A ce titre, on note une proportion élevée de fermeture administrative prononcée par les Préfectures en raison d’une infraction au droit du travail constatée, telle le travail dissimulé, l’emploi d’étrangers en situation irrégulière ou l’absence de déclarations obligatoires aux organismes de contrôle.
I - Les fondements juridiques permettant une fermeture administrative pour infraction au droit du travail.
L’article L8272-2 du Code du travail dispose que :
« Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l’article L8211-1 ou d’un rapport établi par l’un des agents de contrôle mentionnés à l’article L8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Elle en avise sans délai le procureur de la République.
La mesure de fermeture temporaire est levée de plein droit en cas de décision de relaxe ou de non-lieu. Lorsqu’une fermeture administrative temporaire a été décidée par l’autorité administrative avant un jugement pénal, sa durée s’impute sur la durée de la peine complémentaire de fermeture mentionnée au 4° de l’article 131-39 du Code pénal, pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, prononcée, le cas échéant, par la juridiction pénale.
La mesure de fermeture temporaire peut s’accompagner de la saisie à titre conservatoire du matériel professionnel des contrevenants.
Lorsque l’activité de l’entreprise est exercée sur des chantiers de bâtiment ou de travaux publics ou dans tout lieu autre que son siège ou l’un de ses établissements, la fermeture temporaire prend la forme d’un arrêt de l’activité de l’entreprise sur le site dans lequel a été commis l’infraction ou le manquement.
Lorsque la fermeture temporaire selon les modalités mentionnées au quatrième alinéa est devenue sans objet parce que l’activité est déjà achevée ou a été interrompue, l’autorité administrative peut, dans les conditions prévues au même alinéa, prononcer l’arrêt de l’activité de l’entreprise sur un autre site.
Les modalités d’application du présent article ainsi que les conditions de sa mise en œuvre sont fixées par décret en Conseil d’Etat ».
En application de ces dispositions, la Préfecture peut décider de prendre une mesure de fermeture administrative à l’encontre d’un établissement, ou d’une entreprise intervenant sur un chantier, quand il constaté une infraction constitutive de travail illégal.
Le travail illégal est constitué, en application de l’article L8211-1 du Code du travail, en présence de travail dissimulé, de marchandage, de prêt illicite de main d’œuvre, d’emploi de ressortissants étrangers non autorisés à travailler, de cumuls irréguliers d’emplois, et enfin en cas de fraude ou fausse déclaration pour obtenir des allocations.
Une décision de fermeture administrative d’un établissement prendra la forme d’un arrêté préfectoral et fixera alors une durée de fermeture qui ne peut pas dépasser un délai de 3 mois.
Afin de prononcer une fermeture administrative proportionnée, la Préfecture est tenue de prendre en compte, la proportion de salariés concernés par l’infraction de travail illégal relevée, l’éventuelle répétition et la gravité des faits constatés.
II - Sur la procédure à suivre pour l’édiction d’une mesure de fermeture administrative.
Le respect des droits de la défense implique que toute décision administrative individuelle défavorable est prise au terme d’une procédure contradictoire préalable, en application des dispositions de l’article L122-1 du Code des relations entre le public et l’Administration :
« Les décisions mentionnées à l’article L211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.
L’administration n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ».
Cette exigence s’applique même sans texte [1].
Il résulte de ces textes et de la jurisprudence qu’une procédure contradictoire préalable à une décision de fermeture administrative doit être scrupuleusement suivie, sous peine d‘entacher d’illégalité la décision administrative prise à sa suite.
Il ressort de la jurisprudence administrative que cette procédure contradictoire préalable est une garantie substantielle pour l’intéressé :
« 5. La société C’Lami soutient qu’elle n’a pas été mise à même de présenter utilement ses observations préalablement à la décision contestée, en méconnaissance des principes du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense dès lors que le préfet s’est abstenu de prendre connaissance des observations présentées dans le cadre de cette procédure. Il résulte de l’instruction que, par lettre du 20 septembre 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a informé la société requérante de la teneur des infractions et manquements au Code du travail qu’il avait constaté, ainsi que des salariés concernés et l’a invitée à lui faire part de ses observations avant de prendre une sanction de fermeture temporaire de son établissement. Il est constant que la société a produit ses observations par lettre recommandée en date du 30 septembre 2019, réceptionnée le 2 octobre suivant par le bureau du courrier de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, ainsi qu’en atteste le tampon apposé sur l’avis de réception versé aux débats. Aux termes de ce courrier, la société demandait expressément au préfet de renoncer à prononcer la fermeture administrative envisagée, eu égard aux conséquences d’une telle sanction sur sa situation financière, étayée notamment par une attestation d’un expert-comptable détaillant le montant des charges fixes supportées par l’établissement pour une période de 40 jours. L’arrêté attaqué mentionne néanmoins que le courrier invitant la société à présenter ses observations, distribué par les services postaux le 24 septembre 2019, « est resté sans réponse de sa part ». Ce faisant, et alors qu’il n’est pas établi ni n’est même allégué que l’autorité administrative aurait répondu à ces observations, il ne résulte pas de l’instruction que le préfet aurait effectivement pris connaissance des observations présentées par la société dans le cadre de la procédure contradictoire, alors qu’il résulte notamment de l’article R8272-8 du Code du travail qu’il doit tenir compte, pour déterminer la durée de la fermeture, de la situation économique, sociale et financière de l’entreprise ou de l’établissement. Dans ces conditions, la décision attaquée doit être regardée comme étant intervenue à l’issue d’une procédure irrégulière, en méconnaissance des règles garantissant le respect des droits de la défense, dont le caractère contradictoire de cette procédure. Dès lors, la société C’Lami, qui a été effectivement privée de la garantie prévue par les dispositions citées au point 3, est fondée à en demander l’annulation, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête » [2].
La Cour Administrative de Marseille a confirmé cette analyse :
« 4. Considérant qu’il convient en l’espèce de souligner que si une fermeture d’un mois a été finalement prononcée, le préfet de Vaucluse n’a invité la société appelante, suivant courrier du 2 mars 2012, à présenter ses observations que sur son intention de fermer l’établissement du Pontet pour une durée de quinze jours ; que s’il est constant que la société auto-école Jacky a pu avoir connaissance par voie de presse, le 23 mars 2012, soit bien avant la réunion organisée en préfecture à sa demande qui s’est tenue le 3 mai 2012, du projet de fermeture d’un mois, cette voie de communication ne saurait tenir lieu de délivrance d’information préalable conforme aux dispositions de l’article L8272-7 du Code du travail précité ; que, par ailleurs, le courrier préfectoral susmentionné du 2 mars 2012 se réfère exclusivement à des infractions relevant du Code du travail, constatées par procès-verbal lors de la visite de contrôle effectuée le 13 février 2012 au sein de l’établissement du Pontet par le comité départemental anti-fraude, indiquant notamment la dissimulation d’heures travaillées concernant les moniteurs, alors que l’arrêté litigieux du 11 juin 2012, quant à lui fondé sur la gravité des faits, la persistance des infractions dans le temps et leur multiplicité, vise, outre le travail illégal, d’autres infractions comme l’abus de biens sociaux, la production de faux bilan et le blanchiment de fraude fiscale, dont certaines ont été seulement constatées par procès-verbal ; que la société appelante n’a donc pu avoir connaissance de l’intention du préfet de se fonder sur ces autres motifs par le courrier du 2 mars 2012, dès lors qu’il ne faisait mention ni du contenu du rapport du 13 février 2012, ni du procès-verbal rédigé à cette même date et, qu’en tout état de cause, aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à l’administration de communiquer à la SARL ces deux documents, avant d’ordonner la fermeture de l’établissement ; qu’en outre si la société appelante soutient que ni les autres infractions, ni la durée d’un mois n’ont été évoquées lors de la réunion du 3 mai 2012, le préfet n’infirme pas non plus valablement cet état de fait ; qu’ainsi les gérants de la SARL auto-école Jacky n’ont pas été mis à même de pouvoir utilement présenter des observations écrites ou orales avant l’intervention de l’arrêté litigieux, notamment lors de la réunion du 3 mai 2012 ; que, dans ces conditions, l’arrêté du 11 juin 2012, a méconnu les dispositions de l’article R8272-7 du Code du travail organisant la procédure contradictoire préalable à une fermeture provisoire ; que, par suite, l’arrêté en litige a été pris à l’issue d’une procédure irrégulière ; que, par ailleurs, une fermeture d’un mois motivée par une diversité d’infractions comme, notamment l’abus de biens sociaux et le blanchiment de fraude fiscale, n’appelle pas le même genre d’observations qu’une fermeture de quinze jours fondée sur un motif de travail illégal ; que, par suite, la SARL auto-école Jacky a été incontestablement privée d’une garantie » [3].
Il convient donc de s’assurer qu’avant qu’un arrêté de fermeture administrative d’un établissement pour une infraction au droit du travail soit édicté, une procédure contradictoire préalable ait bien été mise en œuvre.
Cette procédure préalable doit permettre à l’intéressé de présenter ses observations écrites et/ou orales sur les reproches qui lui sont fait. Elle peut alors être l’occasion de convaincre la Préfecture qu’une décision de fermeture administrative ne serait pas opportune ou même illégale.
En général, un délai de quinze jours est laissé à l’intéressé pour présenter ces observations. Par la suite, un arrêté de fermeture administrative pourra alors être édicté par la Préfecture.
III - Sur les recours contentieux possibles en cas de fermeture administrative.
Naturellement, il est loisible aux destinataires de ces décisions de fermeture administrative d’en contester la légalité et d’en demander l’annulation devant les tribunaux administratifs.
Or, au regard de la durée d’une telle procédure et du caractère seulement temporaire de la fermeture administrative, il est en pratique impossible d’avoir une décision juridictionnelle au fond avant l’expiration de la durée de la fermeture administrative.
Dès lors, et afin de rendre le recours contentieux efficace, il est pertinent de se tourner vers les procédures de référés prévus par le Code de justice administrative.
Un référé-suspension est possible et le requérant devra démontrer que sont remplies les deux conditions fixées par l’article L521-1 du Code de justice administrative : la condition d’urgence et la condition quant au doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée.
Il peut également être envisagé un référé-liberté, procédure d’urgence dans laquelle le Juge administratif doit se prononcer sous 48 heures. Une telle procédure a le mérite d’être la plus rapide et semble, à première vue, une solution idéale afin de contester la légalité d’une décision de fermeture administrative temporaire et d’en limiter les effets dans le temps.
Il convient également en référé-liberté, de démontrer au Juge administratif que la décision de fermeture administrative porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, telle que la liberté d’entreprendre [4] ou encore la liberté du commerce et d’industrie [5].
Toutefois, il est important de réfléchir précisément à la stratégie contentieuse à adopter et la bonne procédure à emprunter. En effet, en matière de référé-liberté, « la condition d’urgence est une condition d’extrême urgence » [6]. En pratique, il est très complexe de démontrer que cette condition d’extrême urgence est remplie. Il convient alors de réunir de nombreux documents et justificatifs qui permettront d’attester de cette urgence.
Il apparaît donc essentiel de se rapprocher d’un avocat afin de contester une décision de fermeture administrative et de réunir toutes les chances de son côté.