L’article 885 A du Code Général des Impôts a été abrogé par la LOI n°2017-1837 du 30 décembre 2017 - art. 31 (V) qui a supprimé l’ISF. Un nouvel impôt a été créé sous la désignation d’IFI et son fondement légal est l’article 964 du CGI. Les deux articles ne sont formellement pas liés.
La condamnation de Monsieur et Madame Balkany est fondée sur l’article 1741 du CGI qui sanctionne le délit de fraude fiscale de manière générale et qui a pour fondement, en matière d’ISF l’article 885 A du CGI pourtant abrogé.
Il faut se référer aux points 2 à 5 du jugement du Tribunal Correctionnel du 13 septembre 2019 ainsi qu’aux points 136 et 171. Le Tribunal n’a pas tiré d’office les conséquences de l’abrogation expresse de cette disposition.
Le principe initial veut que la loi applicable soit celle en vigueur à la date de l’infraction en vertu du principe « Nullum crimen, nulla poena sine lege » (Il n’y a ni sanction ni crime sans loi). Sous réserve de l’importante dérogation concernant les lois nouvelles plus douces, l’application de la législation à la date de l’infraction est un principe général, valable aussi bien pour les sanctions fiscales que pénales.
Ainsi, la loi applicable aux sanctions pénales est celle en vigueur à la date de l’infraction (Cass. crim. 27-4-1987 : Bull. cass. p. 447 n° 166). En ce qui concerne les sanctions fiscales, il était de règle que la loi à retenir était celle en vigueur à la date du fait générateur de l’impôt à laquelle se rapportait la pénalité (CE 19-12-1984 n° 39801 et 39802, 7e et 9e s.-s. : RJF 2/85 n° 305). Mais cette manière de voir s’est trouvée modifiée à partir du moment où les sanctions fiscales à caractère répressif, c’est-à-dire celles qui n’ont pas pour objet la réparation d’un préjudice purement pécuniaire, ont été assimilées aux sanctions pénales.
D’une part, ces sanctions bénéficient de la règle d’application immédiate des lois plus douces. En vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, une loi pénale nouvelle qui allège les pénalités prévues par une loi ancienne doit s’appliquer à toute infraction commise avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée (Cons. const. 19-1-1981 n° 80-127 DC : Rec. p. 15 ; Cons. const. 20-1-1981 n° 80-127 DC : Rec. p. 15).
La règle de l’application immédiate de la loi instituant une peine moins sévère,
« rétroactivité in mitius », a vocation en effet à s’appliquer non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais également à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire (Cons. const. 17-1-1989 n° 248 DC : Rec. DC p. 18).
Ce principe, selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, s’étend aux pénalités fiscales ayant le caractère d’une punition (Cass. com.7-10-1997 n° 1961 D, Thiberghien : RJF 3/98 n° 340).
D’autre part, comme pour les sanctions pénales, c’est la date d’exigibilité de la pénalité qui sert de référence pour apprécier la législation applicable. Il s’ensuit notamment qu’une pénalité fiscale à caractère répressif ne peut pas être infligée sur la base d’un texte qui n’est plus en vigueur à la date à laquelle a été commis le fait qu’elle réprime. L’extension aux pénalités fiscales de la règle d’application immédiate des lois plus douces est la conséquence des décisions qui ont assimilé aux sanctions pénales les sanctions fiscales à caractère répressif, c’est-à-dire celles qui n’ont pas pour objet la réparation d’un préjudice purement pécuniaire.
Dans le même sens, notamment : Avis CE 5-4-1996 n° 176611 sect., Houdmond : RJF 5/96 n° 607 avec chronique, concl. BDCF 3/96 ; Cass. com. 15-9-2009 n° 08-18.013 (n° 779 FS-PB), DGI c/ Darras : RJF 2/10 n° 173.
Ainsi une condamnation pénale pour fraude fiscale en matière d’ISF est-elle possible sur le fondement des articles 1741 du CGI et 885 A du CGI, alors que cette dernière disposition était abrogée le 30 décembre 2017 ? C’est une des questions que la Cour d’Appel devra sans doute trancher dans l’affaire Balkany pour le volet ISF.
Discussions en cours :
Bonjour Maître,
Merci pour votre article très intéressant.
Je suis un peu sceptique sur la possibilité d’invoquer le principe de la rétroactivité in mitius concernant l’article 31 V de la loi du 30 décembre 2017 qui abroge l’ISF.
Sauf erreur de ma part, cette loi d’abrogation supprime seulement une imposition (et ne porte pas sur les majorations de l’article 1729 CGI et incriminations de l’article 1741 CGI) et ne devrait donc pas pouvoir être assimilée à une loi pénale plus douce susceptible de jouer rétroactivement en faveur du prévenu.
Aussi, l’article d’abrogation prévoit par ailleurs l’application dans le temps des changements opérés, en ce qu’il maintient en vigueur les dispositions abrogées de l’ISF pour les impositions dues jusqu’au 31 décembre 2017.
Cette précision me semble correspondre à ce que la Cour de cassation appelle classiquement « une disposition expresse contraire », faisant valablement échec à la rétroactivité in mitius en matière de changement de législation économique ou fiscale.
Qu’en pensez-vous ?
Bien à vous
Gérard,
Gérard,
Sans répondre précisément à votre question, je pense que le moyen mériterait d’être soulevé sous l’angle de la rétroactivité in mitus tél que l’interprète la CEDH visa de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs j’ai trouvé un arrêt du 9 mars 1987 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007063203 qui me semblait intéressant sur le sujet.
La position que je soutiens est aussi directement liée au fait qu’en matière fiscale pure, le principe de la rétroactivité in mitus est appliqué par le juge de l’impôt (administratif ou judiciaire) pour procéder à la décharge de es pénalités fiscales considérées comme une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 de la CEDH. Par ailleurs et surtout le délit de fraude fiscale prévu à l’article 1741 du CGI implique nécessairement un sous jacent matériel tiré d’une dissimulation ou d’une absence de déclaration. A partir du moment où ce fait matériel n’est plus sanctionnable au plan fiscal (pour les pénalités) il devient plus difficile de comprendre le principe de la sanction pénale.
Vous relèverez enfin si vous avez le jugement du 13 septembre 2019 que le juge pénal évoquait le remplacement de l ISF par l IFI ce qui est juridiquement inexact.
En toute hypothèse, que le moyen soit fondé ou non, la question pourrait être soulevée devant le juge d’appel notamment au visa de l’article 7 de la CEDH précité. Si vous voulez qu’on en parle de vive voix ce serait avec plaisir. A bientôt. Frédéric NAÌM
Vous avez très logiquement raison, et la jurisprudence assez fournie est là pour en attester
En ce qui concerne le blanchiment, la Directive 2018/1673 définie enfin le principe de l’autoblachiment qui n’est pas celui retenu jusqu’à présent par la Cour de cassation contra legem
Ainsi la simple possession ( si l’on peut dire ) et utilisation du produit de l’infracIon fiscale n’est pas punissable, et la circonstance aggravante de bande organisée est-elle définie comme impliquant nécessairement plus de deux personnes, et les complices assujettis à l’obligation de dénonciation ne peuvent être soumis aux deux chefs d’inculpation