon stricte, et l’ajout de ces activités nécessite une réflexion, que rappelle la Cour d’appel de Paris avec un arrêt récent, du 17 février dernier.
CA Paris, 5, 3, 17-02-2021, n° 18/07905.
Le respect obligatoire de la clause d’activité du bail.
En l’état actuel du droit, l’activité du commerçant doit s’exercer dans le strict respect de la clause de destination du bail. Celui-ci peut toutefois faire évoluer cette activité, en utilisant la procédure de déspécialisation du bail. Lorsque l’activité envisagée peut être considérée comme une activité connexe ou complémentaire, la procédure est dite de déspécialisation partielle. Le bailleur ne peut s’y opposer, mais il pourra obtenir lors de la révision triennale une augmentation de loyer justifiée par le changement, à condition que la nouvelle activité s’exerce de façon notable, et qu’elle soit intervenue au cours du bail expiré. Ce loyer pourra même être déplafonné.
Le cas des activités dites « incluses ».
Dans certains cas pourtant, il est possible de soutenir qu’une activité peut être considérée comme découlant de façon naturelle de la destination du bail. Elle est alors dite « incluse » dans cette destination, et sa mise en place ne nécessite aucune procédure particulière vis à vis du bailleur. La reconnaissance de ce caractère est donc très intéressante pour faire évoluer son activité, mais elle découle de l’évolution des usages, et dépend de l’appréciation des juges du fond.
En pratique, cette reconnaissance est compliquée.
Si par exemple, il a été reconnu que :
la vente de quiches, croque-monsieur et pizzas est inhérente à la conception moderne de l’activité de boulangerie-pâtisserie [1],
ou encore que l’activité de rôtisserie et de vente de volailles est une adaptation communément admise de l’activité de boucherie [2],
et qu’on y a ajouté quinze ans plus tard l’activité de traiteur [3], a contrario, il a été refusé dans un premier temps d’admettre la vente à emporter comme une activité incluse de la destination « restauration, pizzeria, bar, brasserie, à l’exclusion de tous autres » [4].
En 2001, emporter sa pizza n’était donc pas retenu dans la conception « moderne » de l’activité de pizzeria...
A la même époque, la vente à emporter des sandwiches variés, couscous, merguez, brochettes et pâtisseries n’était pas non plus admise pour un « restaurant, salon de thé, pâtissier » [5].
Un peu plus tard, la vente de pizzas sur place et à emporter est enfin reconnue, mais pas celle de livraison qui implique des nuisances [6].
Une reconnaissance récente de la livraison et vente à emporter.
Qu’en est-il aujourd’hui des activités de « Click and collect » et de livraison, seules permises du fait de la crise sanitaire liée à la Covid ? Jusqu’à présent, il n’était pas possible de trouver de décision claire, permettant de dire que ces deux modalités de travail pouvaient de façon certaine être considérées comme découlant de façon naturelle de la restauration, quelle qu’en soit la forme.
L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 17 février 2021 apporte quelques avancées appréciables, dans une espèce dans laquelle la destination du bail était
« l’Importation et exportation de tous produits asiatiques, sous toutes les formes gastronomiques, artistiques, culturelles, d’ameublement et d’agrément avec dégustation sur place. Alimentation générale et restaurant, typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique ».
Le bailleur souhaitait obtenir le déplafonnement du loyer. Parmi ses arguments, il soutenait que le preneur n’avait pas respecté la destination commerciale, en mettant en place des activités non prévues au bail, à savoir la vente à emporter et la livraison des produits de restauration.
La Cour d’Appel de Paris refuse d’accueillir ce motif de déplafonnement du loyer, par un raisonnement en deux temps, étant donné que la clause de destination doit selon elle s’interpréter au regard de la combinaison des deux activités de restauration et d’alimentation générale, qu’elle mentionne.
Dans un premier temps, elle considère qu’au vu de l’évolution des usages, le commerce d’alimentation générale peut s’exercer sur internet, ce qui implique nécessairement une livraison. Elle considère par ailleurs que le commerce d’alimentation générale peut concerner la vente de plats cuisinés dans un format individuel ou familial, qui en l’occurrence peuvent être fabriqués sur place du fait de l’activité de restauration.
Il s’ensuit que la combinaison des deux activités permet à l’ensemble des produits qui en sont issus de faire l’objet de vente à emporter ou de livraison par le biais d’internet, conformément à l’évolution des usages commerciaux, en matière d’alimentation générale.
La Cour ajoute enfin une mention plus générale, sur l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle, admettant que la tendance croissante, notamment en milieu urbain, est de mettre en place des services de livraison et vente à emporter pour les produits de restauration.
La décision aurait-elle été la même en cas de restauration seule ? Si cette dernière mention permet de l’espérer, il sera cependant prudent d’en attendre la confirmation.
Cette décision paraît en tous cas logique à un moment où les efforts généraux de digitalisation des restaurants sont quantifiables. En pleine période de fermeture des restaurants, elle permet d’être rassurés sur le fait que les seules modalités de vente accessibles pour le moment tendent bien à être incluses naturellement dans la destination du bail de restauration.
Il convient toutefois d’être plutôt prudents sur la portée de cet arrêt parisien. En effet, il ne faut pas oublier que la reconnaissance d’une activité dite incluse est une affaire d’usages locaux.
On a pu constater par le passé que la reconnaissance de ces usages par le juge porte une dimension géographique très forte, et qu’il est donc possible d’avoir des décisions dont la portée reste très localisée. C’est ainsi que la vente de billets du Château de Versailles a été reconnue comme incluse dans la destination « restauration » des commerces qui bien sûr se situaient à proximité de ce lieu touristique [7].
Or, pour revenir à la notion de livraison et vente à emporter, il faut garder à l’esprit que dans les zones rurales, le même déploiement des solutions de digitalisation n’a pas toujours eu lieu, et que la décision de la Cour d’Appel de Paris analyse une tendance « notamment en milieu urbain » de l’évolution des usages commerciaux.
Nous resterons donc prudents sur la portée de cette décision qui, si elle est une première reconnaissance intéressante, ne saurait pour l’heure être généralisée.
Le contentieux de la déspécialisation devrait confirmer le sort des activités de restauration non couplées à une alimentation générale. Il devrait étendre, ou pas, cette jurisprudence aux zones les plus rurales.