En août 2023, l’association « Ensemble pour la Planète » a ainsi sollicité du juge des référés du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie qu’il suspende l’exécution d’un arrêté de la présidente de la province Sud. Celle-ci a en effet autorisé des activités de pêche au sein des aires de gestion durable des ressources des îlots Maître et Canard et de la Pointe du Kuendu. Elle a ainsi autorisé l’abattage d’un nombre illimité de requins tigres et bouledogues, dérogeant ainsi à l’interdiction posée par un arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
L’article L521-1 du Code de justice administrative l’impose ; pour que le juge des référés prononce la suspension de l’exécution de la décision en litige, la requérante doit démontrer à la fois l’urgence à statuer et le doute sérieux quant à la légalité de cette décision.
S’agissant de l’urgence, l’interprétation courante de ce critère tient à l’existence d’une atteinte grave et immédiate aux intérêts défendus par l’association, elle est donc appréciée « eu égard à l’objet de l’arrêté dont la suspension est demandée et aux dates qu’il fixe pour l’autorisation de prélèvements » [1] d’animaux sauvages. Ainsi, les intérêts défendus par l’association peuvent être considérés comme atteints lorsque les mesures de prélèvements sont en cours, ou lorsqu’une décision administrative autorise des mesures imminentes. Cette appréciation est régulièrement reprise par les tribunaux administratifs, notamment dans le cadre du très fourni contentieux de la période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau [2]. Elle trouve une nouvelle application au cas d’espèce.
En effet, dans son ordonnance du 14 septembre 2023, le juge des référés du Tribunal administratif de Nouvelle Calédonie [3] a reconnu l’urgence à statuer à l’issue d’une analyse centrée sur la nature et le moment des opérations de pêche autorisées. Il a ainsi justifié sa décision en raison de l’imminence des prélèvements autorisés et « leurs conséquences irréversibles sur l’environnement et sur la population » des espèces concernées. Une telle interprétation amène deux observations. Tout d’abord, elle confirme que l’atteinte aux intérêts d’une association de protection de la biodiversité est immédiate, même au sujet d’opérations de pêches qui n’ont pas encore eu lieu, dès lors qu’elles sont actuellement autorisées et irréversibles. De plus, le juge des référés écarte ici toute reconnaissance de la condition d’urgence basée sur le seul statut de conservation des espèces ciblées, qu’il n’évoque à aucun moment. Il en résulte une appréciation généralisée de la condition d’urgence, laquelle serait reconnue lorsque des mesures de prélèvements, par nature irréversibles, sont actuelles ou imminentes, qu’elles visent des espèces menacées d’extinction ou non.
Quant au doute sérieux pesant sur la légalité de l’acte en cause, le juge des référés retient deux moyens interconnectés. D’une part, il souligne la nature non discriminante des pêches autorisées quant à la taille des individus et les espèces pêchées. Il souligne ainsi l’impossibilité de mener les pêches permises sans nécessairement attenter à d’autres espèces dont la pêche demeurerait interdite. Par ailleurs, ces pêches sont susceptibles de porter atteinte aux individus immatures sexuellement, protégés par l’article L436-5 du Code de l’environnement. D’autre part, le juge des référés reconnait l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration en ce qu’elle a autorisé la pêche de requins tigres et de requins bouledogues sans connaître l’état de population de ces espèces et l’impact de ces pêches sur l’environnement. Un tel « doute sérieux » souligne ainsi une approche du juge de moins en moins tolérante aux décisions de gestion de la biodiversité dont le contexte écologique et les conséquences demeurent inconnues.
Il est évident qu’à l’heure où les connaissances scientifiques, notamment écologiques, n’ont jamais été aussi fournies, leur ignorance par les autorités administratives relève de plus en plus de l’erreur manifeste. La reconnaissance, par l’article L110-1 du Code de l’environnement, de la biodiversité en tant que « partie du patrimoine commun de la nation » en considération de son érosion constatée par différentes institutions [4] invite à accueillir favorablement la reconnaissance élargie par le juge administratif de l’urgence à statuer en référé. Une telle approche tend à prévenir les cas insatisfaisants d’annulations contentieuses « stériles » d’actes administratifs, puisqu’ intervenant postérieurement à l’apparition des effets néfastes de ces actes sur la biodiversité.
Si l’ordonnance ici commentée s’inscrit dans un mouvement de facilitation du recours au juge pour protéger les espèces sauvages, il n’en demeure pas moins qu’elle révèle l’angle mort des procédures contentieuses administratives face à une décision immédiate et aux effets succincts. De quoi appuyer les réflexions vers une solution généralisée, qui pourrait par exemple prendre la forme d’un délai obligatoire de carence entre la date d’adoption de l’acte administratif et le point de départ effectif des mesures qu’il autorise. De la même manière que le régime de la consultation du public préalable obligatoire, le respect de ce délai participerait à garantir l’accès de la société civil à une voie de recours effectif contre les décisions administrative ayant un impact significatif sur l’environnement, même lorsque celui s’exprime sur une courte durée.