En France, la cession d’entreprise vise le maintien d’une activité susceptible d’exploitation autonome, des emplois qui y sont liés et l’apurement du passif (art. L. 642-1, C. com.). Avec cette activité, les contrats de travail en cours qui y sont attachés sont transférés (art. 1224-1, C. trav.). La cession est conçue comme une mesure de sauvegarde de l’entreprise. En Afrique (droit de l’O.H.A.D.A), les textes apparaissent moins intelligibles du fait de leur caractère souvent trop généraliste et suscitent de ce fait des interrogations. En effet, le législateur de cet espace juridique indique qu’en demandant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, le débiteur doit proposer un concordat de redressement judiciaire (plan de redressement judiciaire en France) comportant des mesures qu’il envisage pour le redressement de son entreprise ; parmi ces mesures, il peut proposer sa cession totale ou partielle (art. 27, al. 2. 2°, AUPC). Cependant il organise cette cession dans une sous-section intitulée « concordat comportant cession partielle ou totale d’actif » (art. 131, AUPC), mais non « cession partielle ou totale d’entreprise ». Or, cession d’actif ne veut pas dire forcément cession d’entreprise. Elle définit cette dernière de la même manière que son homologue français (art. 131, al.3, AUPC pour l’Afrique et art. L. 642-1, C. com. pour la France : une cession qui assure la poursuite d’une activité autonome d’exploitation, le maintien des emplois et l’apurement du passif). Il faut dire que la cession de l’entreprise en difficulté est une opération accessoire à la réalisation de l’actif en droit de l’O.H.AD.A et que l’objectif premier visé est l’apurement du passif du débiteur (paiement des créanciers, art. 132, AUPC.). Ainsi, une étude comparative des conditions de l’offre de reprise d’une entreprise en difficulté à la lumière des deux droits permet de voir une divergence de priorité relative au maintien des emplois d’une part (I) et à la poursuite des contrats d’autre part (II).
I. La divergence de priorité relative au maintien de l’activité et des emplois
En droit positif français, on évite que le débiteur, puisqu’il est débarrassé de tout passif non payé à la clôture des procédures collectives, n’utilise ce moyen afin de reprendre son entreprise en se débarrassant de son passif. Car s’il est question de céder cette entreprisse, c’est parce qu’il n’a pas été capable par lui-même d’en assurer le redressement. C’est pourquoi, seuls les tiers (art. L.642-3, al. 1, C. com.) sont autorisés à présenter une offre de reprise. Cette dernière doit porter sur une entreprise ou une branche d’activité qui soit une véritable « entité économique autonome d’exploitation (Douai, 2 juillet 2015, LEDEN sept. 205, n°126.) ». En effet, le tribunal ne peut arrêter un plan où l’acquéreur ne cherche qu’à réaliser une opération immobilière en acquérant les actifs cédés (Paris, 1re ch., sect. A, 23 juill. 1992, D. 1992, p.491) ou encore lorsque la cession ne porte que sur les actifs immobiliers d’un promoteur (Trib. com. Paris, 11 févr. 1994, Rev. proc. coll. 1994, p.223).
Dans le même sens, il a été jugé qu’un fonds de commerce ne constitue pas une branche autonome d’activité (Paris, 1re ch. A, 23 juill. 1992, D. 1992, p. 491), tout comme un droit au bail (Mets, 13 févr. 1990, Rev. proc. coll. 1993, p.106) ou encore la vente des immeubles d’un marchand de biens (Paris, 24 mai 1995, Rev. proc. coll. 1996, p.94) car dans ces différents cas, l’acquéreur n’entendait pas reprendre l’activité du cédant. Le maintien de l’activité a un double objectif social (préservation des emplois pour les citoyens) et économique (la rentabilité financière aussi bien pour l’état que pour le nouvel acquéreur).
Naturellement, un plan de sauvegarde ou de redressement serait mieux, pour que le chef d’entreprise continue à gérer ses affaires, reste à la tête de son entreprise qu’il a montée au prix de plusieurs sacrifices. Mais à défaut de ces solutions, le plan de cession s’impose. Car il permet le maintien en activité de l’entreprise, certes dans une autre main, mais il est de ce fait, préférable à un plan de liquidation, lequel est synonyme de la fin de sa vie. L’offre de reprise doit expressément indiquer les droits et les contrats ainsi que le niveau et les perspectives d’emploi en plus des prévisions d’activité et de financement (art. L. 642-2, al.3, 1°, 2° et 5°, C. com.). Le contrôle du respect de ces exigences est assuré par le tribunal qui ne doit retenir que l’offre qui assure le plus durablement possible le maintien des emplois attachés (art. L. 642-5, al. 1, C. com.). Et les débats se passent en présence du ministère public ( art. L. 642-5, al. 2, C. com.), garant de l’intérêt public et de la moralisation de la procédure, lorsque l’entreprise atteint un certain seuil.
En droit de l’OHDA, la précision que seuls les tiers, à l’exclusion de tout membre de la famille du débiteur personne physique et de toute personne proche de lui, sont habilités à présenter une offre de reprise, n’existe pas (sauf dans le cas de la cession globale d’actif dans le cadre de la liquidation des biens-art.160 et s.- ce qui ne rentre pas dans notre cadre d’étude ici car organisée hors concordat). La poursuite de l’activité (l’art. 112 AUPC parle de la poursuite des contrats à l’ouverture du redressement judiciaire. Mais le régime de ce dernier est distinct de celui de la cession d’entreprise. Le texte est -il alors valable dans notre cas d’étude ?) et par ricochet le maintien des emplois sont indiqués certes, mais de façon subsidiaire : c’est le débiteur qui, étant à l’initiative de l’opération (art. 27, AUPC), en détermine les biens à céder ; le syndic (l’administrateur judiciaire en France) en établit un état descriptif et la liste des emplois qui y sont attachés ( art. 131, al.4, AUPC.). L’offre de reprise doit-elle permettre un maintien ferme des emploi et ce aussi longtemps que possible ? D’autres perspectives d’emploi doivent-elles être indiquées ? Le futur acquéreur prévoit-il d’autres activités ou non ? Aucune indication claire et tranchante y afférente dans le cadre du concordat comportant cession partielle ou totale d’actif.
Cependant, des exigences fortes sont exprimées par rapport au prix de ce cession qui doit être important (art. 123, al.1, AUPC.) afin d’acquitter les créanciers notamment, ceux munis de sûretés réelles spéciales sur les biens cédés (art. 132, AUPC). Cela est une condition (art. 132, al. 2, 1°, AUPC.) pour l’homologation de la cession par la juridiction compétente. Toutefois, il est possible que les titulaires de ces créances renoncent à cette condition en acceptant de façon explicite qu’ils soient traités comme des créanciers chirographaires pour la partie non payée de leurs créances (art. 168, AUPC.).
De plus, le prix de cession est payé en totalité et au comptant, sauf si des délais de paiement n’excédant pas deux ans sont accordés et assortis d’une souscription obligatoire de cautionnement solidaire auprès d’une banque (art. 132, al. 2, 2°, AUPC.). Dans ce droit, le régime de la cession de l’entreprise en difficulté est distinct de celui du concordat de redressement judiciaire. La cession est votée par l’assemblée concordataire (les créanciers, art 132, AUPC) en fonction du prix à même de régler leurs créances. Cet abandon du choix de l’offre de reprise à la diligence des créanciers constitue une différence nette entre le droit de l’O.H.A.D.A et le droit français sur l’intérêt porté à l’activité et à l’emploi dans les offres de reprise d’une entreprise en difficulté.
Insuffisance rédactionnelle ou manque d’intérêt conscient à l’égard de la cession d’entreprise pour le législateur O.H.A.D.A ? Tout semble porter à croire que seul le prix de cession est exclusivement important comme dans une cession d’actif, mais non dans celle d’entreprise. A contrario, son homologue français relègue le paiement des créanciers au second plan en ce que la jurisprudence n’exige pas que tout le passif soit payé par le prix de cession (Versailles 9 juill. 1986, Gaz. Pal. 1986, II, p. 436, ; Aix-en-Provence 2 oct. 1986, D. 1987, somm. p.9 et 10 ; Toulouse, 16 févr. 1987, LPA, 1988, n°74, p.5 ; Trib. com. Paris 16 avr. 1986, Gaz. pal. 4/5 juin 1986 ; Trib. com. Nanterre 22 mai 1986, Gaz. pal.1986, 2, p.435). Les débats restent donc ouverts sur la question. L’autre point de divergence observable dans les deux droits réside dans l’obligation de poursuite des contrats en cours.
II. La divergence de priorité liée à la poursuite des contrats
Le maintien de l’activité ne peut s’entendre en dehors de la poursuite des contrats en cours aussi bien dans le droit de l’O.H.A.D.A que dans celui de la France. En droit de l’OHADA, il est indiqué que l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire n’emporte pas résiliation ou résolution des contrats en cours à l’exception des contrats de travail (art. 107, AUPC) ; que le syndic est seul fondé à exiger la poursuite de ces contrats (art. 108, AUPC). Dans ce dernier cas, le syndic doit fournir la prestation promise au cocontractant sous peine de l’inexécution des contrats aux conditions en vigueur au jour de l’ouverture de la procédure. Selon le Code de commerce français (art. L. 642-7, C. com.), le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens et de services nécessaires à la poursuite de l’activité et le jugement qui arrête le plan de cession emporte cession de ces contrats. Ces contrats sont exécutés aux conditions en vigueur à la date d’ouverture de la procédure (art. L. 642-7, al.3, C. com). Les contrats de travail sont automatiquement transférés (art. 1224-1, C. civ.), à l’exception toutefois des licenciements intervenus et du bail de l’ immeuble vendu (art. 1743, C. civ.), mais aussi du contrat d’assurance (Civ. 2e, 13 juill. 2005, Act. proc. coll. 2005/17, n° 18 ).
L’exécution de tous les autres contrats nécessaires à la poursuite de l’activité peut être demandée par le mandataire judiciaire (art. L. 621-28, C. com.). A la lumière de ces textes, il peut être remarqué que les dispositions du droit de l’O.H.A.D.A sont relatives à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire et ne prévoient pas expressément ces mesures dans la sous-section 2 traitant du « concordat comportant cession partielle ou totale d’actif », alors que celles de la France le sont autant pour le redressement que pour la cession de l’entreprise en difficulté. A partir de là, faut-il présumer que la poursuite des contrats n’est pas une priorité en droit de l’O.H.A.D.A ?
La question vaut tout son pesant d’or à cause du caractère autonome de la cession dans ce droit. En effet, bien que la cession fasse partie du concordat de redressement judiciaire (elle en est une mesure), les deux conventions n’obéissent pas au même régime juridique : il y a deux votes qui ont lieu en assemblée concordataire pour le choix de l’offre de cession d’une part et l’adoption du concordat lui-même d’autre part ; il y a également deux homologations qui ont lieu, l’une pour la cession et l’autre pour le concordat judiciaire. La remise en question d’une convention n’influe pas sur l’autre. Dans ces conditions, les dispositions relatives au redressement judiciaire sont-elles applicables par extension à la cession qui s’y organise ? La formulation de l’article 131, al. 4 du nouvel acte uniforme des procédures collectives le présume, mais là encore rien n’est explicite.
De toutes manières, la cession judiciaire des contrats en l’état actuel du droit de l’O.H.A.D.A apparaîtrait incohérente. En effet, les cocontractants auxquels on imposera la poursuite de ces contrats, sont membres de la masse des créanciers. Or, c’est cette masse qui, incorporée dans l’assemblée concordataire, décide du choix de l’offre de de reprise (donc décide si la cession passe ou non). Comment dans ces conditions peut-on espérer qu’ils votent favorablement une telle cession comportant des mesures contraignantes de poursuite des contrats en cours, ce d’autant que l’objectif recherché par la masse est le prix le plus élevé dans l’optique d’un paiement intégral des créances ? Chacun poursuivant l’objectif qui est le sien, on peut résumer cette étude comparative en disant ceci : l’offre de reprise est plus exigeante sur les questions d’emploi et de poursuite des contrats en France, en vue de la sauvegarde de l’entreprise qu’en Afrique (droit de l’O.H.A.D.A) où la cession d’actifs est favorisée en vue de payer les créanciers.
Les principales abréviations utilisées
Art. L. = article d’une loi
AUPC = acte uniforme des procédures collectives
C. civ. = Code civil
C. com. = Code de commerce
C. trav. = Code de travail
O.H.A.D.A = Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique
Discussions en cours :
Très intéressant Cher Docteur.cela nous permettra d’étudier notre thème de séminaire.merci beaucoup
M. Kourouma,
Vous avez fait une bonne étude de droit comparé. Je ne connais pas grand chose en droit, mais vu la qualité de la rédaction, le raisonnement et les justifications juridiques apportées à chaque affirmation, je me dois de vous féliciter et vous encourager. Pour un doctorant, c’est à encourager !
Je vous remercie de votre encouragement.