Depuis les décrets de procédure dits « Magendie » [1] et les décrets qui leur ont succédé, notamment des 3 mai 2012 [2], 20 mai 2016 [3], 26 septembre 2016 [4], 6 mai 2017 [5], 10 mai 2017 [6], la jurisprudence, tant de la Cour de cassation que des juges du fond, rappelle régulièrement que la procédure civile est une matière à part entière qui, si elle n’est pas maîtrisée, non seulement est source d’angoisse mais engendre également des actions en responsabilité et accroit la sinistralité chez les avocats.
Loin d’en constituer un nouvel exemple, l’arrêt, non publié, rendu le 31 janvier 2019 par la Cour de cassation [7] attire néanmoins l’attention des praticiens sur la formalisation des écritures en appel.
Dans cette affaire, un appelant contestait l’arrêt rendu sur déféré par la Cour de Montpellier confirmant une ordonnance rendue par le Conseiller de la mise qui avait déclaré caduc son appel aux motifs notamment que ses premières conclusions d’appel, régularisées dans le délai de trois mois, étaient irrecevables pour ne pas répondre aux exigences de l’article 954 du code de procédure civile car elles ne comportaient pas de demande d’infirmation du jugement dans son dispositif.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en retenant que :
« Mais attendu que les conclusions exigées par l’article 908 du Code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable, sont toutes celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte, qui déterminent l’objet du litige porté devant la cour d’appel ; que l’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du même code, le respect de la diligence impartie par l’article 908 est nécessairement en considération des prescription de l’article 954 du CPC ;
Que la cour d’appel a constaté que les seules conclusions de l’appelant prises dans le délai prévu à l’article 908 comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l’infirmation, totale ou partielle, du jugement déféré ;
Que de ces constatations et énonciations, qui faisaient, ressortir que ces conclusions d’appelant ne déterminaient pas l’objet du litige porté devant la cour d’appel, c’est à bon droit que celle-ci abstraction faite des motifs, erronés mais surabondants, pris de l’irrecevabilité de ces conclusions, a constaté la caducité de la déclaration d’appel ».
Si on ne peut qu’admettre que le législateur de 2017, en accentuant les obligations procédurales des parties au litige en appel, a entendu apporter une plus grande cohérence entre la déclaration d’appel et les premières écritures devant la cour, on ne peut qu’être surpris par la solution selon laquelle « la demande d’infirmation totale ou partielle du jugement déféré » est une prétention qui « détermine l’objet du litige ».
Rappelons tout d’abord, que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que les seules conclusions qui saisissent la cour sont celles qui déterminent l’objet du litige ou un incident de nature à mettre fin au litige [8].
Cette solution renvoie inéluctablement à la question de la détermination de « l’objet du litige ».
L’article 4 du Code de procédure civile définit l’objet du litige par l’ensemble des prétentions des parties, telles qu’elles sont fixées dans l’acte introductif d’instance et les conclusions en défense, étant précisé que celui-ci peut se trouver modifié par les demandes incidentes qui se rattachent aux demandes originaires par un lien suffisant.
Ce serait une lapalissade que de rappeler que l’acte de saisine de la cour d’appel ne peut se confondre avec celui du premier juge (Tribunal d’instance et Tribunal de Grande Instance).
En effet, devant le Tribunal, l’acte de saisine (assignation ou requête : article 750 du CPC) doit être nécessaire motivé et doit comporter les prétentions du demandeur ce qui n’est pas le cas devant la cour d’appel.
L’article 901 du CPC, tel qu’il résulte de sa nouvelle rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, prévoit ainsi que la déclaration d’appel contient, outre les mentions prévues à l’article 58, et à peine de nullité :
« 1° La constitution de l’avocat de l’appelant
2° L’indication de la décision attaquée
3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté
4° Les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible
(…) »
Ce renvoi à l’article 58 du code de procédure civile est important dans la mesure où celui-ci prévoit les mentions imposées à peine de nullité au nombre desquelles figurent « l’objet de la demande ».
Ainsi, à la différence de l’acte introductif de première instance, la déclaration d’appel n’a pas à être motivée ni à comporter les prétentions des parties, lesquelles seront présentées dans les conclusions répondant aux exigences de l’article 954 du CPC.
C’est l’article 542 du code de procédure civile qui détermine l’objet de l’appel qui tend « par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel ».
Il est donc clair que « la réformation ou l’annulation de la décision déférée » ne peut être confondue avec une prétention, et encore moins avec l’objet du litige, sinon comment comprendre encore que le législateur ait entendu préciser dans le 4° de l’article 901 du CPC que l’objet du litige puisse être indivisible !
De plus, eu égard à la liberté des plaideurs à reprendre leurs prétentions ou à les abandonner dans des conclusions ultérieures, il faudrait considérer que la « demande de réformation ou d’annulation » seraient ainsi une sorte de prétention à part dont l’appelant n’aurait pas la libre disposition, car obligatoire.
La réformation ou l’annulation de la décision déférée, c’est l’objet même de l’appel et point c’est tout !
Ainsi, l’appelant qui renseigne dans son acte d’appel que celui-ci aura pour objet « la réformation ou l’annulation de la décision de première instance » (article 542 du CPC) et qui conclut dans les délais impartis en formulant l’ensemble de ses prétentions, déterminant ainsi l’objet de la matière litigieuse qui sera soumis à la censure, ne devrait pas se voir opposer une irrecevabilité de ses conclusions et encore moins une caducité de son acte d’appel s’il omet de reprendre dans le dispositif de ses écritures « l’infirmation ou l’annulation » de la décision entreprise.
Enfin, il sera souligné que par cet arrêt, qui interrogera indubitablement le spécialiste de la procédure sur les pouvoirs du Conseiller de la mise en état et de la cour sur déféré pour statuer sur l’irrecevabilité des conclusions qui ne seraient pas conformes aux prescriptions de l’article 954 du CPC (il semble bien que les textes ne le lui permettent pas - Cf. article 914 du CPC, à combiner avec l’article 910-4), question sur laquelle la cour de cassation n’a pas statué, d’aucuns s’interrogeront sur la capacité des juges du fond à déceler la matière litigieuse qui leur est soumise, lorsqu’il arrive que les conclusions des avocats, parfois trop pressés, sont mal rédigées.
Un tel arrêt, s’il n’avait d’autre but que de sanctionner un avocat, mal formé à la formulation des conclusions en appel, ne devrait pas avoir un grand écho auprès des cours d’appel.
A défaut, il faudra alors se demander ce qu’il adviendrait des conclusions de l’intimé qui n’auraient pas formulé expressément dans le dispositif de celles-ci « une demande de confirmation » ou le cas échéant une « demande d’infirmation ou d’annulation » en cas d’appel incident.