Voici précisément ce qui a fait l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 2011 (1), dont l’intérêt lui valut publication au bulletin. Les faits méritent d’être expliqués.
En 1954, pour les besoins de la réalisation, en trente exemplaires, de deux lithographies intitulées "Buste dans l’atelier" et "Au café", Giacometti a fait fabriquer par un imprimeur deux plaques de zinc sur la base de dessins sur papier report. Toutefois, l’artiste n’avait jamais racheté ni fait détruire les plaques en cause, qui restèrent en possession de l’imprimeur d’origine, puis de repreneurs successifs, jusqu’au jour où l’un d’entre eux décida de les mettre en vente. Alertée, la Fondation Alberto et Annette Giacometti, qui vient aux droits du célèbre artiste, a fait assigner le cédant en puissance pour obtenir la restitution des plaques ou, à défaut, leur destruction.
La Fondation soutenait notamment que les plaques de zinc devaient lui appartenir en vertu des règles de l’accession mobilière. Les plaques de zinc n’avaient selon elle pas d’autre valeur que celle née du fait de l’incorporation de l’œuvre de l’artiste et elles n’avaient d’ailleurs d’autre objet que de permettre la réalisation de cette œuvre.
Mais l’argument ne convainquit pas. Pour la cour d’appel (2), dans la mesure où il n’était pas démontré que Giacometti aurait acquis de quelque façon que ce soit les plaques de zinc de l’imprimeur, ce dernier en était, selon les usages en la matière, propriétaire ab initio. Et la Cour de cassation l’approuve en cela en estimant inutile de répondre au moyen tiré des règles de l’accession mobilière.
La Fondation tentait également de faire juger que :
les plaques de zinc étaient des œuvres créées par l’artiste, quand bien même indirectement car, en tant que matrices permettant la production d’œuvres lithographiques, elles incorporeraient nécessairement le dessin original qui porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur ;
"la propriété incorporelle de l’œuvre [étant] indépendante de la propriété de l’objet matériel qui en est le support", l’imprimeur ne pouvait céder les plaques de zinc sans porter atteinte au droit de divulgation de Giacometti, lequel n’aurait jamais autorisé leur fabrication pour qu’elles soient vendues ou présentées au public en tant que telles, mais ne les aurait considérées que comme moyen technique destiné à la production des lithographies ;
Giacometti n’aurait jamais autorisé une reproduction de ses œuvres sous la forme de plaques de zinc, qui plus est sous une forme inversée par rapport au dessin constituant son œuvre voulue.
Ces arguments n’eurent toutefois pas plus de succès, la Cour de cassation approuvant la cour d’appel d’avoir considéré que, "même si elle conservait la trace de l’œuvre, la plaque de zinc, simple moyen technique utilisé pour permettre la production des lithographies qui sont seules des œuvres originales, ne pouvait être elle-même qualifiée d’œuvre de l’esprit" (3). Et de conclure, pour rejeter le pourvoi, que "l’offre de vente des matrices ne portait atteinte ni au droit de divulgation ni à l’intégrité de l’œuvre, non plus qu’à sa destination".
La règle selon laquelle une œuvre ne se confond pas avec son support vaut donc tant en amont qu’en aval de la création.
Toutefois, il est utile de préciser que, dans notre espèce, si la vente des matrices ne porte pas atteinte au droit moral de l’auteur, cela ne signifie pas pour autant que le propriétaire ou futur propriétaire des matrices pourra librement s’en servir pour produire de nouvelles lithographies.
NOTES :
(1) Cass., Civ. 1, 1er déc. 2011 (Pourvoi N°09-15819).
(2) CA Paris, 26 juin 2009.
(3) La formulation n’est pas sans rappeler celle que la Cour utilisa pour dénier aux parfums le bénéfice du droit d’auteur et que nous avions commentée ici même. Voir notre article de mars 2008.