Grâce à ce principe, l’effet cliquet serait assuré en droit de l’environnement, tant en ce qui concerne les dispositions législatives futures que celles à caractère réglementaire, nombreuses voire majoritaires dans ce domaine. Notons que ce principe ne s’applique qu’à l’action normative des pouvoirs publics. Un tel principe permettrait a minima d’assurer une réglementation constante et, au plus, l’initiation d’un cercle vertueux pour la protection de l’environnement et la réglementation des activités humaines. Aussi louable que puisse être ce principe « interdisant à l’État de diminuer le standard de protection qu’il a déjà atteint » (De Schutter, Les générations des droits de l’homme et l’interaction des systèmes de protection : les scénarios du système européen de protection des droits fondamentaux, in Juger les droits sociaux, Actes du colloque organisé par ADEAGE, 19 oct. 2001, , PULIM, 2004, p. 13 ), les députés et sénateurs ont saisi le Conseil Constitutionnel (saisine du 21 juillet 2016, affaire 2016-737 DC). Ils font valoir que ce qu’une loi crée, une autre loi postérieure peut le défaire.
D’où suivent deux questions : le législateur peut-il restreindre sa souveraineté ? Si tel était le cas, comment appliquer ce principe ?
Ainsi, ce principe, pour être légal, devrait être intégré dans le droit positif supérieur (I), à supposer sa conformité, son application en l’état paraît complexe (II).
I- L’INTÉGRATION DU PRINCIPE DANS LE DROIT POSITIF SUPÉRIEUR
Les députés et sénateurs, dans leur saisine du Conseil constitutionnel font valoir que ce principe devrait être inscrit dans le droit européen (A) ou la Constitution (B).
A/ La possible intégration du principe dans le droit européen
La protection de l’environnement et son amélioration font l’objet d’engagements internationaux de la France (Déclaration de Rio 1992, « Les États doivent promulguer des mesures efficaces en matière d’environnement », Principe 11). Le Droit européen n’en est pas exempt. En effet, les exigences de la protection de l’environnement sont intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union (art. 11 TFUE). Elle poursuit pour objectif « l’amélioration de la qualité de l’environnement », aussi l’Union œuvre pour « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (art. 3 TUE) ce qui n’empêche en rien les États membres d’adopter des législations plus protectrices.
Pourtant, force est de constater que les textes ne font pas référence au principe de non-régression mais seulement à des mesures efficaces assurant un niveau élevé de protection et d’amélioration. La règle en droit positif est donc téléologique, elle ne concerne que le but là où le principe de non-régression s’applique aux moyens. Le Parlement européen demande par ailleurs « que le principe de non-régression soit reconnu dans le contexte de la protection de l’environnement et des droits fondamentaux », ce qui implique que ce n’est pas -encore- le cas (Résolution du Parlement européen du 29 septembre 2011 sur l’élaboration d’une position commune de l’Union dans la perspective de la conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio +20), B7-0522/2011).
Le droit européen semble plus accueillant pour ce principe que notre droit interne.
B/ L’intégration problématique du principe dans la Constitution
Une lecture combinée de l’article 3 de la constitution, selon lequel la souveraineté nationale appartient au peuple, et de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, affirmant que le Parlement assume pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de ses attributions, porte à croire que la souveraineté du Parlement est intangible. Les sages de la rue de Montpensier ont déjà eu l’occasion d’affirmer « qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions » (Cons. const. 29 juill. 1986, Réforme du régime de la presse, n° 86-210 DC, consid. 3, Rapp. « la loi jetable n’est pas respectable », CE, Rapport public 1991).
Toutefois, l’article 34 de la Constitution confère au législateur la compétence pour déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement tout en les conciliant avec le développement économique et le progrès social (art. 6 Charte de l’environnement de 2004). Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs repris le considérant précité dans une décision de principe (Cons. Const. 8 avril 2011, Michel Z. et autres, n°2011-116) ; il y affirme néanmoins que le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par les articles 1 et 2 de la Charte de 2004 s’impose « aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif » (décision précitée, consid. 3).
Le Conseil constitutionnel devra donc trancher entre la plénitude absolue de la souveraineté du Parlement et la validité de la restriction de la compétence législative, dans le respect de la conciliation des trois piliers du développement durable. S’il devait trancher en faveur de la conformité du principe de non-régression, son application n’en demeure pas moins complexe et annonciatrice de longs débats juridiques.
II- L’APPLICATION DU PRINCIPE DE NON-RÉGRESSION
La lettre de l’article 2 du projet de loi définitif soumis à l’examen du juge constitutionnel est très générale : elle encadre tant les dispositions législatives que réglementaires. Sur le plan de la sécurité juridique, le critère « d’amélioration constante » introduit un élément de subjectivité dont l’appréciation semble laissée à la libre appréciation du juge (B). Au préalable, l’application du principe suppose d’apprécier les normes applicables afin d’en déduire un seuil de protection s’imposant, en principe, comme un pour les pouvoirs publics (A).
A/ L’établissement d’un seuil de protection minimal
Quelles sont les normes qui devront être prises en compte pour l’établissement de ce seuil ? Ratione temporis, la loi ne disposant que pour l’avenir, il paraît évident que c’est le droit alors applicable qui va servir d’étalon pour fixer ce seuil. Ratione materiae, seules les normes émanant des pouvoirs publics sont assujetties à ce principe, les usages professionnels et les normes volontaires en sont exclus. Dans le cas où l’on retiendrait ce principe à l’égard des normes générales et impersonnelles qui émanent d’une autorité publique, comme cela a pu être le cas en Belgique (Cour d’arbitrage belge, 14 sept. 2006, n° 137/2006, consid. B.7.3), l’appréciation s’opérerait entre les différentes normes impersonnelles. Inversement, pour ce qui concerne les décisions individuelles, elle serait fonction de la personne visée par la décision (cf. Vers un principe de non-régression de la protection de l’environnement, Christophe Krolik, AJDA n° 39, 18 novembre 2013).
Cette solution ne semble pourtant pas respecter la réserve du droit des tiers concernant les autorisations d’exploiter ou de bâtir, cette réserve nécessitant l’introduction de normes générales et impersonnelles dans le contrôle de légalité de la décision, dont a fortiori le respect du principe de non-régression. Ce principe semble donc devoir être appréciée de façon très large : tant en ce qui concerne les normes impersonnelles et générales au bénéfice des tiers que celles personnelles applicables à la personne visée, ce qui ne facilitera pas l’appréciation du critère qualitatif.
B/ L’introduction d’un critère qualitatif dans l’appréciation des normes
La nouvelle norme ne pourra plus aboutir à un niveau de protection inférieur à celui qu’elle entend modifier. Il en résulte de sérieuses difficultés liées à la subjectivité d’un tel dispositif, d’autant plus que la question de l’efficacité des textes n’est pas posée. Comme le rappelle Rudolph von Jehring, le droit sans la contrainte « c’est un feu qui ne brûle pas, c’est un flambeau qui n’éclaire pas », or le droit de l’environnement est principalement réglementaire et dépend donc pour partie de l’action de l’administration. La liaison entre le texte et son application, donc son efficience, n’est pas réalisée par le principe de non-régression. Ce critère semble pourtant indispensable pour l’appréciation du critère qualitatif. Le principe de non-régression du droit de l’environnement semble, en l’état actuel, voué à n’avoir pour champ d’application qu’une réalité scripturale.