Dans le souci de protéger les droits et libertés fondamentaux des représentants du personnel (Droit à l’égalité de traitement, liberté syndicale), le code du travail invite les acteurs du dialogue social, à travers les articles L.2242-20 alinéa 6 [1] et L.2141-5 alinéa 2 [2], à négocier des mesures afférentes notamment à l’évolution professionnelle et à la valorisation de l’expérience syndicale des salariés protégés. On comprend alors ainsi, que la singularité fonctionnelle et statutaire des élus doit être prise en compte dans le cadre de la négociation collective dans l’entreprise. En pratique, cette exigence donne lieu à la conclusion d’accords d’entreprise sur l’exercice du droit syndical et la gestion des carrières des représentants du personnel.
L’intérêt de ces accords pour les représentants du personnel comme pour les directions est indubitable. D’abord, parce que ces accords facilitent l’exercice de la liberté et de l’action syndicales en donnant plus de moyens et même de droits aux élus. Dit autrement, l’idée est de faciliter l’activité militante en offrant aux organisations syndicales davantage de ressources (matérielles et temporelles) que celles garanties a minima par la loi [3]. En effet, les dispositions contenues dans ces accords sont généralement plus favorables que les dispositions légales, c’est par exemple le cas en ce qui concerne le crédit d’heures de délégation.
Ensuite, la négociation de ces accords permet de donner un cadre transparent, objectivé et consensuel à l’exercice des responsabilités syndicales au sein de l’entreprise ; facilitant ainsi, pour les employeurs, la gestion opérationnelle de cette catégorie particulière de salariés. D’ailleurs, à l’aune du principe de faveur porté par ces accords, nous pensons, à la suite de Jérôme BOURDIEU et Thomas BREDA, que « améliorer la situation des représentants contribue à rendre le dialogue social moins conflictuel » [4].
En outre, l’intérêt de tels accords réside dans le fait qu’ils offrent à l’employeur, l’opportunité de régler de façon préventive des difficultés pratiques, sans procéder à des tâtonnements risqués en cas de vide juridique. A titre d’illustration, nous citerons le cas des représentants du personnel ayant le statut de cadres au forfait-jours. Ils ne sont soumis à aucun horaire et doivent simplement effectuer par an un nombre de jours de travail connu par avance [5]. Le manager peut-il exiger d’eux qu’ils déclarent le nombre d’heures effectuées au titre de leur(s) mandat(s) alors que, par principe, un salarié au forfait-jours n’a pas de compte à rendre en termes d’horaires ?
Pendant longtemps régnait un mutisme législatif à ce sujet. Les employeurs qui n’avaient pas conclu d’accord de droit syndical réglant ce problème, étaient ainsi exposés au délit d’entrave en cas de mésintelligence sur les modalités de prise des heures de délégation par le représentant du personnel au forfait-jours. La loi EL KHOMRI du 08 août 2016 est venue ôter cette épée de Damoclès sur la tête de l’employeur en instaurant un mécanisme supplétif de décompte des heures de délégation propre aux salariés au forfait-jours [6].
Si cette question de la prise des heures de délégation du salarié au forfait-jour est désormais derrière nous, la rémunération variable des représentants du personnel demeure un véritable point d’achoppement, donnant lieu à de nombreux contentieux en discrimination syndicale. En pratique, la rémunération variable du salarié résulte de la combinaison d’au moins deux facteurs : la fixation des objectifs au salarié et l’évaluation professionnelle par le manager. A cet égard, les DRH font face à des injonctions jurisprudentielles pour le moins équivoques, puisque d’une part on leur interdit de se référer aux mandats des représentants du personnel [7] dans le cadre de l’évaluation de ces derniers, d’autre part on leur impose de tenir compte de ces mêmes mandats pour la fixation des objectifs des représentants du personnel [8]. Il a par exemple été jugé discriminatoire [9] le fait pour un responsable hiérarchique d’avoir mentionné la phrase suivante lors de l’entretien professionnel d’un élu : « M. X... n’est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part », et ce alors que le temps de travail de l’intéressé avait été proratisé en fonction du temps passé à ses mandats.
Du reste, comment évaluer professionnellement un élu qui n’est jamais à son poste ? Comment lui fixer des objectifs ? Et puis, est-ce vraiment juste, ne fût-ce que vis-à-vis des autres salariés, d’accorder une prime d’assiduité à un permanent syndical que personne ne voit jamais ? Dans l’attente que les réponses à ces questions nous soient un jour apportées par la cour de cassation ou par le législateur lui-même, nous estimons que les DRH (plus que les délégués syndicaux d’ailleurs), ont intérêt, via la négociation collective, à rechercher le compromis dynamique [10], c’est-à-dire un arrangement prospectif capable d’évoluer en s’adaptant en tant que de besoin, à l’environnement et aux circonstances.
En définitive, il est constant que les accords de droit syndical peuvent être des instruments juridiques utiles non pas simplement à la pacification des relations sociales, mais aussi à la prévention de la discrimination syndicale, pour autant que la démarche ne soit pas purement théorique et formelle, mais bien réelle et sincère. Il est d’autant plus important d’anticiper les difficultés en amont par la voie conventionnelle qu’en aval, les cas de discrimination syndicale restent ceux dont l’administration du travail est le plus souvent saisie et généralement, in fine, la justice [11].