La pollution de l’air est nocive pour la santé. Une série d’études, dont les premières ont été publiées avant les années 2000, le démontre et attribue aujourd’hui à une mauvaise qualité de l’air près de 500.000 décès prématurés par an en Europe, dont 48.000 en France [1].
Ce risque sanitaire de premier plan fait l’objet d’un encadrement juridique au niveau européen depuis 2008. La directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 [2] vient en effet définir des seuils d’exposition ainsi que l’obligation de réaliser un plan d’amélioration de la qualité de l’air pour les zones dépassant régulièrement ces seuils.
La France fait aujourd’hui l’objet d’une procédure judiciaire devant la Cour de Justice de l’Union Européenne pour manquement à ses obligations au regard de la directive précitée, notamment du fait d’une définition de plans d’amélioration de la qualité de l’air manifestement insuffisant.
Cette procédure est pour autant loin d’être satisfaisante pour les citoyens français s’affirmant victimes de la pollution atmosphérique. Plusieurs recours indemnitaires ont été formés devant les tribunaux administratifs par des particuliers ayant développé des maladies respiratoires attribuée à des taux importants de polluants dans l’air. Les tribunaux administratifs ainsi saisis, à savoir celui de Montreuil et celui de Paris, ont reconnu la faute de l’Etat mais sans pour autant accepter de le condamner à indemniser les dommages subis par les requérants [3] . Le lien de causalité entre les pathologies développées et la faute de l’Etat n’aurait pas été établi par les requérants, faute « d’éléments permettant d’établir l’incidence alléguée du dépassement des seuils de concentration sur [leur] état de santé ».
La conclusion du juge administratif peut laisser perplexe. La profusion d’études publiées sur les effets de la qualité de l’air pour démontrer le lien entre la pathologie des requérants et les taux d’émissions a nécessairement été exploitée à l’appui de leurs recours. Le juge semble pour autant privilégier la prudence dans l’interprétation de données scientifiques majoritairement statistiques.
C’est dans ce contexte que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ou « ANSES ») a, à la mi-juillet 2019, publié un avis ainsi que deux rapports traduisant les résultats d’une expertise collective sur les impacts de la pollution atmosphérique.
L’ANSES a en effet été saisie en 2014 par plusieurs directions du Ministère de la transition écologique et solidaire afin de réaliser un travail de compilation, de sélection et d’interprétation des études scientifiques réalisées jusqu’en février 2016 sur le sujet.
Le résultat de ce travail méticuleux a permis à l’ANSES de formuler plusieurs conclusions.
Principales conclusions de l’avis de l’ANSES « Particules de l’air ambiant extérieur », juillet 2019 :
1. L’agence confirme avant toute chose les effets néfastes pour la santé des particules fines (PM10 et PM2,5) et ultrafines (PM0,1) et des matières carbonées en suspension dans l’air.
2. La majorité des émissions nocives peut être associée au trafic routier, devant la combustion du charbon, de produits pétroliers et de la biomasse.
3. L’analyse prospective de l’ANSES comporte plusieurs scénarios, chacun représentant une évolution différente du parc automobile (aucun changement ; remplacement des véhicules diesel par des véhicules essences ; passage à une motorisation électrique). Chacun de ces scénarios prévoit alors une baisse des émissions nocives mais cette baisse demeurerait insuffisante pour permettre à la concentration en polluants atmosphérique des zones urbaines de respecter les seuils sanitaires définis par l’OMS.
L’ANSES préconise donc en premier lieu de réduire l’exposition des populations au trafic routier. Les mesures allant dans ce sens « doivent s’inscrire dans une gouvernance plus large de la ville, intégrant l’urbanisme, les transports, la santé et la qualité de l’air, de l’environnement et du cadre de vie » [4]. Autrement dit, l’ANSES invite les pouvoirs publics à se saisir du sujet de manière globale, à imprégner l’ensemble des politiques publiques possibles de cette problématique.
La position adoptée par l’ANSES dans cet avis tend évidemment à orienter les politiques publiques mais elle pourrait également venir bousculer la position prudente adoptée par les juges saisis de problématiques liées à la pollution de l’air. Elle invite également, de manière plus feutrée peut-être, à repenser le cadre réglementaire aujourd’hui en vigueur afin qu’il intègre l’état actuel des recherches scientifiques.
I. L’influence potentielle de l’avis de l’ANSES sur les décisions judiciaires en matière de pollution de l’air.
Outre la procédure en cours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, plusieurs décisions rendues récemment par les juridictions nationales ont permis d’entrevoir la position du juge français sur la question de la qualité de l’air. Bien que ces décisions soient jusqu’ici peu nombreuses, elles indiquent pour autant le « point de départ » s’agissant de l’appréciation du juge.
Or, la position actuelle du juge apparait comme étant prudente, la pollution de l’air n’ayant donné lieu à aucune condamnation indemnitaire.
En effet, ainsi que cela a été mentionné plus haut, les tribunaux administratifs de Montreuil et de Paris ont tous deux été réticents à reconnaître le lien de causalité entre une faute de l’Etat pourtant reconnue en matière de contrôle des émissions polluantes, et les pathologies respiratoires développées par les requérants.
Le juge administratif attend en effet davantage d’éléments permettant d’établir un tel lien de causalité. Cette position appelle alors plusieurs remarques.
D’une part, le juge attend-il du requérant qu’il présente une pièce, que l’on imaginerait émise par un établissement médical, faisant un lien explicite entre une pathologie et l’exposition dudit requérant à une pollution atmosphérique dépassant les seuils réglementaires ? Si tel est le cas, il semblerait que la nature statistique des résultats obtenus par les études sanitaires sur les effets de la pollution de l’air soit un obstacle difficile à surmonter.
Dans ce contexte, l’avis de l’ANSES ne pourrait représenter qu’un document de synthèse des études menées venant supporter les certificats médicaux produits par le requérant, sans pour autant démontrer explicitement le lien entre une pathologie et les niveaux de pollution observés en France.
D’autre part, la position du juge nous pousse à envisager une autre voie que celle de l’indemnisation d’un préjudice liée à une pathologie. Il existe en effet un type de préjudice dont l’indemnisation peut être acceptée et, ce, quand bien même l’apparition d’une pathologie demeure statistique : le préjudice d’anxiété.
Ainsi que nous l’avions décrit dans un précédent article, la reconnaissance du préjudice d’anxiété suppose la connaissance, par les pouvoirs publics, d’une situation à risques ainsi qu’une carence de ces derniers dans la prise de mesures aptes à éliminer ou limiter ces risques. La multitude d’études, parfois anciennes, sur la pollution de l’air associée à la carence de l’Etat, reconnue au niveau national par le juge administratif, représentent un terreau favorable à tout recours indemnitaire au titre d’un préjudice d’anxiété.
Le rapport de l’ANSES pourrait ici représenter une pièce intéressante en ce qu’il vise explicitement le trafic routier. Ainsi, toute population exposée à un trafic routier dense, notamment en présence de personnes sensibles (enfants et personnes âgées) pourraient envisager de voir son préjudice d’anxiété indemnisé.
Une autre typologie de contentieux lié à la qualité de l’air pourrait également être orientée par l’avis de l’ANSES, celui des évaluations environnementales des projets urbains.
Sur ce sujet, le rapport annuel de l’Autorité environnementale pour l’année 2018 souligne que de nombreux projets de constructions d’infrastructures urbaines prennent insuffisamment en considération l’ensemble des aménagements qu’ils induisent. Autrement dit, l’échelle de réflexion adoptée pour évaluer les impacts d’un projet de ce genre sur la population avoisinante est souvent inappropriée. L’Autorité environnementale recommande alors au maître d’ouvrage de procéder à une étude de la modification des flux routiers générés par un projet au niveau de l’agglomération qui l’accueille dans son intégralité ou d’un territoire plus large encore.
En effet, ainsi que cela a été mentionné plus haut, les tribunaux administratifs de Montreuil et de Paris ont tous deux été réticents à reconnaître le lien de causalité entre une faute de l’Etat pourtant reconnue en matière de contrôle des émissions polluantes, et les pathologies respiratoires développées par les requérants.
Le juge administratif attend en effet davantage d’éléments permettant d’établir un tel lien de causalité. Cette position appelle alors plusieurs remarques.
D’une part, le juge attend-il du requérant qu’il présente une pièce, que l’on imaginerait émise par un établissement médical, faisant un lien explicite entre une pathologie et l’exposition dudit requérant à une pollution atmosphérique dépassant les seuils réglementaires ? Si tel est le cas, il semblerait que la nature statistique des résultats obtenus par les études sanitaires sur les effets de la pollution de l’air soit un obstacle difficile à surmonter.
Dans ce contexte, l’avis de l’ANSES ne pourrait représenter qu’un document de synthèse des études menées venant supporter les certificats médicaux produits par le requérant, sans pour autant démontrer explicitement le lien entre une pathologie et les niveaux de pollution observés en France.
D’autre part, la position du juge nous pousse à envisager une autre voie que celle de l’indemnisation d’un préjudice liée à une pathologie. Il existe en effet un type de préjudice dont l’indemnisation peut être acceptée et, ce, quand bien même l’apparition d’une pathologie demeure statistique : le préjudice d’anxiété.
Ainsi que nous l’avions décrit dans un précédent article, la reconnaissance du préjudice d’anxiété suppose la connaissance, par les pouvoirs publics, d’une situation à risques ainsi qu’une carence de ces derniers dans la prise de mesures aptes à éliminer ou limiter ces risques. La multitude d’études, parfois anciennes, sur la pollution de l’air associée à la carence de l’Etat, reconnue au niveau national par le juge administratif, représentent un terreau favorable à tout recours indemnitaire au titre d’un préjudice d’anxiété.
Le rapport de l’ANSES pourrait ici représenter une pièce intéressante en ce qu’il vise explicitement le trafic routier. Ainsi, toute population exposée à un trafic routier dense, notamment en présence de personnes sensibles (enfants et personnes âgées) pourraient envisager de voir son préjudice d’anxiété indemnisé.
Une autre typologie de contentieux lié à la qualité de l’air pourrait également être orientée par l’avis de l’ANSES, celui des évaluations environnementales des projets urbains.
Sur ce sujet, le rapport annuel de l’Autorité environnementale pour l’année 2018 souligne que de nombreux projets de constructions d’infrastructures urbaines prennent insuffisamment en considération l’ensemble des aménagements qu’ils induisent [5]. Autrement dit, l’échelle de réflexion adoptée pour évaluer les impacts d’un projet de ce genre sur la population avoisinante est souvent inappropriée. L’Autorité environnementale recommande alors au maître d’ouvrage de procéder à une étude de la modification des flux routiers générés par un projet au niveau de l’agglomération qui l’accueille dans son intégralité ou d’un territoire plus large encore.
L’échelle de prise en compte des conséquences d’un aménagement urbain pose la question des effets cumulés de ce projet avec d’autres présents sur un même territoire. La règlementation relative à la qualité de l’air définie des seuils d’exposition de la population, dont le respect implique, par exemple, que les aménagements urbains prévus dans une agglomération n’exposent pas une partie de la population à des taux spécifiques de polluants.
La position de l’Autorité environnementale sur ce point est renforcée par celle de l’ANSES qui met en avant l’importance des dangers dus aux émissions du trafic routier.
En effet, si le trafic routier est le plus important générateur de polluants atmosphériques, chaque projet d’urbanisme ou de construction d’une nouvelle installation industrielle doit être apprécié en fonction des modifications de trafic routier qu’elle est susceptible de générer. Si l’un de ces projets accroît l’exposition d’une zone densément peuplée, de manière à dépasser les seuils réglementaires, l’autorité administrative compétente devrait être en mesure de refuser un tel scenario.
L’avis de l’ANSES invite donc les autorités et, avec elles, les juges, à renforcer leur contrôle quant au respect des seuils d’exposition de la population à la pollution de l’air. Cependant, en préférant les seuils définis par l’OMS à ceux de la directive 2008/50, l’ANSES pose indirectement la question de l’effectivité du régime juridique actuellement en vigueur.
II. Une nouvelle invitation à revoir les fondements juridiques de la protection de la santé contre la pollution atmosphérique.
L’ANSES précise, au sein de ses conclusions et recommandations, que les évolutions du trafic routier en lui-même en France induiront une évolution favorable de la qualité de l’air ambiant mais que « ces évolutions sont insuffisantes pour améliorer à elles seules la qualité de l’air dans les agglomérations car elles ne permettent pas d’éviter les dépassements des valeurs guides de l’OMS ».
On le voit, l’Agence appuie son analyse des effets sanitaires de la pollution non sur les seuils définis par la directive 2008/50/CE mais sur les « valeurs guides de l’OMS ».
L’OMS a en effet défini plusieurs valeurs guides relatives à l’exposition de la population à diverses substances nocives. Ces valeurs ont été publiées en 2005 – soit bien avant la directive européenne de 2008 – et de manière générale présentent des seuils bien plus sévères que les seuils européens.
Émissions atmosphériques | Valeurs recommandées par l’OMS | Seuils fixés par la directive 2008/50/CE |
---|---|---|
PM2,5 | 10 microgrammes/m3 en moyenne par an 25 microgrammes/m3 en moyenne pendant 24 heures |
20 microgrammes/m3 en moyenne par an |
PM10 | 20 microgrammes/m3 en moyenne par an 50 microgrammes/m3 en moyenne pendant 24 heures |
30 microgrammes/m3 en moyenne par an 50 microgrammes/m3 en moyenne pendant 24 heures pendant 35 jours par an |
Ozone | 100 microgrammes/m3 moyenne pendant 8 heures | 120 microgrammes/m3 en moyenne pendant 24 heures, pendant 8 heures |
Dioxyde d’azote | 40 microgrammes/m3 en moyenne par an 200 microgrammes/m3 en moyenne pour une heure |
40 microgrammes/m3 en moyenne par an |
Dioxyde de souffre | 20 microgrammes/m3 en moyenne pendant 24 heures 500 microgrammes/m3 en moyenne pendant 10 minutes |
50 microgrammes/m3 en moyenne par an 125 microgrammes/m3 en moyenne pendant 24 heures, trois fois par an 350 microgrammes/m3 en moyenne pendant une heure, 24 fois par an |
Pour certaines substances, les valeurs proposées par l’OMS font office de seuils plus rigoureux que les seuils européens en ce qu’elles définissent à la fois des valeurs d’exposition plus faibles (voir en cela la valeur annuelle d’exposition aux PM2,5, deux fois plus rigoureuse au niveau de l’OMS) ou des valeurs inexistantes en droit européen, comme le seuil d’exposition horaire au dioxyde d’azote.
Une telle différence n’est pas sans conséquence. En effet, plusieurs études récentes ont procédé à une estimation des effets sanitaires de la pollution de l’air dans différents scénarios, dont l’un correspondait au respect des seuils européens tandis qu’un autre présentait les effets d’une pollution maintenue en deçà des valeurs de l’OMS.
L’étude menée par Madame Pascal, de Santé Publique France, et publiée en juin 2016 [6] est des plus parlantes. Elle dégage, en ce qui concerne l’exposition aux particules fines (PM2,5), les résultats suivants :
Scénarios | Décès prématurés évités par an | Espérance de vie moyenne gagnée (à 30 ans) | |
Respect des valeurs fixées par l’OMS | 17.000 (dont 13.000 dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants) |
4 mois (7 dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants) | |
Respect des seuils réglementaires actuels (Directive européenne 2008/50) | 11 | 1 mois et demi |
La différence est ici très nette. Alors que le respect des valeurs d’émissions proposées permettrait, en ce qui concerne les particules fines, d’éviter près de 17.000 décès prématurés par an, le respect des seuils européens n’induirait qu’une baisse de mortalité de 11 décès prématurés par an.
Les seuils européens apparaissent comme trop hauts pour permettre une véritable protection de la population. Ils ne tiennent par ailleurs pas la comparaison avec la règlementation d’autres pays industrialisés. S’agissant des PM2,5, par exemple, les Etats-Unis ont définis un seuil annuel de 12 microgrammes/m3 et l’Australie, 8 microgrammes/m3, là où le seuil européen est fixé à 20 microgrammes/m3.
Ces résultats ayant été corroborés par d’autres études et rapports officiels [7], un mouvement de remise en cause des seuils européens est en train de naître. La lecture de l’avis de l’ANSES semble démontrer que l’agence française a bien rejoint cette mouvance.
Il apparait tout d’abord que l’ANSES ne fait pas référence aux seuils européens dans le cadre de son analyse prospective des effets de la pollution de l’air. Elle préfère avoir recours aux valeurs de l’OMS, qualifiée de « référentiel sanitaire » [8] .
Mieux encore, l’ANSES qualifie elle-même ses rapports comme devant servir à redéfinir les seuils européens. Elle conclut en effet son avis en indiquant que « ces travaux pourront appuyer les pouvoirs publics dans le cadre de la réflexion en cours au niveau de la Commission Européenne sur l’évaluation des deux directives européennes sur la qualité de l’air ambiant (directive 2008/50/CE et 2004/107/CE) ».
L’appel est relativement clair, la protection de la population contre les effets néfastes de la pollution atmosphérique implique une mesure organisationnelle, à savoir un meilleur contrôle du trafic routier. Or, ces mesures ne pourront se passer d’une révision de fond des normes juridiques venant encadrer la qualité de l’air, les normes actuelles étant, d’après les derniers résultats scientifiques, quasiment inefficaces.
La bataille pour une meilleure qualité de l’air est donc loin d’être remportée. Alors que la France, menacée d’une condamnation au niveau européen, déploie quelques actions afin de limiter les pics de pollution, elle devra engager des actions plus globales afin de lutter contre les effets néfastes de la pollution atmosphérique. Il conviendra alors d’orienter ces actions, non sur des seuils européens dont l’insuffisance est démontrée, mais bien sur les valeurs sanitaires de référence, soit celles définies par l’OMS.