Par deux ordonnances du 5 février 2008, quelques jours après leur mariage, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris a décidé que Ryanair avait porté atteinte à l’image de Monsieur Sarkozy et Madame Bruni. Cette affaire a été très médiatisée dans la mesure où il s’agit de la première fois depuis presque 40 ans (1) qu’un Président de la République en fonction engage une action en justice pour violation de son droit à l’image. Le fondement de la condamnation – l’atteinte au droit à l’image – n’est pas surprenant. Les dommages et intérêts accordés à Madame Bruni le sont beaucoup plus.
Les faits sont les suivants : la compagnie aérienne à bas coûts Ryanair diffuse une publicité dans le journal Le Parisien utilisant une photographie de Monsieur Sarkozy et Madame Bruni. Une bulle prête les propos suivant à cette dernière : "Avec Ryanair, toute ma famille peut venir assister à mon mariage". Madame Bruni et Monsieur Nicolas Sarkozy engagent chacun une action distincte devant le juge des référés afin que soit constaté le caractère illicite de cette publicité, au motif d’une violation de leur droit à l’image.
Le juge des référés a accueilli favorablement ces demandes et a alloué à chacun une somme d’un euro en réparation du préjudice moral subi. Le juge a également ordonné le paiement d’une somme de 60.000 euros à Madame Bruni au titre de son préjudice patrimonial et la publication de l’ordonnance rendue à son profit.
Comme précédemment indiqué, le fondement de ces condamnations n’est pas étonnant. C’est en effet conformément à une jurisprudence constante que le juge des référés a retenu que Monsieur Sarkozy, à l’instar de Madame Bruni, "a sur son image, quels que soient son statut et sa notoriété, un droit exclusif et absolu". L’utilisation de la photographie litigieuse n’ayant pas été réalisée à des fins informatives mais dans une perspective purement et exclusivement publicitaire, Ryanair aurait du recueillir l’autorisation préalable et expresse des demandeurs.
La constatation de l’atteinte au droit à l’image des intéressés paraît donc justifiée, tout comme la sanction en découlant, ordonnant le paiement d’une somme d’un euro pour préjudice moral. S’agissant de Monsieur Sarkozy, le magistrat précise que cette somme se justifie "au regard de son statut". S’agissant de Madame Bruni, le juge des référés a de plus accédé à sa demande d’indemnité pour préjudice patrimonial et lui a alloué une somme de 60.000 euros pour compenser le manque à gagner qu’elle prétendait avoir subi. Le juge a notamment retenu que la relation personnelle liant Madame Bruni à Monsieur Sarkozy constitue un élément de notoriété qui "ne saurait se substituer aux activités professionnelles de la demanderesse sans une appréciation péjorative de celles-ci" et que la demanderesse "soutient légitimement que cette qualité détermine l’appréciation de son dommage". Et d’en conclure que "le dommage patrimonial résulte de l’utilisation d’une image de Madame Carla Bruni Tedeschi à des fins publicitaires sans qu’en ait été payé le prix".
Les demandes de Monsieur Sarkozy et de Madame Bruni visant à obtenir la publication des décisions ont également fait l’objet d’un traitement différent. La demande formulée par Madame Bruni a été accueillie favorablement en raison de "la qualité de la demanderesse et la place que lui font les medias", alors que celle de Monsieur Sarkozy a été rejetée au motif que "l’information qui ne manquera pas d’accompagner la décision satisfait l’objectif qu’il poursuit".
Certains pourront éprouver de la tristesse à voir un couple traité de façon si inégale devant la justice quelques jours seulement après la célébration officielle de leur union. Il est également possible de se demander si le magistrat ne s’est pas contredit en accordant un euro pour compenser le préjudice moral de Monsieur Sarkozy "au regard de son statut" mais, en dépit des faits de l’espèce, a considéré différemment le statut de Madame Bruni. S’il avait été porté atteinte à cette dernière ès qualité de "mannequin auteur compositeur interprète", l’octroi de 60.000 euros aurait pu se justifier, sous réserve que cette somme corresponde au prix habituellement payé pour pouvoir utiliser son image. Cependant, tel n’était manifestement pas le cas en l’espèce.
En effet, Ryanair n’a pas utilisé une photographie de Madame Bruni seule, mais en couple, aux côtés de Monsieur Sarkozy, et la publicité litigieuse faisait explicitement et exclusivement référence au projet de mariage annoncé par les protagonistes. L’image de Madame Bruni (en couple) n’a été utilisée qu’en raison de cet état pré-marital et de la notoriété découlant du statut de son futur époux. Il est d’ailleurs difficile de comprendre en quoi la référence à un tel projet, largement médiatisé par les intéressés, serait "péjorative". Quoi qu’il en soit, la profession de Madame Bruni était totalement indifférente dans un tel contexte. Dès lors, la publicité incriminée n’ayant portée que sur le statut de fiancée du Président de la République, la réparation du préjudice patrimonial de Madame Bruni semble difficilement justifiable.
Quant au constat selon lequel la fiancée du Président de la République – depuis lors devenue première dame de France - a subi un manque à gagner en raison de l’utilisation d’une photographie de son couple "sans qu’en ait été payé le prix", il s’agit sans doute d’une maladresse.
(1) En avril 1970, le président Georges Pompidou avait engagé avec succès une action devant le juge des référés afin d’obtenir l’interdiction de la publication dans le magazine L’Express d’une publicité réalisée par l’entreprise de moteurs pour bateaux Mercury qui utilisait une photographie du Président avec le slogan "Si nous nous acharnons depuis 10 ans à gagner toutes les compétitions, c’est pour votre sécurité Monsieur le Président".
Jean-Frédéric Gaultier & Marie Jourdain
Avocats à la Cour
Clifford Chance Europe LLP
Cet article a fait l’objet d’une première publication sur le site Legalbiznext