A titre liminaire, relevons qu’une nouvelle fois « c’est une reconfiguration des rapports à la justice et au droit qui est à l’œuvre... par la technique sans qu’une conception globale du sens de l’amiable y ait précédé ». Or « les enjeux liés à la politique amiable sont d’importance car elle dessine les rapports du justiciable à la justice et au droit. Derrière leur apparence technique, les préconisations des chantiers justice sur l’amiable portent un choix de société » et « le chantier de l’amiable n’est pas réductible aux outils qu’il utilise » [1].
La Fédération Française des Centres de Médiation a participé en janvier 2018 à l’enquête lancée par la Chancellerie sur ce chantier. Elle se propose d’apporter sa contribution au projet de loi.
L’article 2 prévoit que lorsque le litige porte sur une somme modique ou sur un conflit de voisinage, une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative préalable à la saisine du tribunal de grande instance, est obligatoire à peine d’irrecevabilité.
Pour que cette mesure soit effective et qu’elle ne constitue pas une simple formalité, il est nécessaire de mettre à la disposition des justiciables de nouveaux moyens d’accès aux praticiens expérimentés de la conciliation, de la médiation ou de l’arbitrage.
A l’instar des plateformes d’accès au droit, des plateformes d’offre en ligne de résolution amiable des différends se créent dans le secteur privé. L’article 3 entend sécuriser leur mode de fonctionnement.
Mais, en l’état des textes, il est difficile pour la personne en litige de choisir parmi cette offre de modes amiables le plus adéquat à sa situation.
Autant l’information sur l’arbitrage et sur la procédure participative est claire, autant celle sur ce qui distingue le processus de médiation de la conciliation reste floue, même pour les prescripteurs [2].
Il n’y a pas de définition juridique de la conciliation et celle de la médiation que l’on trouve à l’article 21 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 comporte une erreur matérielle grossière, à l’origine de la confusion actuelle.
La clarification de la notion de « médiation » est un « préalable obligatoire » à l’application de la politique publique de développement de la résolution amiable des différends.
I. Clarifier la définition de la Médiation.
Lors de la transposition de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation civile et commerciale, l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 a introduit à l’article 21 de la loi de 1995 la définition suivante de la médiation :
« La médiation régie par le présent chapitre s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige. »
La mention « quelle qu’en soit la dénomination » prive la médiation de sa propre dénomination qui devient un terme générique, incluant tous les autres modes amiables de règlement des différends, conciliation, arbitrage, procédure participative, pourparlers transactionnels, processus collaboratif, négociation etc...
Supprimer le nom d’un concept, alors qu’on prétend le définir, constitue un non sens absolu.
La seule explication logique réside dans une erreur matérielle survenue lors de la transposition des termes communautaires définissant la médiation et le médiateur à l’article 3 de la directive 2008/52/CE.
Article 3 : Définitions :
Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) « médiation », un processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur. Ce processus peut être engagé par les parties, suggéré ou ordonné par une juridiction ou prescrit par le droit d’un État membre.
b) « médiateur », tout tiers sollicité pour mener une médiation avec efficacité, impartialité et compétence, quelle que soit l’appellation ou la profession de ce tiers dans l’État membre concerné et quelle que soit la façon dont il a été nommé pour mener ladite médiation ou dont il a été chargé de la mener.
En Europe, la médiation est, effectivement, diversement dénommée et couvre des réalités différentes : Vermittlung en allemand, Médiacion en espagnol, Mediazione en italien, Mediaçao en portugais, Bemiddeling en néerlandais, Mediacji en polonais, Medure en roumain...
L’expression « quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé » doit être complétée par la terminologie communautaire habituelle, soit « .... dans l’Etat membre concerné ».
La reprise de cette expression dans le texte français sous la forme « quelle qu’en soit la dénomination » est parfaitement injustifiée, elle sera donc supprimée.
« La médiation régie par le présent chapitre s’entend d’un processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige. »
Sous cette forme, la rédaction de ce texte reste insatisfaisante dans la mesure où les termes employés peuvent aussi bien s’appliquer à la conciliation ou à la négociation, alors que l’intérêt de donner une définition légale de la médiation c’est précisément de permettre de la distinguer des autres MARD.
Vouloir définir en termes juridiques le processus de la médiation est une gageure.
Madame le professeur Michèle Guillaume Hofnung, auteure du « Que sais-je ? La Médiation » rappelle qu’il « s’agit d’un concept philosophique majeur, alors que la conciliation et la négociation ne sont que de simples notions ».
« La médiation, c’est faire s’accorder plusieurs vérités » (Kant - Au-delà du miroir)
« Le seul moyen de sauver la médiation, c’est de la sortir du piège terminologique » [3].
La réforme structurelle engagée doit commencer par l’adoption de la définition de la médiation la plus exacte qui en est donnée dans le Code national de déontologie du médiateur, validée en 2009 par les dix organismes les plus représentatifs (Le Rassemblement des Organisations de Médiation) :
« La médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est un processus structuré reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants qui, volontairement, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise par des entretiens confidentiels, l’établissement et/ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits. »
Tout risque de confusion de la médiation avec les autres MARD serait définitivement écarté.
Le développement des MARD est au prix de ce geste fort et symbolique de l’adoption d’un texte fondateur, exempt de termes juridiques, définissant la médiation comme un processus « sui generis », porteur de valeurs d’altérité, de respect, de responsabilité et d’équité.
II. Assurer la qualité et l’efficacité des offres en ligne de résolution amiable des différends.
L’extension de la tentative préalable obligatoire de résolution amiable devant le tribunal de grande instance, pour les litiges dont l’enjeu financier est modique et pour les conflits de voisinage, prévue à l’article 2 du projet de loi, a pour corollaire indispensable la mise à disposition de nos concitoyens de nouveaux moyens d’accès à l’information sur les MARD, telles les plateformes numériques.
L’article 3 propose de sécuriser le cadre juridique de l’offre en ligne de résolution amiable des différends en imposant aux acteurs de ces plateformes des obligations déontologiques pouvant éventuellement « faire l’objet d’une certification par un organisme accrédité ».
L’aide en ligne doit être obligatoirement assurée par une personne physique « La conciliation, la médiation ou l’arbitrage en ligne ne peuvent résulter exclusivement d’un traitement par algorithme ou d’un traitement informatisé, » qui reste un simple outil d’aide à la décision.
➢ On dénombre déjà 162 Legal tech et start-up offrant des informations juridiques en ligne.
La rédaction d’actes représente 40% des demandes, l’information juridique 21%, la mise en relation entre professionnels et particuliers 20%, entre professionnels et entreprises 19% etc- Guide des start- up du droit [4].
Les demandes d’information sur l’arbitrage ou la médiation ne représentent que 2% des demandes, ce qui confirme la nécessité de développer l’accès à l’information sur les MARD.
« En fournissant des informations quantifiées, notamment financières, relatives à l’issue d’une procédure judiciaire, les services d’aide à la décision sont également des instruments de promotion des modes alternatifs de règlement des litiges » [5] (Predictice).
Cependant, l’information statistique sur la tendance dominante de la jurisprudence applicable à la situation donnée n’a pas le même impact selon le mode de résolution amiable qui s’y adapte.
Si le canal choisi est la conciliation ou la négociation, il est probable que l’information sur l’issue judiciaire sera déterminante dans les échanges et concessions pouvant aboutir à une transaction.
Par contre, si la médiation s’avère être le processus le mieux adapté au conflit, à son contexte et à la personnalité de ses acteurs, l’information prédictive sur l’issue judiciaire ne présente que très peu d’intérêt : il ne s’agit pas de dire le droit.
Le choix de la médiation est dicté par la volonté des participants, non seulement de régler le litige, et, bien souvent des différends périphériques, mais aussi de restaurer la relation, objectif rarement rempli par la décision judiciaire.
En médiation, les participants aidés par le médiateur, cherchent à identifier leurs besoins réciproques et non pas à revendiquer des droits, souvent impossibles à concrétiser sans dommages collatéraux.
Ils se réapproprient leurs différends et construisent eux-mêmes leur solution pragmatique et pérenne en faisant appel à leur autonomisation ("empowerment").
➢ Par conséquent, les nouvelles plateformes, dédiées exclusivement à l’offre en ligne de la résolution amiable des différends, doivent d’abord être administrées par des professionnels des modes amiables capables de délivrer une information claire et précise sur les spécificités de chacun de ces vecteurs, garantissant ainsi le choix de l’interlocuteur.
En second lieu, un cahier des charges doit préciser les modalités des diverses prestations offertes.
La société Legavox a lancé la plateforme « Médiaconf » qui propose :
« La médiation à distance : par e-mail ou téléphone, pour les petits litiges de consommation »,
« La médiation par visioconférence : pour les personnes physiquement éloignées »,
« La médiation présentielle : pour les gros litiges. » [6]
Ces options soulèvent un certain nombre d’objections au regard des fondamentaux de la médiation.
1. La « médiation » à distance de litiges de consommation « de masse » (téléphonie mobile, connexion Internet, fourniture de consommables...) est, de fait, une conciliation.
Lorsque l’opérateur de la plateforme propose une solution basée sur des algorithmes, à l’instar des associations de défense des consommateurs, il donne un conseil ce qui est le propre du conciliateur mais est vivement déconseillé au médiateur.
2. En médiation, il n’y a pas de « petits » et de « gros » litiges.
Ce qui importe c’est le niveau du conflit : quels besoins sont impactés ? (pyramide de Maslow).
3. Ce travail d’accompagnement psychologique nécessite la présence physique des participants.
A travers un media – Skype ou Snapchat – les participants « s’aperçoivent » mais ne « se perçoivent » pas (outils de la P.N.L.)
En ce qui concerne la médiation, le principal intérêt des plateformes d’offre en ligne réside dans la mise en relation des personnes en conflit avec des médiateurs, encore faut il que l’opérateur connaisse parfaitement ce qui distingue la médiation des autres MARD.
Il incombe aux plateformes de garantir à leurs clients une prestation adaptée et de qualité en faisant appel à des praticiens expérimentés, sélectionnés selon des critères reconnus sur le plan national, qui ne sont pas nécessairement ceux de la « certification » prévue à l’article 3 du projet de loi.
III. La certification des Plateformes et des Médiateurs.
L’article 3 du projet de loi prévoit également la faculté pour les services en ligne, fournissant des prestations de conciliation, médiation ou d’arbitrage, de faire l’objet d’une certification par un organisme accrédité, faculté qui devient une obligation pour leur raccordement au service public de la justice.
Selon l’étude d’impact du projet, la certification des plateformes, des conciliateurs, des médiateurs et des arbitres, devrait être délivrée par le Comité Français de l’Accréditation (COFRAC), association Loi de 1901 à but non lucratif créée en 1994, désignée par le décret n°2008-1401 du 19 décembre 2008 comme unique instance nationale d’accréditation des organismes intervenant dans l’évaluation de la conformité.
L’article 4 de la directive 2008/52/CE sur la « Qualité de la médiation » prévoit l’adhésion des médiateurs à des « codes volontaires de bonne conduite » ainsi que des « mécanismes efficaces de contrôle de la qualité relatifs à la fourniture de services de médiation ».
Chargé par la Chancellerie d’une étude sur la transposition de la directive, le Conseil d’Etat a déposé le 29 juillet 2010 un rapport confrontant notamment divers mécanismes de contrôle (p.53 à 55) [7]
« L’objectif devant être de parvenir à un système souple, peu coûteux, néanmoins efficace et conforme aux exigences imposées par la directive « Services » du 12 décembre 2006. »
L’option d’uncontrôle par l’Etat au moyen d’un mécanisme d’agrément individuel des médiateursserait lourde administrativement et reviendrait à créer une nouvelle profession réglementée.
Un mécanisme de contrôle de compétence par un organisme privé de type ISO présente l’inconvénient d’une rémunération de l’organisme contrôleur par l’organisme contrôlé, remettant en question l’indépendance du contrôleur.
Un système déclaratif permettrait d’identifier les personnes ou institutions exerçant la médiation et présenterait l’avantage d’informer le public mais il ne pourrait être obligatoire compte tenu du principe du libre choix du médiateur par les parties.
L’établissement de listes de médiateurs par Cour d’appel, dont le processus d’instruction est en cours, correspond à ce mécanisme soumis à révision tous les 3 ans.
Mais le Conseil d’Etat privilégie un système plus souple et plus fiable : l’adhésion volontaire des médiateurs à des associations agréées qui assurent le respect par leurs membres du Code national de déontologie du Médiateur de 2009 et le contrôle de la qualité de leur formation et de leurs prestations. Le Conseil d’Etat citait l’exemple du processus à double degré de la FNCM relayé par ses Centres.
La condition substantielle pour un contrôle efficace de la qualité du médiateur et de sa prestation c’est la proximité de ce dernier avec l’entité qui garantit cette qualité.
Ainsi, certaines Cours d’appel refusent d’inscrire sur leur liste des médiateurs exerçant en dehors de leur ressort.
L’évaluation par les « médiés », par ses pairs en co-médiation, l’analyse de la pratique en interne et la supervision, constituent des références objectives en vue de l’agrément individuel du médiateur par l’association dont il est membre.
L’harmonisation de ce mécanisme de contrôle est assurée au second degré par l’organisme fédérateur des Centres ou associations qui élabore des normes de formation de base et continue ainsi que d’évaluation de la pratique et d’assurance de responsabilité civile professionnelle.
Le Centre/association justifie auprès de l’organisme fédérateur du respect de ces normes pour obtenir le Label de l’organisme, révisé tous les trois ans.
Ce mécanisme de contrôle à double degré incite les médiateurs à adhérer à un Centre/association.
Il régule l’offre de médiation et il est très simple à gérer par la puissance publique qui n’a à accréditer qu’un nombre réduit d’organismes garantissant ce système.
Le COFRAC a certes compétence pour accréditer des « organismes intervenant dans l’évaluation de la conformité », mais la réforme J 21 envisageait la création d’un Conseil National de la Médiation qui serait sans doute davantage adapté à la singularité de la médiation.
En l’état, les plateformes d’offre en ligne de résolution amiable des différends ne remplissent manifestement pas les conditions requises pour être accréditées par le COFRAC.
Les préconisations de la FFCM.
1. Intégrer à l’article 21 de la loi du 8 février 1995 la définition de la médiation du Code de déontologie du Médiateur du 5 février 2009 qui distingue clairement le processus de médiation des autres M.A.R.D. :
« La médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est un processus structuré reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants qui, volontairement, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise par des entretiens confidentiels, l’établissement et/ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits. »
2. Inciter les opérateurs des plateformes d’offre de résolution amiable des différends à sélectionner des médiateurs qui justifient être membres d’un organisme de médiation assurant un contrôle de la qualité des prestations et agréés ou certifiés par cet organisme.
Ce critère est retenu pour l’établissement des listes de médiateurs par les Cours d’appel par la circulaire du 8 février 2018.
3. A l’instar d’autres pays européens, créer une commission composée de médiateurs praticiens, mais aussi d’universitaires spécialisés dans l’étude de la médiation et de juristes formés aux M.A.R.D. avec mission d’élaborer le cahier des charges d’une entité d’accréditation des organismes de médiation qui disposent « d’un mécanisme efficace de contrôle de la qualité » des prestations de médiation (Article 4 de la directive 2008/52/CE).
La médiation, processus basé sur l’autonomie de la volonté, est essentiellement une création de la société civile. C’est un processus éthique qui se développe dans l’autorégulation.
Aussi convient il d’associer dorénavant des médiateurs expérimentés :
A la réécriture des textes qui portent atteinte aux principes fondamentaux de ce processus, telles les dispositions du code de procédure civile sur l’homologation des accords et sur les critères de compétence des médiateurs, pour éviter les incongruités, inexactitudes ou confusions que la FFCM a déjà relevées à plusieurs reprises, comme par exemple :
➢ L’article 131-12 du CPC issu du décret du 26 avril 2016, objet d’un recours gracieux aux fins de modifier les termes « constat d’accord établi par le médiateur de justice »
➢ Les modalités d’homologation des accords :
Celui issu d’une médiation judiciaire est soumis à l’homologation du juge à l’initiative d’une seule des parties - Article 131-12 du CPC.
Tandis que l’accord issu d’une médiation conventionnelle ne peut être homologué qu’à la demande de toutes les parties. - Article 1534 du CPC.
➢ Les distinctions résultant des articles 131-5 du CPC et 1532 du CPC ne sont pas justifiées. Elles tendent à créer plusieurs statuts au sein d’une activité qui doit être homogène pour en garantir la qualité.
Les conditions de compétences du médiateur choisi par les parties ou désigné par le juge doivent être les mêmes. Un même médiateur officie de la même façon que ce soit à la demande des parties ou à celle du juge.
A la mise en place des outils numériques dans le cadre du développement de l’information sur les modes amiables de résolution des différends.