Cette réalité s’explique par le processus d’élaboration (I) des réglementations relatives aux produits chimiques, aux produits cosmétiques et aux pesticides, les dispositifs de régulation qui en résultent (II) et le comportement des acteurs (III).
I. Le processus d’élaboration des réglementations.
L’objectif premier des réglementations visant à réguler les produits chimiques, les pesticides et les produits cosmétiques demeure la protection de la santé humaine et de l’environnement. Il n’en reste pas moins que ces réglementations sont soumises à un principe (non juridique) de réalité dès leur élaboration jusqu’à leur complète application.
La régulation des produits chimiques [5], des pesticides [6] et des produits cosmétiques [7] est d’essence européenne. Afin d’éviter que les lois nationales représentent un obstacle non tarifaire aux échanges au sein de l’Union européenne, il a été confié aux institutions européennes le soin d’élaborer le cadre juridique qui a vocation à s’appliquer dans tous les Etats membres. Ces derniers s’assurent, quant à eux, de la bonne application de ces réglementations sur leur territoire national.
C’est ainsi qu’en France par exemple, les règlements relatifs aux produits chimiques, aux pesticides et aux produits cosmétiques, transposés principalement dans le Code de l’environnement, le Code rural et de la pêche maritime, le Code du travail et le Code de la santé publique, sont directement applicables dans notre droit interne.
En outre, dans chacun de ces Codes sont précisées les sanctions en cas de violation des réglementations et les modalités d’action des autorités nationales d’inspection.
Au fondement de l’élaboration des réglementations sur les produits chimiques, les pesticides et les produits cosmétiques se trouvent deux des principaux principes juridiques du système communautaire : le bon fonctionnement du marché intérieur et le principe de précaution.
En outre, ces réglementations sont aussi issues de deux consensus. Le premier émerge des positions nécessairement divergentes de tous les Etats membres de l’Union européenne notamment en considération de la place occupée par les industries de la chimie dans leur économie. Le second provient des intérêts catégoriels, inévitablement contradictoires, défendus par chacune des parties prenantes (représentants des industriels, représentants des salariés, ONG etc.).
C’est donc en considération de ces multiples paramètres que les réglementations sur les produits chimiques, les produits cosmétiques et les pesticides ont été élaborées. Pour chacune d’entre elles, il a été nécessaire de trouver un point d’équilibre entre les principes juridiques précités et les intérêts nationaux et catégoriels en présence.
Au final, il en résulte la plupart du temps des textes dont le contenu mécontente tout le monde.
II. L’architecture des dispositifs de régulation.
La logique de régulation de ces réglementations peut être résumée ainsi : plus le produit fabriqué est considéré comme dangereux quant à sa nature et ses conditions d’utilisation, plus les obligations qui s’appliquent à lui sont contraignantes. Ces obligations vont de la simple déclaration à l’autorité publique compétente jusqu’à l’interdiction absolue de mise sur le marché en passant notamment par le régime de l’autorisation.
La dangerosité du produit est évaluée à partir de données scientifiques et techniques principalement en provenance des autorités publiques et des parties prenantes. Au-delà de la dangerosité intrinsèque du produit sont prises en considération ses conditions d’utilisation ainsi que les mesures de gestion des risques existantes aux fins de limiter les expositions à l’homme et à l’environnement.
En outre, l’état de l’art n’est pas figé. Les réglementations sur les produits chimiques, les produits cosmétiques et les pesticides incitent à la production de nouvelles données sur la dangerosité du produit. Cela induit un caractère évolutif des régimes juridiques applicables. La mise sur le marché d’un produit peut être autorisée à un instant T sans contreparties particulières et, en raison de nouvelles données sur sa dangerosité peut être interdite à un instant T plus 1.
C’est notamment dans ces circonstances que le principe de précaution doit se concilier avec le principe (non juridique) de réalité. Les essais sur l’innocuité, eu égard à leur coût, ne peuvent pas être systématiques et répétés à l’envi.
Le résultat de l’analyse venant au fondement d’une éventuelle interdiction/limitation du produit peut être utilement contesté par toute partie intéressée. L’interdiction de commercialisation du produit, compte tenu de sa dangerosité, peut se heurter à une absence de produits de substitution sur le même marché. L’impact d’une interdiction sur une branche d’activités, sur une chaine de valeur peut être considéré comme disproportionné d’un point de vue économique. Dans une moindre mesure, la crainte d’un marché monopolistique au bénéfice d’un produit concurrent peut justifier le maintien du produit pourtant révélé comme potentiellement dangereux.
Techniquement, il peut être aussi compliqué d’exiger l’absence totale de substances dangereuses dans les produits cosmétiques par exemple. La division internationale de la production rend difficile pour le service achats d’une entreprise la connaissance parfaite de ses matières premières en provenance d’un autre continent. Surtout, la pénétration généralisée des produits chimiques les plus dangereux dans notre environnement empêche d’exiger une absence totale de ces produits dans la composition des biens de consommation courante. Forte de ce constat, la Commission européenne envisage même de tolérer la présence d’une plus grande quantité de produits chimiques dans les produits issus de l’agriculture biologique.
Toutefois, l’impossibilité technique et économique d’exiger une interdiction absolue des produits chimiques, quels qu’ils soient, ne dispensent pas les acteurs, principalement industriels, de respecter les prescriptions adoptées pour protéger la santé humaine et l’environnement.
III. Le comportement des acteurs.
Aux fins de faire face aux coûts parfois exorbitants des essais sur la dangerosité des produits, des dispositifs visant à mutualiser les dépenses ont été instaurés entre les industriels. Des lieux d’échanges entre les parties prenantes, dans le supposé respect des règles du droit de la concurrence, assurent des retours d’expérience des grandes entreprises en direction des plus petites ne disposant pas de la même assise financière. Avec une telle accessibilité de l’information, il est dorénavant difficile pour n’importe quel industriel de feindre l’ignorance.
De plus, même si le recours à un produit considéré comme dangereux peut être toléré, les conditions de son utilisation sont scrupuleusement encadrées. C’est ainsi que la dissémination de pesticides dans l’environnement est strictement interdite dans certaines circonstances, notamment lorsque le vent dépasse une certaine vitesse [8].
C’est ainsi qu’un produit considéré comme dangereux ne saurait être utilisé que dans tel ou tel process aux fins que la sécurité du travailleur qui le fabrique ou celle du consommateur qui l’utilise soit assurée.
Aussi, le fabricant ou l’utilisateur professionnel d’un produit chimique, d’un pesticide ou d’un produit cosmétique a tout intérêt à suivre scrupuleusement la réglementation applicable autant en ce qui concerne la nature du produit que les conditions de son utilisation.
Dans le cas inverse, les sanctions relatives à des non conformités même involontaires sont nombreuses et potentiellement très dommageables pour l’entreprise incriminée : sanctions pénales, sanctions pécuniaires pour la délivrance non conforme du produit à son client, ruptures d’approvisionnement, dommages et intérêts à l’encontre des travailleurs et des consommateurs etc.
Malheureusement, il convient de reconnaître que ces sanctions, à elles seules, ne suffisent pas à dissuader les comportements les plus répréhensibles et donc à protéger de manière efficace la santé humaine et l’environnement. Différentes circonstances l’expliquent.
Par exemple, les effectifs des autorités nationales d’inspection sont généralement insuffisants. En outre, la très grande complexité de ces réglementations empêche leur maîtrise parfaite par ces mêmes autorités. La plupart du temps seuls des contrôles formels sont réalisés.
Pis encore, la compétence laissée aux Etats membres dans le choix des sanctions en cas de violation des réglementations entraine des disparités des politiques répressives et donc une forme de concurrence déloyale entre lesdits Etats. Surtout, l’inexistence de class action dignes de ce nom, limite l’effet dissuasif des sanctions pécuniaires applicables.
Alors à la question de savoir : « qui protège-t-on ? », la réponse pourrait se résumer dans cette citation prêtée à Auguste Comte : « la seule vérité absolue, c’est que tout est relatif ».