Le droit français distingue les sociétés civiles des sociétés commerciales. Ainsi, une société civile est constituée et régie par des règles spéciales et ce, chaque fois que l’entité ne peut être rattachée à des régimes spéciaux existants, en raison de sa forme, de son objet ou encore de sa nature.
Dès lors, et de manière classique, lorsque le droit spécial ne prévoit rien, il faut revenir au droit commun, et notamment aux dispositions du code civil. En la matière, ce sont les articles 1845 et suivants qui régissent spécifiquement l’existence et le fonctionnement de la société civile, en plus des règles civiles applicables de manière propre aux sociétés en général.
L’article 1845 du code civil dispose en son second alinéa qu’ « Ont le caractère civil toutes les sociétés auxquelles la loi n’attribue pas un autre caractère à raison de leur forme, de leur nature, ou de leur objet ».
Les sociétés civiles semblent donc être une catégorie sui generis de personnes morales, n’entrant dans aucune « case » juridique. Toutefois, il serait erroné de penser que les sociétés civiles sont marginales dans le paysage juridique français ou encore qu’elles ne sont soumises à aucune forme d’obligations et de règles.
En effet, comme toute personne morale, la société civile dispose de droits et d’obligations, au même titre que ses associés. Dans tous les régimes applicables aux sociétés, les associés ont des droits spécifiques prévus par la loi, mais aussi par les statuts de l’entité. L’un des droits caractéristiques de tout associé d’une société civile, réside dans le droit de retrait.
Le droit de retrait est un mécanisme singulier, qui permet à un associé en capital de décider unilatéralement de sortir du capital de la société, et donc de contraindre les autres associés à racheter ses titres ou à réduire le capital de la société. Ce mécanisme est institué dans toutes les sociétés civiles par le code civil .
Le régime de la société civile laisse une grande liberté aux associés, notamment dans la rédaction des statuts qui peuvent venir prévoir des droits et obligations spécifiques. En l’absence d’affectio societatis, les statuts d’une société civile peuvent prévoir la possibilité d’exclure un associé ; nous parlerons ici de « retrait forcé ». La décision doit être prise par les organes de direction de la société après qu’elle ait fait notifier une lettre précisant à l’associé concerné, le motif de l’exclusion envisagée ainsi que ses modalités. L’associé est invité à présenter ses observations. Par exemple, des statuts peuvent venir prévoir que l’associé personne morale, dont une procédure collective sera ouverte à son encontre, devra se retirer de la société, ceci entrainant la perte de la qualité d’associé et le remboursement de ses parts sociales.
C’est le président du tribunal de grande instance qui bénéficie d’une compétence exclusive pour désigner l’expert chargé d’évaluer les droits de l’associé qui se retire, en cas de désaccord entre les associés. Il doit également justifier sa décision en retenant qu’il existe de justes motifs permettant de donner l’autorisation de retrait.
C’est notamment dans le contexte d’un associé personne morale à l’encontre duquel une procédure collective avait été ouverte, que la chambre commerciale est venue affiner sa position le 27 juin 2018 , sur le remboursement des parts et plus précisément sur l’action civile pouvant être engagée par l’associé à l’encontre de la société et des autres associés.
En l’espèce, les statuts d’une société civile professionnelle (SCP) prévoyaient la continuité de celle-ci dans l’hypothèse où un des associés personne morale serait confronté à une procédure collective, avec obligation pour la SCP de rembourser les parts de l’associé à leur juste valeur et ce dès l’ouverture du droit de rachat. L’associé concerné (une société anonyme), avait été soumis à une procédure de redressement puis de liquidation judiciaire. Cette affaire soulevait plusieurs problématiques puisque c’est seulement 15 ans après les faits que l’assemblée générale de la SCP décidait de la valeur des parts de l’associé, afin notamment de les lui rembourser. De nombreux désaccords conduisirent le président du TGI à désigner un expert afin d’établir la valeur des parts sociales. Ce dernier, estimant la valeur des parts à zéro, une nouvelle assemblée générale de la SCP statua sur le fait que l’associé avait dès lors perdu la qualité d’associé le jour de la réception du rapport d’expertise par le liquidateur. Au regard de cette décision, le liquidateur poursuivit la SCP contestant la perte de la qualité d’associé de la SA et demandant un remboursement des parts fondé sur une valeur actualisée de celles-ci.
La demande fut rejetée par une cour d’appel qui considéra que l’action était prescrite car intervenant plus de dix ans après l’ouverture du redressement judiciaire.
La cour de cassation est venue censurer la décision des juges du fond en réaffirmant dans un premier temps un principe majeur, à savoir que la perte de la qualité d’associé ne peut être antérieure au remboursement de la valeur des parts sociales, et en précisant dans un second temps et pour la première fois, ce qui doit être retenu comme point de départ au délai de prescription d’une action en remboursement.
I - La qualité d’associé dans une société civile ne peut être perdue qu’à compter du remboursement de la valeur des parts sociales détenues : réaffirmation jurisprudentielle.
L’arrêt du 27 juin 2018 sonne en effet comme une piqure de rappel d’une jurisprudence constante de l’ensemble des chambres de la cour de cassation.
La cour rappelle que « la perte de la qualité d’associé ne peut être antérieure au remboursement de la valeur des parts sociales ».
En plus d’être de jurisprudence constante, ce principe est de base légale puisque fondée sur l’article 1860 du code civil qui précise qu’en cas de redressement ou de liquidation judiciaire atteignant l’un des membres d’une société civile, et sauf dissolution anticipée de la société, il est procédé au remboursement des droits sociaux de l’intéressé, lequel perdra alors la qualité d’associé.
Même si la lettre de l’article ne le précise pas, il aurait pu être ajouté à la suite du mot « remboursement », le mot « immédiat » ou l’expression « dans les plus brefs délais ». Effectivement, la qualité d’associé étant intrinsèquement liée à la valeur des parts sociales détenues en pleine propriété par l’associé, il semble logique d’une part, que le remboursement de la valeur de ces parts, valant restitution de l’engagement matériel de l’associé entraine de facto la perte de la qualité d’associé, contrepartie de l’engagement. D’autre part, il semble opportun et important que ce remboursement soit effectué par la société civile au plus vite, et ce en adressant à l’associé une offre de remboursement, y compris lorsque les parts sociales ont une valeur nulle. Dès que cette offre est réalisée, alors la qualité d’associé est perdue et la société civile peut dès lors prendre toute décision sans avoir à consulter l’ancien associé ne pouvant plus siéger en assemblée, et songer à accueillir un nouvel associé le plus rapidement possible, afin notamment de ne pas se retrouver en difficulté .
Cette position jurisprudentielle, comme précisé supra, n’est pas nouvelle et vient opérer un rappel strict, contredisant ainsi la position régulièrement retenue par des cours d’appel selon laquelle la perte de la qualité d’associé résulte de l’ouverture de la procédure collective.
Toutefois, la chambre commerciale, dans cet arrêt n’a pas fait que confirmer certains principes, mais s’est également prononcée, et ce pour la première fois sur le point de départ de la prescription de l’action en remboursement de parts sociales.
II - Le point de départ de la prescription de l’action en remboursement des parts sociales : nouveauté jurisprudentielle.
Si les textes et les statuts des sociétés civiles prévoient précisément les principes applicables en cas de retrait volontaire ou forcé d’un associé, en pratique il n’est pas automatique que ces dispositions soient respectées. Comme dans beaucoup de domaines juridiques, le contentieux intervient en dernier recours lorsque saisir la justice apparaît inévitable.
En l’espèce, c’est le liquidateur de la société anonyme (associé de la société civile), qui avait saisi le juge judiciaire poursuivant la société civile notamment en remboursement de la valeur actualisée des parts sociales de l’associé. La cour d’appel a rejeté la demande fondant sa décision sur la prescription de l’action en remboursement, partant du principe que le point de départ de l’action devait être appréciée à la date du redressement judiciaire.
Jusqu’à cet arrêt, ni la littérature ni la jurisprudence n’étaient précis sur ce point, et le trouble juridique résiduel était véritablement sujet à contentieux multiples.
Le délai de prescription de l’action en justice est fondamental dans le cadre de toute action contentieuse, car en effet, l’écoulement du temps peut priver du droit d’agir. Le délai de prescription de droit commun dit « délai de principe », de l’action en justice est de 5 ans.
Ainsi, la prescription civile et commerciale est de 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Ce détail est important car la pratique révèle souvent qu’il n’est pas si simple de déterminer avec précision ce qu’est le « moment où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits (…) ». Dans bien des circonstances, la question est sujette à interprétation, et c’est notamment ce qui posait problème jusqu’alors.
La chambre commerciale, dans son arrêt, vient enfin mettre fin au vide juridique et ce pour la première fois, en précisant que dans le cadre d’une société (associé d’une société civile) faisant l’objet d’une procédure collective, le point de départ du délai de prescription de l’action en remboursement s’apprécie au jour où la société civile adresse une offre de remboursement de ses parts à l’associé.
À la lecture de l’arrêt, nous constatons immédiatement que la Cour suprême se positionne pour la première fois sur le sujet, certes, mais dans le cadre d’un périmètre restreint, à savoir celui d’un associé personne morale faisant l’objet d’une procédure collective. Nous pouvons dès lors regretter que la Cour ne se soit pas prononcée de manière générale, en dehors des faits de l’espèce, afin notamment de mettre un terme définitif aux désaccords liés au sujet du point de départ du délai de prescription. Ainsi, dans les autres cas où l’associé n’est pas confronté à l’ouverture d‘une procédure collective, il n’existe toujours pas de position stricte et précise relative au point de départ qui doit être retenu. Nous revenons de facto au principe de droit commun qui, comme nous l’avons vu supra, est sujet à de nombreux désaccords et interprétations.
De plus, même si cette décision a été rendue sous l’empire du droit antérieur en matière de prescription, il n’en demeure pas moins qu’il est possible de se demander pourquoi la Cour a considéré que c’était à compter du jour de l’envoi de l’offre de remboursement que le délai de prescription de l’action commençait à courir ? En effet, si nous nous en tenons au droit commun, il s’agit bel et bien d’un droit qui s’ouvre à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits ouvrant son droit. Or, si la société prévoit expressément dans ses statuts comme cela était le cas en l’espèce, que l’associé faisant l’objet d’une procédure collective se verra exclu de la société, il semblerait bien que ce soit donc à compter de l’ouverture de la procédure que l’associé peut faire valoir son droit.
En réalité, tout dépend des circonstances et de ce qui est écrit dans les statuts. Encore une fois, il faut rappeler l’importance de la rédaction des statuts de toute société, car chaque mot ou expression mal choisi, sujet à interprétation ou encore tout oubli, peut être de nature à inverser la bonne application d’une règle et cela au détriment de l’associé ou de la société elle-même.