Les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) sont, de plus en plus, convoqués au travail et intègrent résolument l’appréhension et la résolution pacifiée du conflit.
Pour rappel, la Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 [1], prévoit en son article 44 que :
"L’accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire (par le greffe de la juridiction compétente), constitue un titre exécutoire...".
Sur un autre registre, la même loi prévoit la généralisation de la médiation préalable obligatoire dans la fonction publique territoriale.
Ainsi, l’essor de l’amiable et sa généralisation requièrent davantage de sensibilisation du citoyen et la formation des acteurs impliqués dans la résolution des différends :
- inculquer dès le jeune âge la culture du dialogue
- distiller l’approche rationnelle et humaine
- privilégier la nuance et la communication non violente
- répandre les outils de l’intelligence relationnelle/émotionnelle : écoute active, empathie, altérité...
Plus généralement, il s’agit pour le professionnel, de conseiller, expliciter au client les avantages de l’amiable. Or, au demeurant, force est de constater que cette vision éthique n’est pas intégrée de manière soutenue et habituelle dans la pratique.
A cet égard, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre amiablement le litige :
"Lorsque la loi ne l’impose pas, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables ou alternatifs de règlement des différends préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci, ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet" [2].
Quant au tribunal, dont "il entre dans la mission du juge de concilier les parties" [3], il lui est reconnu des prérogatives lui permettant de recourir aux MARD.
Ainsi, il est loisible au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer pour information un médiateur/conciliateur, ou : "Proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation" [4].
Dès lors, de la négociation raisonnée, en passant par le processus collaboratif, la procédure participative, la médiation et la conciliation, le dispositif législatif offre une pléthore d’issues apaisées.
Au fond, le choix du mode amiable implique une étude approfondie, doublée d’une appréciation globale de la situation des parties et de leurs attentes. Ceci exige une expertise éprouvée et fine connaissance de l’alchimie du conflit. S’agissant du médiateur, ceci procède d’une :
- mission exaltante misant sur la confiance, l’humain et le bon sens
- démarche protectrice des intérêts : l’adhésion et le postulat de la co-construction volontaire prédominent
- compétence, procédant d’une œuvre éminemment éthique faisant appel à l’ingénierie relationnelle [5].
Du point de vue de la pratique contractuelle, il est souvent inséré au contrat une clause de conciliation/médiation, stipulée dans l’intérêt des parties ; non pour fermer l’accès au juge [6].
En effet, au visa de l’article L1411-1 du Code du travail, la Cour de cassation a jugé que :
"En raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend" [7].
Néanmoins, la culture de la paix nécessite la prévention des conflits de valeurs de manière éclairée, raisonnée et durable.
Conflit de valeurs et santé au travail.
L’inadéquation des perceptions des valeurs est souvent propice à alimenter les tensions et désaccords intra-groupe.
Ici, l’échange loyal, l’intelligence relationnelle/émotionnelle assurent le maintien de l’équilibre de la vie collective. Lequel s’affaisse par l’écart entre les subjectivités légitimes face au réel. C’est pour ainsi dire que le sens perd son harmonie et sa substance :
"Le seul esprit libre et indépendant est celui qui ne se soucie pas des conséquences quand il a la certitude d’avoir été fidèle à ses valeurs !" rappelle Laurent Martinez.
D’où des oppositions d’ordre émotionnel et relationnel :
- attraction/aversion
- sympathie/antipathie
- bienveillance/cassure
- assertivité/domination.
Au fond, aussi légitime qu’elle soit, la valeur, au-delà de rassembler autour du socle commun du vivre-ensemble, est encline à enraciner la rigidité au détriment du recul.
Concrètement, c’est comme reléguer au second plan l’esprit critique et la nuance.
Fondamentalement, la valeur dans le cadre du rapport au travail, est nourrie par :
- la perception individuelle
- les capacités d’ouverture, d’exploration, conceptualisation des spécificités et disparités du réel
- l’éducation/croyances.
En matière de santé au travail, nombre de salariés sont exposés aux conflits de valeurs [8]. Dès lors, il est à relever plusieurs profils d’exposition à ces derniers :
- conflits éthiques sur ce qu’il faut faire
- travail qui manque de sens et de qualité
- fierté du travail assortie d’insuffisance de moyens
- ressentis relatifs à l’inutilité du travail
- conditions délétères de réalisation du travail exacerbant la perception décalée de l’intention et du réel.
En conséquence, effet de perception et d’individuation, les salariés concernés par des conflits de valeurs s’exposent aux risques professionnels.
Dans ces conditions, quand bien même le lien causal est difficilement identifiable, la mission du médiateur est de :
- disséquer la genèse du différend
- déterminer les attentes et besoins
- réinstaller la confiance et la rationalité - pas vers l’altérité
- faire admettre le droit à l’avis contraire.
Du reste, le rôle des acteurs de la prévention, couplé à celui du médiateur, consiste à améliorer les synergies entre les CSSCT [9], et les différents référents (harcèlement, handicap…) au sein du CSE. De la manière, il importe de développer une culture d’entreprise tournée vers l’écoute, la formation et l’autonomie : renforcer les mécanismes et actions de la QVCT et la RSE
En clair, richesse de l’être, les valeurs sont cet élan de l’âme, qui, inscrit dans le projet collectif, génère énergies et synergies d’anticipation et d’émancipation.
Le tout est de mettre en place les leviers de l’expression libre, respectueuse de l’humain. Et de la dignité, dans son entièreté. Ce qui implique du reste d’instaurer des mécanismes protecteurs contre l’escalade conflictuelle.
Conflits au travail : prévenir et réagir à l’escalade.
La mésentente, l’incompréhension et le désaccord peuvent, immanquablement, conduire à l’escalade sans fin.
Situation de tension susceptible d’altérer la santé du salarié, la cohésion du groupe et in fine la performance organisationnelle et la marque employeur.
C’est que le conflit est humainement coûteux, profondément préjudiciable à plusieurs titres. Reflet de paradoxes, incompatibilités et dysfonctionnements, comme l’esquisse Claude Bernard :
"La vie résulte d’un conflit, d’une relation étroite et harmonique entre les conditions extérieures et la constitution préétablie de l’organisme".
Conceptuellement, la surenchère est la manifestation délibérée du ressenti ; l’absence de contrôle et recul de la pondération rationnelle.
En milieu du travail, l’escalade atteint son paroxysme lorsque, au fond, aucune stratégie communicationnelle n’est mise au point. Ce qui laisse libre cours à l’interminable surenchère :
- facilité réactionnelle : la mécanique remplace la maîtrise
- le coup pour coup devient un tournant sans issue
- les protagonistes oublient souvent l’élément déclencheur.
Partant, les conséquences immédiates sont on ne peut plus aliénantes :
- le conflit occupe et préoccupe à la fois protagonistes, équipe et organisation
- la démotivation est source d’erreurs professionnelles
- les manquements fautifs perturbent le lien contractuel.
Eu égard à la complexité et au caractère causal de la souffrance sous-jacente, l’intervention d’un tiers pacificateur se situe à plusieurs niveaux :
- disséquer l’alchimie du conflit : déterminer les causes
- situer les attentes de chaque partie
- renouer le dialogue et accompagner, par la clarification, la co-construction de l’issue par les médiés.
Dit autrement l’expérience du conflit, mise à bon escient, génère enseignements et pédagogie relationnels. En ce que le conflit condamne irrémédiablement l’innovation et bouscule les équilibres établis. Qui plus est, ses répercussions immédiates et lointaines atteignent des victimes par ricochet : la famille, les enfants, la carrière du salarié…
Ici, la mission du médiateur dépasse le cadre interpersonnel : elle interroge les dysfonctionnements organisationnels ; process managériaux ; conditions de travail. Cette intermédiation pacificatrice replace le bien-être et le dialogue au cœur de la QVCT.
Ainsi, la panne relationnelle requiert l’accompagnement apaisé, raisonné, concerté du changement (Voir l’article La médiation au travail : outil de prévention des conflits et des risques psychosociaux. Par M. Kebir, Avocat.). De là, prévenir le conflit c’est :
- cultiver l’engagement
- susciter l’implication
- favoriser l’écoute
- former à l’intelligence collective et à l’éthique relationnelle
- se conformer aux obligations légales.
C’est-à -dire, embellir les esprits ; recueillir les bienfaits des valeurs humaines partagées au travers du prisme de la prévention visant à protéger la santé physique et mentale du collaborateur [10].
Les outils de prévention des conflits en entreprise
Désaccords, tensions, dégradation des relations de travail, en entreprise les conflits nuisent à la santé du salarié et altèrent la croissance.
En matière de prévention, la médiation, via les outils relationnels et communicationnels, offre un espace de parole unique. La neutralité, l’impartialité, indépendance outre la confidentialité - principes déontologiques de la médiation aidant, l’expertise du médiateur sont à même d’identifier les sources et dysfonctionnements d’éventuels différends.
Dès lors, de la simple humeur dégradée aux désordres complexes, les relations individuelles et collectives sont sujettes au perfectionnement. Notamment celles qui opposent :
- salarié/manager
- employeur/collaborateurs
- entreprise/autres parties prenantes.
Les causes, lointaines ou immédiates, conduisent immanquablement à la rupture de la communication. En cela, il ne s’agit pas de résoudre le conflit, mais précisément de l’anticiper, voire l’écarter :
- repérer, identifier les ressentis
- agir en amont
- préserver intérêts individuels et collectifs ; le climat idoine du travail.
Du point de vue de la prévention primaire, rattachée à l’obligation de résultat de l’employeur - prescrite par l’article L4121-1 Code du travail, l’organisation doit mettre en œuvre une culture d’anticipation. Laquelle :
- favorise le bien-être
- enseigne les outils consolidant le lien social
- crée les conditions de confiance indispensables au dialogue contributif et constructif.
- libère la parole ; prévient la survenance du harcèlement
Au fond, le médiateur agit sur la mécanique intra-groupe, sous l’angle de l’équilibre relationnel. Son objectif :
- développer le savoir-vivre du collaborateur
- asseoir un climat d’entente, de compréhension, d’inclusion des différences et divergences
- développer la qualité relationnelle, rempart aux conflits et risques professionnels : risques psychosociaux (burnout, harcèlement, absentéisme...).
Concrètement, souffrance latente, colère, humiliation, isolement … sont les marqueurs du malaise, et, souvent, de la souffrance.
Plus généralement, par le biais de la formation au dialogue et la CNV [11], à la fois du manager et des collaborateurs, les parties à la relation de travail :
- acquièrent des capacités d’empathie, d’assertivité
- prennent la mesure des conséquences du conflit sur la personne, la famille, l’organisation
- développent le sens critique, le droit à l’erreur, l’éthique du jugement, la reconnaissance
- améliorent la conception opérationnelle de l’entente
- promeuvent la confiance, l’authenticité, l’autonomie
- innovent des bonnes pratiques de réaction en situations de conflit.
Qui plus est, le baromètre Pros-Consulte relève [12] que 85% des salariés estiment que :
- l’amélioration du bien-être renforce fidélité et engagement
- les conflits seraient la première cause de stress.
En un mot, prévenir c’est former au dialogue, accompagner, écouter, comprendre le mal-être. Une démarche s’inscrivant harmonieusement dans le cadre de RSE [13].
La médiation, outil de la RSE.
L’entreprise éthique œuvre à intégrer, en termes d’enjeux internes et externes, la prévention et l’amiable au cœur de sa responsabilité sociétale.
La Commission européenne définit la RSE en ces termes :
"Un concept désignant l’intégration volontaire par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes".
Telle approche incite à revoir le modèle organisationnel. D’autant que l’acception large de la RSE, selon la Commission,"propose un socle de valeurs sur lequel bâtir une société plus solidaire et fonder la transition vers un système économique durable".
D’où il suit que, la RSE englobe :
- le management bienveillant
- une démarche altruiste et responsable vis-à-vis des collaborateurs et la société [14]
- préserver l’Homme, adapter les conditions de travail aux travers des actions effectives dans le cadre de la QVCT [15].
Partant, l’entreprise s’inscrivant dans une démarche RSE, au-delà des bénéfices, adopte :
- une démarche favorable au dialogue, l’épanouissement individuel et collectif
- met en œuvre un plan d’action englobant la planification de la prévention des risques professionnels et une culture d’entreprise portée par l’adhésion des collaborateurs au travers de la confiance et de la reconnaissance.
C’est là, précieusement, l’objectif de pacification du lien social - et la promotion de l’altérité par le dialogue, que s’assigne la médiation.
Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE du 22 mai 2019 [16], la RSE s’en trouve renforcée. A cet égard, l’article 1833 du Code civil prévoit que :
"Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux".
L’article 1835 du même code ajoute : "Les statuts peuvent préciser une raison d’être constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité".
En ce sens, la médiation, par ses vertus sus-développées, est un outil au service de la RSE.
De surcroît, dans les rapports avec les tiers, la médiation conforte la RSE :
- un instrument de progrès social prôné par l’OCDE.
- outil de dialogue social, propice au déploiement des actions RSE.
- la négociation raisonnée fluidifie les conformités aux enjeux sociaux, environnementaux.
A ce titre, la loi santé au travail du 2 août 2021 [17], favorise l’alliage indissociable QVCT et RSE.
Qui plus est, la QVCT s’inscrit dans le droit fil de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur [18].
En dernière analyse, fondée sur le bon sens et la primauté de l’humain, tout autant un outil de l’émancipation sociale, de la conduite de projets, de prévention et de règlement des litiges, la médiation offre des gages féconds de bien-être au travail, pivot de la croissance de l’organisation.
Discussion en cours :
Un panorama certes juridique de la place des modes amiables dans le quotidien des relations !