Une commune avait signé un contrat de location de locaux professionnels avec un masseur-kinésithérapeute à des conditions préférentielles, c’est-à-dire en dessous des prix pratiqués sur le marché locatif.
Or quatre autres masseurs-kinésithérapeutes ont attaqué en justice ce contrat, l’estimant illégal. Ils considéraient que ce « prix d’ami » caractérisait une concurrence déloyale à leur détriment et qu’en favorisant ainsi l’implantation d’un de leurs confrères, la commune n’avait pas respecté la loi.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a constaté après examen des pièces du dossier que les conditions du bail conclu par la commune en question étaient en effet bien plus favorables que celles du marché compte tenu du loyer moyen au mètre carré versé par d’autres professionnels de santé pour des locaux similaires.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat a posé le principe suivant : une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.
Dans le cas qui lui était présenté, la justification pouvait par exemple être de favoriser l’installation d’un professionnel de santé dans une zone rurale sinistrée comportant une offre insuffisante de soins pour cette profession. Mais ce n’était pas le cas concrètement en l’espèce, puisque quatre autres masseurs-kinésithérapeutes étaient présents sur le territoire concerné, et le Conseil d’Etat a donc statué en défaveur de la commune :
« (…) En deuxième lieu, une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes. Par suite, en recherchant si le bail consenti par le CCAS à Mme D... à des conditions préférentielles était justifié par un motif d’intérêt général et comportait des contreparties suffisantes, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.
En troisième lieu, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier, ni insuffisamment motivé son arrêt, ni commis d’erreur de droit en relevant que, compte tenu du loyer moyen au mètre carré versé par d’autres professionnels de santé pour des locaux situés à Pauillac et des travaux de rénovation du local en litige financés par le CCAS, les conditions du bail conclu avec Mme D... étaient plus favorables que celles du marché.
En quatrième lieu, après avoir relevé que le bail en litige a été conclu en vue de favoriser l’installation d’un masseur-kinésithérapeute dans la commune de Pauillac alors que cette dernière ne fait pas partie des zones, déterminées par le directeur général de l’agence régionale de santé, que caractérise une offre insuffisante de soins pour cette profession, la cour a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit ni de qualification juridique, que la location du bien pour un loyer inférieur à sa valeur locative n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général (…) » [1].
Il faut donc retenir que la commune peut tout à fait louer un de ses biens pour un loyer inférieur à sa valeur locative, à condition de le justifier par un motif d’intérêt général et prévoir des contreparties suffisantes.
Une commune rurale sans médecin pourrait donc louer un de ses biens à un praticien à un loyer inférieur au marché en contrepartie d’un engagement du thérapeute à exercer un certain temps sur le territoire par exemple… à condition qu’il n’y ait bien aucun médecin déjà sur place (désert médical).
Cette clarification du Conseil d’Etat est bienvenue, car elle sécurise la prise de décision de certaines collectivités, surtout en zone rurale. Reste à savoir jusqu’où peut aller la décote ainsi opérée…
Décision commentée : Conseil d’Etat, 28 septembre 2021, n°431625.