Par un arrêt du 5 juillet 2018 [1], après une grave blessure à l’œil d’un mineur, la Cour administrative d’appel de Nantes a précisé le régime de responsabilité de l’État, en fonction de l’individu concerné, à savoir s’il était une tierce personne ou visée par l’opération de police.
En l’espèce, le mineur blessé participait à la manifestation d’étudiants et de lycéens contre la loi LRU de 2007, et a reçu une balle provenant d’un flash-ball de type « LBD 40x46 mm ».
Le 28 novembre 2016, le Tribunal administratif de Nantes avait condamné l’État à verser au mineur blessé la somme de 48.000 euros en réparation du préjudice [2].
Le ministre de l’Intérieur ayant formé appel, et le requérant ayant demandé que l’indemnité soit revue à la hausse (à hauteur de 172.000 euros), il appartenait à la Cour administrative d’appel de Nantes de se prononcer sur la réparation du préjudice.
Tout en notant que le flash-ball était bel et bien une arme dangereuse, la Cour administrative d’appel a précisé que « dans le cas où le personnel du service de police fait usage d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, en l’absence même d’une faute, lorsque les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence de ce service public » [3].
En revanche, cela ne concerne que les individus non concernés par l’opération de police. C’est ici que la Cour intervient pour procéder à une distinction, afin de justifier quand la responsabilité sans faute doit s’appliquer : « il n’en est cependant ainsi que pour les dommages subis par des personnes ou des biens étrangers aux opérations de police qui les ont causés. Lorsque les dommages ont été subis par des personnes ou des biens visés par ces opérations, le service de police ne peut être tenu pour responsable que lorsque le dommage est imputable à une faute commise par les agents de ce service dans l’exercice de leurs fonctions. En raison des dangers inhérents à l’usage des armes ou engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, il n’est pas nécessaire que cette faute présente le caractère d’une faute lourde » [4].
De la sorte, un individu tiers à l’opération de police se verra appliquer la responsabilité sans faute, tandis que dans le cadre de l’opération de police, la responsabilité pour faute simple ne pourra avoir lieu seulement à la condition d’une « faute commise par les agents de ce service dans l’exercice de leurs fonctions ».
Tout en apportant des précisions, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes a ainsi expressément reconnu une responsabilité pour faute de l’État concernant ces armes non létales, même si les « risques exceptionnels » avaient déjà été développés auparavant pour ce qui a trait à la responsabilité sans faute, à savoir « dans les cas où le personnel de la police fait usage d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, et où les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent normalement être supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence […] [du] service public [de la police] » [5].
Il s’avère cependant que, de jurisprudence constante, cette responsabilité sans faute n’a été utilisée que pour les armes à feu mitraillettes [6], les pistolets ou revolvers [7], et non pour les armes non létales, voir en position inverse du juge l’emploi de grenades lacrymogènes [8], les coups de matraque [9], ou de crosse [10].
Aujourd’hui encore, la responsabilité sans faute n’aura à s’appliquer que pour les individus non concernés par l’opération de police, comme les passants, victimes collatérales d’un mauvais tir.
Si, comme pour l’affaire de la manifestation de Nantes, l’individu était concerné par l’opération de police, alors une faute sera exigée pour engager la responsabilité de l’État à cet effet. Le juge suit donc une logique du fait générateur du dommage et donc d’une faute, comme il l’a appliqué depuis longtemps [11].
Une jurisprudence progressivement étoffée concernant les flash-ball.
Si une jurisprudence existe aujourd’hui en matière de flash-ball [12], cet arrêt est un précédent, eu égard aux éléments de précisions apportés par le juge administratif.
C’est le 17 décembre 2013 [13] que, pour la première fois, l’État a été condamné à indemniser une victime d’un tir de lanceur de balles de défense, et cela au titre de la responsabilité sans faute en cas d’attroupement [14]. Étonnamment, le juge substitue ses propres motifs à ceux du requérant, pour se fonder sur l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales (applicable aux faits de l’espèce et aujourd’hui repris à l’article L. 221-10 CSI, aux termes duquel « l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». Il semble cependant que cette responsabilité sans faute soit la seule espèce en la matière.
Il est revenu sur une responsabilité pour faute, le 2 octobre 2014 [15]. En effet, le juge administratif s’était déjà positionné en faveur de la responsabilité de l’État, même en l’absence de faute lourde, eu égard aux risques exceptionnels liés à l’utilisation de cette arme :
« Si, en principe, le service de la police ne peut être tenu pour responsable que des dommages imputables à une faute lourde commise par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, même en l’absence d’une telle faute, dans le cas où le personnel de la police fait usage d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, et où les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence de ce service public. Eu égard au caractère imprécis de cette arme à feu et à sa puissance, un lanceur de balles de défense de type « flash-ball » pro, arme classée au moment des faits en quatrième catégorie par l’article 1er de l’arrêté du 30 avril 2001 et actuellement au 3° de la catégorie B depuis la modification de cet article intervenue par arrêté du 2 septembre 2013, doit être regardé comme comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens. » [16].
Un emploi de la force très variable.
Mais que signifie emploi de la force ? Au regard du rapport Popelin, l’emploi de la force se voit définit selon une doctrine propre à l’Hexagone, avec une conformité au regard des recommandations internationales : « La présence des unités qui en sont chargées [du maintien de l’ordre] est avant tout dissuasive ; il s’agit de montrer sa force – de manière proportionnée par rapport à la situation – pour ne pas avoir à l’exercer. Cette doctrine repose, d’une part, sur l’évitement, aussi longtemps que possible, des contacts physiques entre manifestants et forces de l’ordre et des violences et blessures qu’elles peuvent engendrer. D’autre part, elle suppose la mise en œuvre de la force en dernier recours sachant que, lorsqu’il est effectivement recouru à la contrainte, cette réponse doit être graduée, nécessaire et proportionnée » [17].
Il faut savoir que le Défenseur des droits a tout de même recommandé « l’interdiction du Flash-ball superpro dans un contexte de manifestation, au vu de ses caractéristiques, comme de la gravité des lésions pouvant découler de son usage » [18].
Ainsi, même dans un cadre de fortes violences, l’emploi de la force suggère une abstention de l’utilisation de cette arme non létale. Même si le flash-ball ou « lanceur de balles de défense » est prévu dans le Code de la sécurité intérieure [19], l’emploi de la force permettant déjà l’utilisation de : grenades de désencerclement [20], de grenades lacrymogènes ou à effet détonant GI ou GLI [21], grenades lacrymogènes non détonantes lancées par un tube COUGAR 56 mm ou PENN ARMS 40 mm [22], du tonfa, de véhicules anti-barricades ou encore du canon à eau.
Subsidiairement, à la suite de la mort de Rémi Fraisse, le 28 octobre 2014, l’utilisation des grenades offensives qui avaient été utilisés par la Gendarmerie nationale a été temporairement suspendue, puis définitivement retirée, à la suite du rapport de l’IGPN/IGGN [23].
De plus, si en théorie, la circulaire du ministre de l’Intérieur du 8 août 2012 règlemente l’emploi de la force et des armes pour le maintien de l’ordre public [24], dans la pratique, le tir ne se fait pas au niveau des jambes, mais bien en tir tendu, c’est-à-dire au visage, comme les cas de blessure avec perte d’un œil ont pu être observés.
Enfin, si le policier peut utiliser son arme en manifestation, cette utilisation sera cependant strictement limitée à la situation de légitime défense. Cela n’a cependant pas empêché la mort d’un supporter et un autre blessé grave par arme à feu, en 2006, après un match de football [25] Il est aussi prévu l’utilisation d’un fusil à répétition de précision de calibre 7.62*51e (TIKKA) s’il y avait ouverture du feu sur les forces de l’ordre [26].
Cette jurisprudence est importante, car elle permet d’élaborer les contours de la responsabilité administrative concernant ces armes non létales qui, parce qu’elles ne sont en principe létales, souffrent d’une utilisation plus importante et plus facile qu’en cas d’ouverture du feu par les forces de l’ordre.
Gageons que de nouvelles jurisprudences apparaitront dans les années à venir, étant donné la forte contestation sociale en France.