L’emprisonnement n’est pas toujours la solution pénale adaptée aux objectifs du droit pénal qui, essentiellement, visent la préservation des intérêts de la société (l’ordre social), la protection des intérêts des victimes des infractions et la sanction du délinquant pour son reclassement social.
Le législateur guinéen, à travers la loi N°2016/059/AN portant Code pénal, a opéré une innovation dans l’arsenal répressif en instaurant des peines de substitution à l’emprisonnement.
Appelées aussi « peines alternatives », les peines de substitution à l’emprisonnement prévues par le Code pénal sont le jour-amende, le travail d’intérêt général et la sanction-réparation.
Le présent article est exclusivement consacré à la sanction-réparation, exclusion faite des deux autres peines alternatives sus-évoquées qui feront l’objet d’autres articles.
L’instauration de cette peine alternative à un double intérêt. D’une part, elle permet, dans un certain nombre de cas limitativement énumérés par la loi, d’obtenir le rétablissement de l’ordre public troublé par l’infraction et la sanction du délinquant ;
Et d’autre part, elle permet la préservation des intérêts de la victime avec plus d’efficacité que les condamnations classiques.
Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur ce qu’est la sanction réparation, quelles sont ses conditions et modalités de mise en œuvre et quels en sont les avantages et difficultés de mise en œuvre pratique dans le contexte guinéen.
Pour répondre à ces différentes interrogations, nous mettrons d’abord en exergue la notion de sanction réparation, ses conditions et modalités de mise en œuvre(I) avant de s’intéresser aux avantages et difficultés d’application de cette peine dans le contexte guinéen (II).
I / Notion et mise en œuvre de la sanction-réparation.
Une parfaite application de la peine de sanction-réparation nécessite une bonne compréhension de la notion (A) et une maitrise de ses conditions et modalités de mise en œuvre (B).
A. Notion de sanction-réparation.
La sanction-réparation est définie à l’article 47 du Code pénal en ces termes « La sanction-réparation consiste dans l’obligation pour le condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixées par la juridiction, à l’indemnisation du préjudice de la victime ».
Il est aisé de remarquer que cette définition renvoie au contenu de la sanction-réparation plutôt qu’à sa nature.
Pour comprendre véritablement la nature de cette peine, il est important de se référer à sa situation dans le Code pénal. Une lecture de la structure de ce code nous permet de mettre en évidence que la sanction-réparation est traitée dans le paragraphe III de la sous-section IV consacrée aux peines alternatives de la section II portant sur les peines correctionnelles du chapitre I relatif aux peines applicables aux personnes physiques du titre III dédié aux peines et mesures de suretés du livre premier du Code pénal portant sur les dispositions générales.
Ainsi, pouvons-nous dire que la sanction-réparation est une peine correctionnelle se substituant à l’emprisonnement et applicable aux personnes physiques dans les cas prévus par la loi.
Cette définition nous renseigne d’abord sur la nature correctionnelle de la sanction-réparation. Donc elle ne peut être appliquée que lorsque l’infraction pour laquelle le prévenu est condamné constitue un délit, la matière criminelle étant bien évidemment exclue. Ensuite, elle nous permet de savoir que cette peine n’est applicable qu’aux personnes physiques. Cela résulte d’ailleurs de la cause même de l’instauration de cette peine qui se substitue à l’emprisonnement. Or seules les personnes physiques sont susceptibles de faire l’objet d’une condamnation à une peine d’emprisonnement. Les personnes morales sont donc exclues du champ d’application de la peine de sanction-réparation.
La peine de sanction-réparation n’est applicable que lorsque certaines conditions sont réunies et suivant certaines modalités (B).
B. Les conditions et modalités de mise en œuvre.
- Les conditions d’application de la sanction-réparation.
Les conditions d’application de la sanction-réparation sont prévues à l’alinéa 2 de l’article 47 du ode pénal qui dispose : « Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place ou en même temps que la peine d’emprisonnement, la peine de sanction-réparation ». Il en est de même lorsqu’un délit est puni à titre de peine principale d’une seule peine d’amende.
Il ressort clairement des dispositions de cet article que le domaine de la sanction-réparation est limité aux infractions punies d’une peine d’emprisonnement ou d’une peine d’amende seulement. En conséquence, les peines de réclusion criminelle à temps ou à perpétuité, ou de détention criminelle sont hors du champ de cette peine.
Aussi, faudrait-il préciser que le juge ne peut appliquer cette peine que lorsque la peine d’emprisonnement prononcée est égale ou inférieure à six (6) mois ou lorsque l’amende prononcée n’excède pas la somme de 5.000.000 GNF.
- Les modalités de mise en œuvre de la sanction-réparation.
Dans sa mise en œuvre, la réparation peut être faite en nature ou en numéraire.
C’est ce qui découle du moins, de l’alinéa 3 de l’article 47 précité qui dispose qu’
« avec l’accord de la victime et du prévenu, la réparation peut être exécutée en nature. Elle peut alors consister dans la remise en état d’un bien endommagé à l’occasion de la commission de l’infraction ; cette remise en état est réalisée par le condamné lui-même ou par un professionnel qu’il choisit et dont il rémunère l’intervention.
Il résulte également des dispositions du dernier alinéa de l’article 47 susvisé : que l’exécution de la réparation est constatée par le procureur de la République ou son délégué. Lorsqu’elle prononce la peine de sanction-réparation, la juridiction fixe la durée maximum de l’emprisonnement, qui ne peut excéder 6 mois, ou le montant maximum de l’amende, qui ne peut excéder 5.000.000 de francs guinéens, dont le juge de l’application des peines pourra ordonner la mise à exécution en tout ou partie dans les conditions prévues par l’article 1027 du Code de procédure pénale si le condamné ne respecte pas l’obligation de réparation. Si le délit n’est puni que d’une peine d’amende, la juridiction ne fixe que le montant de l’amende, qui ne peut excéder 5.000.000 de francs guinéens, qui pourra être mis à exécution. Le président de la juridiction en avertit le condamné après le prononcé de la décision ».
Il découle donc de ses dispositions que lorsque la réparation doit être faite en nature, le juge a l’obligation de recueillir l’accord de la victime et du prévenu. C’est seulement après s’être rassuré de la volonté de ces deux antagonistes que le juge peut mettre l’obligation de la réparation à la charge du prévenu. Cela est justifié par le fait que l’exécution des obligations découlant de la sanction-réparation requiert une certaine bonne foi qu’on ne peut obtenir que lorsque le prévenu y consent.
Aussi, l’obligation du condamné peut-il consister à la remise en état du bien endommagé à l’occasion de la commission de l’infraction. Cette remise en état est faite soit à la diligence du condamné lui-même ou par un professionnel dont il rémunère les services.
La remise en état est faite dans un délai et selon les modalités fixées par le juge qui prononce la peine de sanction-réparation.
A contrario, lorsqu’elle se fait en numéraire, le juge fixe également le délai qui peut s’étendre sur plusieurs échéances, et les modalités de paiement du montant retenu pour le dédommagement de la victime. Dans ce dernier cas, et à la grande différence des autres peines alternatives, l’obligation de recueillir le consentement de la victime et du prévenu n’est pas exigée par les dispositions de l’article 47. Cependant, il est peu commode, voir même imprudent pour un juge de prononcer la peine de la sanction-réparation sans avoir au moins un accord de principe entre le prévenu et la victime, puisque l’exécution de la réparation ne peut être effective sans la bonne volonté des parties.
En outre, il résulte de l’alinéa 2 de l’article 47 que le juge qui prononce la peine de sanction-réparation, la prononce soit à la place de l’emprisonnement ou en même temps que lui. Cela revient à dire que la sanction-réparation peut être prononcée seule sans aucune autre condamnation, ou s’ajouter à une peine d’emprisonnement prononcée simultanément.
A cet égard, faut-il rappeler que si la possibilité théorique de prononcer uniquement la peine de la sanction-réparation existe, en pratique cela parait sans intérêt puisque la peine d’emprisonnement qui est prononcée en même temps que la sanction-réparation, est celle dont la menace garantit l’exécution de la mesure. Donc, pour une efficacité pénale, il est fortement recommandé de prononcer la peine d’emprisonnement en même temps que la sanction-réparation. C’est d’ailleurs pour cette raison que le président audiencier a l’obligation d’avertir le condamné de la possibilité de l’application de la peine d’emprisonnement ou d’amende en cas de défaillance de sa part dans la réparation.
Enfin, il faut ajouter que le ministère public, chargé de l’exécution des peines prononcées par les juridictions répressives, est celui qui est chargé de constater l’exécution de la sanction-réparation. C’est donc soit le procureur de la République lui-même ou son délégué qui est raisonnablement l’un de ses substituts.
Lorsque le condamné n’accomplit pas les obligations mises à sa charge par le tribunal, le procureur doit constater cette inexécution et en avertir le juge de l’application des peines qui pourra ordonner la mise à exécution de la peine d’emprisonnement ou d’amende prononcée en même temps que la sanction-réparation par le tribunal correctionnel.
La peine de sanction-réparation telle qu’exposée ci-dessus, présentes des avantages certains, même si sa mise en œuvre souffre de quelques difficultés dans le contexte guinéen.
II / les avantages et difficultés de mise en œuvre de la sanction réparation dans le contexte guinéen.
La sanction-réparation étant une peine alternative à l’emprisonnement, elle présente des intérêts sociétaux certains (A), mais son application en République de Guinée révèle certaines difficultés qui méritent d’être soulignées (B).
A. Les avantages de la sanction-réparation.
- La lutte contre la surpopulation carcérale.
L’emprisonnement est la forme moderne du bannissement ou de l’ostracisation des sociétés anciennes précédant la nôtre. Son objectif est de mettre, une personne ayant violé les règles impératives de la société, hors de cette société en vue de la sanctionner et de lui permettre de réapprendre le respect de ces règles pour une meilleure réinsertion. Cependant, l’emprisonnement systématique, même pour des infractions mineures, peut aussi créer l’effet contraire en habituant des petits délinquants à la prison et en les endurcissant sans pour autant les corriger.
Ainsi, la sanction-réparation apparait comme une solution efficace permettant d’éviter une surpopulation carcérale inutile et d’obtenir une sanction adaptée. Cela est d’autant plus vrai qu’elle ne s’applique que dans le cas de certaines infractions mineures dont la peine ne dépasse pas 6 mois d’emprisonnement.
- Le rétablissement de l’ordre social.
Le rétablissement de l’ordre social est la première préoccupation de la justice pénale. Lorsqu’une personne commet une infraction, elle trouble par son fait l’ordre établi pour la bonne marche de la société. Il faut donc prendre des mesures pour rétablir l’ordre qui a été troublé par son action en l’empêchant d’abord de perpétuer le trouble (arrestation par exemple) et en le sanctionnant.
Cependant, pour certaines infractions, l’intérêt de la poursuite n’est autre que la préservation des intérêts de la victime.
La sanction-réparation, en mettant le condamné face à ses responsabilités en le condamnant à réparer le dommage qu’il a causé à la victime, rétablit l’équilibre social rompu par son comportement.
- La sanction du délinquant.
L’un des objectifs de la peine, tel qu’indiqué à l’article 25 du Code pénal, est la sanction du délinquant. L’infraction étant considérée comme une atteinte à une valeur sociale protégée, la vengeance privée étant bannie, la société apporte une réponse pénale au comportement de toute personne qui manifeste une hostilité aux valeurs qu’elle défend. C’est la peine.
La peine qui doit être distinguée de la sanction civile, doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction. Ainsi, dans le cadre de la sanction-réparation, lorsque le condamné écope d’une peine n’excédant pas six (6) mois d’emprisonnement avec la promesse qu’il n’ira pas en prison s’il répare le préjudice qu’il a causé à la victime, il est doublement sanctionné. D’une part, il y a une constante présence du risque d’aller, à tout moment, en prison. Ce qui est psychologiquement troublant pour le condamné ; Et d’autre part le fait pour lui d’indemniser la victime est une sanction qui lui rappelle que l’on ne porte pas atteinte aux intérêts des autres membres de la société impunément.
- La préservation des intérêts de la victime.
Ce qu’une victime d’infraction cherche dans la procédure pénale en se constituant partie civile est la réparation du dommage qu’elle a subi. Elle n’a aucun intérêt de voir le prévenu condamné à une peine d’emprisonnement alors que ce dernier ne peut l’indemniser en étant écroué. C’est pourquoi, la sanction-réparation, en faisant penché au-dessus de la tête du condamné l’épée de Damoclès de la peine d’emprisonnement prononcée en même temps qu’elle, met une pression énorme sur le condamné afin qu’il s’acquitte des obligations mises à sa charge par le tribunal.
Cette pression, généralement, fait que les condamnés exécutent très rapidement les obligations définies par le tribunal pour éviter la révocation de la mesure et leur emprisonnement.
Alors que lorsqu’une condamnation classique (emprisonnement et condamnation civile) est prononcée, le condamné est obligatoirement incarcéré. Ce n’est peut qu’à sa sortie de prison que la partie civile pourra faire exécuter la décision à son encontre en faisant recours aux services d’un huissier. Et ce, à condition que le condamné dispose de biens saisissables. Cette procédure peut être fastidieuse pour la partie civile qui, pourtant a gagné son procès.
Bien que présentant ces divers avantages, l’application de la sanction réparation n’est pas sans soulever des difficultés dans le contexte guinéen (B).
B. Les difficultés liées à l’application de la sanction-réparation dans le contexte guinéen.
- Le risque de fuite du condamné.
En Guinée, le problème lié au non-adressage des villes est un véritable casse-tête pour les autorités judiciaires. Parfois, même quand celles-ci estiment qu’eu égard à la gravité des faits et aux intérêts en jeu, il ne leur parait pas essentiel de détenir une personne poursuivie, l’absence de moyens efficaces de détermination de l’adresse de la personne poursuivie, par conséquent sa garantie de représentation, les poussent à opter pour le placement en détention.
Dans le cas de la sanction-réparation, le même risque de fuite du condamné est à redouter. Car, lorsqu’un condamné de mauvaise foi est libre de ses mouvements, il est fort probable que celui-ci prenne la poudre d’escampette en mettant en péril les intérêts de la victime et même ceux de la société, puisqu’il est plausible qu’il reprenne le même comportement incriminé ailleurs.
L’existence d’un moyen permettant pour l’autorité judiciaire d’avoir un œil sur les différents déplacements du condamné pourrait remédier à cette insuffisance.
Discussion en cours :
Merci d’avoir fait publier cet article sur le Droit Pénal guinéen que j’ai beaucoup apprécié tant par sa forme que son contenu qui sont très riches.
Cependant, contrairement à l’affirmation de son auteur, selon laquelle, la peine sanction-réparation ne serait pas applicable aux personnes morales et que cette peine ne serait exclusivement applicables qu’aux personnes physiques et en matière correctionnelle, il y a lieu de relever que la peine sanction-réparation fait et bien partie des peines contraventionnelles applicables aux personnes morales.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article 86 du Code Pénal guinéen en ses dispositions intitulées <
Dans l’espoir de voir l’auteur de,l’article prendre en compte les observations sus relevées, je vous de croîre en l’assurance de mes sentiments dévoués .
Me Lanciné SYLLA
Avocat au Barreau de Guinée