Deux arrêtés, datés du 24 juin 2022 et parus au JO du 2 juillet dernier, renouvellent les conventions nationales signées avec l’assurance maladie pour, respectivement, les opticiens et les entreprises en audioprothèses, professionnels notamment distributeurs auprès du public de dispositifs médicaux pris en charge au titre de la LPP : lunettes et lentilles correctrices ou prothèses auditives.
Parmi les moult dispositions de ces conventions, chacune rappelle les règles applicables à la publicité des dispositifs médicaux, renvoyant au respect des articles L5213-1 et suivants du Code de la santé publique (CSP) ainsi qu’aux principes édictés par le Code de la consommation en matière de pratiques commerciales.
Elles précisent également que les entreprises en audioprothèse ou l’opticien informent le public de manière neutre et objective qu’elles appliquent le dispositif « 100% santé ». C’est une des nouveautés de ces deux conventions, le dispositif étant déployé depuis janvier 2021.
Si la formule recadre déjà certaines pratiques jugées par certains excessives [1], alors que la DGCCRF vient d’épingler certaines dérives [2], elle n’en demeure pas moins une brèche dans un principe bien établi par la loi.
L’absence de mise en exergue du caractère remboursable dans la publicité auprès du public.
Dans sa démarche d’encadrement de la publicité des dispositifs médicaux, entreprise en 2011 dans le cadre de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé dite loi « Bertrand », le législateur a repris l’esprit d’une des dispositions applicables à la publicité des médicaments, poursuivant sa logique d’aligner, dans la mesure du possible, les deux régimes juridiques.
Concernant les médicaments, l’article L5122-6 du CSP interdit toute publicité auprès du public pour les médicaments dont au moins une présentation est remboursable par les régimes obligatoires d’assurance maladie. Ce principe, laissé à la discrétion des États membres de l’Union Européenne par la directive 2004/27/CE, s’ajoute au principe communautaire d’interdiction de la publicité pour les médicaments soumis à prescription médicale, hormis le cas des vaccins qui disposent d’une exception.
De facto, la publicité en faveur des médicaments auprès du public se limite donc au marché de l’automédication, dessinant en creux le marché de la prescription médicale pour les médicaments prescrits ou remboursables.
Certaines substances actives coexistent dans les deux marchés en raison du statut de la spécialité pharmaceutique concernée en termes de remboursement (le paracétamol par exemple) ou si elles peuvent faire l’objet d’une exonération en dessous d’un certain dosage ou quantité (l’oméprazole par exemple).
Ainsi, même si le patient peut-être exposé à une publicité pour un médicament dont il peut exister un équivalent remboursable, cela n’est jamais perceptible dans la publicité. Cette disposition ne trouve pas directement de fondement dans la protection du patient et de la santé publique mais dans la préservation du système économique de prise en charge des médicaments.
Pour les dispositifs médicaux, l’article L5213-3 du CSP reprend ce principe d’interdiction : « Ne peuvent faire l’objet d’une publicité auprès du public les dispositifs médicaux et leurs accessoires pris en charge ou financés, même partiellement, par les régimes obligatoires d’assurance maladie », mais le pondère en créant une exception pour les dispositifs médicaux et accessoires « présentant un faible risque pour la santé humaine dont la liste est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ».
En l’occurrence, l’arrêté du 21 décembre 2012 fixant la liste des DM « remboursables » autorisés à faire l’objet de publicité auprès du public limite à ce jour cette possibilité aux DM de classe I et IIa. Les lunettes et lentilles correctrices et les prothèses auditives sont donc concernées. On se souvient a contrario du cas des préservatifs (Voir l’article La saga réglementaire de la publicité des préservatifs) dont les marques remboursables, en tant que DM de classe IIb, se retrouvent privées de promotion auprès du public.
En outre, l’article R5213-1 du CSP ajoute que la publicité auprès du public ne peut faire mention du fait que ces DM sont pris en charge, en tout ou partie, par les régimes obligatoires d’assurance maladie ou même par un régime complémentaire.
Ce principe d’interdiction de la promotion du caractère remboursable préexistait à la loi « Bertrand ». On peut notamment lire dans le rapport du projet de loi au sujet de l’article L5213-3 précité :
« Cet article met fin à une ambiguïté née de la rédaction de l’article L165-8 du Code de la sécurité sociale relatif au remboursement par l’assurance maladie des dispositifs médicaux. Son premier alinéa disposant que « la publicité auprès du public pour les produits ou prestations inscrits sur la liste prévue à l’article L165-1 ne peut mentionner que ces produits ou ces prestations peuvent être remboursés par l’assurance maladie ou par un régime complémentaire », on pouvait en conclure l’existence d’une autorisation tacite de la publicité sur les dispositifs médicaux pris en charge par l’assurance maladie tant qu’il n’était pas fait mention de cette prise en charge. Le nouvel article L5213-3 pose clairement le principe de l’interdiction ».
Le Code de la santé publique et le Code de la sécurité sociale s’accordent donc sur le fait que les produits inscrits à la LPP, même si certains sont autorisés à faire de la publicité auprès du public, ne peuvent en aucun cas en faire mention dans ce contexte. On retrouve la logique appliquée pour les médicaments.
Les infractions en la matière sont punies d’une amende de 37 500 euros, dont le montant maximum peut être porté à 50% des dépenses de la publicité constituant l’infraction.
Notons que ce principe d’interdiction de publicité auprès du public n’a pas été prévu pour les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV) remboursables mais que toutefois, les DMDIV remboursables ne peuvent pas non plus le mettre en exergue dans le cadre de la publicité auprès du public.
Information ou publicité ?
L’article L165-8 précité du Code de la sécurité sociale précise également que
« cette disposition ne s’oppose pas à ce que tout opérateur vendant au public de tels produits ou prestations fournisse au consommateur, sur le lieu de la vente et au moment de celle-ci, toute information sur son prix ainsi que sur les conditions de prise en charge par l’assurance maladie du produit ou de la prestation offerte à la vente, de ses différents éléments constitutifs dans le cas de dispositifs modulaires et des adjonctions ou suppléments éventuels ».
On distinguait donc déjà la mise en exergue du caractère remboursable comme argument promotionnel, de l’information du patient-consommateur du soin directement concerné.
Dans le cadre de la publicité, il faudra distinguer, d’une part, la publicité pour un DM - ou une gamme - précisément identifiée, régie par le CSP et qui se voit donc appliquer l’interdiction de mention du fait que ce DM entre dans le cadre du dispositif « 100% santé » et d’autre part, la publicité pour le professionnel qui lui, pourra faire y faire mention « de façon neutre et objective ».
Ces différentes publicités pourraient pourtant coexister, par exemple dans les vitrines des professionnels.
En outre, la recommandation de publicité de l’ANSM portant sur les informations relatives à la santé humaine ou à des maladies humaines [3] rappelle comme le prévoit la loi [4] qu’elles ne sont pas incluses dans le champ de la publicité pour autant qu’il n’y ait pas de référence même indirecte à un DM particulier.
Ces informations non promotionnelles, où l’émetteur fait apparaître son nom et son logo, peuvent évoquer, de manière non exclusive, les différentes stratégies thérapeutiques disponibles, et les citer à condition que celles-ci ne relèvent pas d’un seul fabricant, ce qui est le cas pour les lunettes et lentilles correctrices ainsi que les prothèses auditives. A contrario, il ne peut pas être fait référence à un produit spécifique, faute de tomber dans le champ de la publicité en faveur du DM concerné.
On comprend donc qu’un fabricant ou un distributeur peut, dans le cadre d’une information sur la santé humaine, faire mention du fait que le type de DM qu’il fabrique ou distribue est intégré dans le « 100 % santé », tant qu’il n’ajoute pas de mentions, caractéristiques ou visuels qui permettraient d’identifier un des siens.
Là encore, la diffusion de ces informations non promotionnelles pourraient être concomitantes à la diffusion de publicités.
In fine, malgré l’encadrement prévu, la juxtaposition des dispositions légales et conventionnelles laisse perplexe quant à leur application pratique et constitue un des rares cas où le principe interdisant de faire promotion auprès du public du caractère remboursable d’un produit de santé pourrait se retrouver dévoyé… dans l’intérêt du patient.
Quand deux principes s’opposent : la promotion de l’accès au soin et la maîtrise des dépenses de l’assurance maladie. Une sorte d’illustration du « en même temps » ?