Preuve d’un licenciement : le recours au dispositif du « client mystère » licite si le salarié en a été informé.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

813 lectures 1re Parution: 14 septembre 2023 4.11  /5

Il résulte de l’article L1222-3 du Code du travail que si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à leur connaissance.

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Doit être approuvé l’arrêt qui, après avoir constaté que le salarié avait été préalablement informé de la mise en œuvre au sein de l’entreprise d’un dispositif dit du « client mystère » permettant l’évaluation professionnelle et le contrôle de l’activité des salariés, en déduit la licéité des éléments de preuve issus de l’intervention d’un client mystère, produits par l’employeur pour établir la matérialité des faits invoqués à l’appui du licenciement disciplinaire.

C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 6 septembre (n° 22-13.783).

1) Faits et procédure.

M. [Y] a été engagé en qualité d’employé de restaurant libre service, le 1er novembre 2006, par la société Autogrill aéroports.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, notifié le 22 août 2016, le salarié a saisi la juridiction prud’homale.

Dans un arrêt du 1er juillet 2021, la Cour d’appel d’Aix en Provence a validé le licenciement du salarié.

Ce dernier s’est pourvu en cassation.

2) Moyens.

Le salarié fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence de rejeter ses demandes, en particulier celles tendant à l’annulation de la mise à pied disciplinaire du 7 avril 2016 et à juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve ; que, pour juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a considéré que la preuve du non-respect par le salarié des procédures d’encaissement mises en place au sein de l’entreprise était rapportée ; qu’en jugeant recevable cette preuve, dont elle constatait qu’elle avait été recueillie au moyen d’un "client-mystère", la cour d’appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du Code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ;

2°/ que l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve ; que, par ailleurs, le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard ; qu’en considérant, pour refuser d’écarter la preuve recueillie au moyen d’un "client-mystère", que les salariés avaient été informés de la mise en œuvre de ce système d’investigation et de "l’objectif de ce dispositif", sans vérifier quel était précisément l’objectif déclaré aux salariés, alors que les conclusions du salarié l’y invitaient, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code de procédure civile et L1222-3 du Code du travail, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ».

3) Réponse de la Cour de cassation.

D’une part, il ne résulte ni de l’arrêt ni des pièces de la procédure que le salarié a soutenu devant la cour d’appel un moyen pris de la violation des articles 9 du Code de procédure civile et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Le moyen pris en sa première branche, nouveau et mélangé de fait et de droit, est dès lors irrecevable.

D’autre part, l’arrêt constate d’abord que l’employeur produit une fiche d’intervention d’une société, mandatée par lui pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère », dont il résulte qu’aucun ticket de caisse n’a été remis après l’encaissement de la somme demandée.

Il retient ensuite, par une appréciation souveraine de la valeur et la portée des éléments de preuve produits, que l’employeur établit avoir préalablement informé le salarié de l’existence de ce dispositif d’investigation comme en atteste la production, d’une part, d’un compte-rendu de réunion du comité d’entreprise du 18 octobre 2016, faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages, et, d’autre part, d’une note d’information des salariés sur le dispositif dit du « client mystère », qui porte la mention « pour affichage septembre 2015 » et qui explique son fonctionnement et son objectif.

Il en déduit enfin que, la méthode utilisée par l’employeur pour établir la matérialité des faits litigieux étant licite, celle-ci est démontrée par la production de la fiche d’intervention de la société mandatée par l’employeur de sorte que le grief formulé par ce dernier dans la lettre de licenciement est prouvé.

Ayant ainsi constaté que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l’article L1222-3 du Code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en œuvre, de cette méthode d’évaluation professionnelle mise en œuvre à son égard par l’employeur, ce dont il résultait que ce dernier pouvait en utiliser les résultats au soutien d’une procédure disciplinaire, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Le moyen n’est donc pas fondé.

4) Analyse.

4.1) Preuve recueillie au moyen d’une méthode d’évaluation professionnelle dite du « client mystère » = violation des articles 9 du Code de procédure civile ou de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ?

Dans le premier moyen, le salarié plaidait que la preuve, avait été recueillie au moyen d’un « client-mystère » et que la cour d’appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du Code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Toutefois, la Cour de cassation considère sèchement que ce moyen n’avait pas été soulevé en appel, il est irrecevable.

Cela ouvre la porte pour les plaideurs à une censure, sur les fondements précités, de ce mode de preuve par l’évaluation professionnelle du « client mystère », lors d’une prochaine affaire.

4.2) Information préalable du salarié de la méthode d’évaluation professionnelle du client mystère = l’employeur peut en utiliser les résultats au soutien d’une procédure disciplinaire.

Le salarié plaidait que « l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve ».

Ce raisonnement est écarté par la Cour de cassation.

La Cour de cassation relève que la faute est démontrée par la production de la fiche d’intervention de la société mandatée par l’employeur.

La Cour de cassation relève que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l’article L1222-3 du Code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en œuvre, de cette méthode d’évaluation professionnelle dite du « client mystère ».

Dès lors, l’employeur, pouvait en utiliser les résultats au soutien d’une procédure disciplinaire.

Le pourvoi est rejeté.

L’article L1222-3 dispose que :

« Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard.
Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie
 ».

Les critères d’évaluation des salariés doivent être objectifs et transparents.

La mise en œuvre d’un mode d’évaluation reposant sur la création de groupes affectés de quotas préétablis que les évaluateurs sont tenus de respecter est illicite [1].

Source :

C. cass. 6 septembre 2023 n° 22-13.783
C cass. 27 mars 2013, n°11-26.539

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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[1C cass. 27 mars 2013, n°11-26.539.

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