À côté de la voie pénale, le droit civil prévoit que, sous réserve du respect de certaines conditions, il est possible de demander l’annulation ou la modification de tels engagements défavorables.
Ainsi, le Code civil prévoit des mécanismes généraux qui s’appliquent à tous ainsi que des mécanismes spécifiques qui s’appliquent uniquement en faveur des personnes qui font l’objet d’une mesure de protection juridique (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, mandat de protection future, etc.).
Il arrive fréquemment qu’un proche vulnérable signe un acte juridique qui lui est défavorable.
Or, le droit prévoit qu’il est parfois possible d’en demander son annulation ou sa modification.
Plusieurs mécanismes sont ainsi prévus :
- Certains s’appliquent de manière générale
- D’autres s’appliquent uniquement en faveur des personnes qui font l’objet d’une mesure de protection juridique (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, mandat de protection future, etc.).
En conséquence, une pratique se développe de plus en plus : lorsqu’une personne vulnérable a conclu un acte juridique défavorable (par exemple, dans le cadre d’une arnaque amoureuse), son entourage va introduire auprès du juge une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection (tutelle, curatelle, etc.) afin de pouvoir bénéficier des mécanismes favorables applicables aux majeurs protégés.
I - Les principaux mécanismes généraux permettant de faire annuler l’engagement pris par un proche vulnérable.
A - Les vices du consentement pour l’annulation d’un contrat ou d’une libéralité.
Dans le cadre d’une libéralité [1] ou d’un contrat [2], le consentement des parties doit être valable : il ne doit pas être vicié. L’erreur, le dol et la violence peuvent être de nature à vicier le consentement d’une des parties, lorsque sans eux, la personne n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions très différentes.
S’agissant de l’erreur, elle doit porter sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant, c’est-à-dire les qualités que les parties ont désignées comme étant essentielles et pour lesquelles elles ont justement contracté [3].
Attention : l’erreur induite par une appréciation économique inexacte n’est pas une cause de nullité [4].
Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres, des mensonges ou une dissimulation intentionnelle [5].
Attention : lorsqu’un dol entraîne l’erreur de la personne vulnérable, alors cette erreur peut justifier l’annulation ou la modification du contrat, même si elle porte sur une mauvaise appréciation économique [6].
Enfin, s’agissant de la violence, elle est reconnue « lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » [7].
Attention : si la violence physique peut être facile à prouver (par exemple, des blessures constatées par un médecin), la violence psychologique peut être plus difficile à démontrer.
L’existence d’un vice du consentement est en principe sanctionnée par le juge par la nullité de l’acte [8].
B - L’insanité d’esprit pour l’annulation d’un acte.
Le premier alinéa de l’article 414-1 du Code civil dispose que « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit ».
Si une personne n’est pas saine d’esprit lorsqu’elle conclut l’acte juridique, on considère alors que son consentement n’a jamais existé.
La jurisprudence définie l’insanité d’esprit comme toute affection mentale par l’effet de laquelle l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée [9].
Attention : dans le cadre de cette action en nullité, il conviendra de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. Toutefois, la jurisprudence admet depuis longtemps que cette preuve peut être rapportée par présomption. C’est par exemple le cas lorsqu’un testament a été réalisé alors que la personne se trouvait déjà dans les conditions justifiant une mise sous tutelle [10].
De son vivant, cette action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé. Après sa mort, les actes faits par l’intéressé (autres que la donation entre vifs et le testament) ne peuvent être attaqués par ses héritiers pour insanité d’esprit que dans certains cas précis [11] :
- Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental
- S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice
- Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.
Attention : l’action en nullité s’éteint par le délai de cinq ans [12].
C - La lésion en matière de vente immobilière.
L’article 1674 du Code civil dispose que « si le vendeur a été lésé de plus de 7/12 dans le prix d’un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente… ».
En pratique : la preuve de la lésion ne pourra être admise que par le juge, et seulement si les faits allégués sont assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion [13].
Il faudra en outre prouver la lésion par un rapport de 3 experts [14].
Si l’action en rescision est admise, l’acquéreur peut soit rendre le bien et récupérer le prix qu’il a payé, soit garder le bien en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total [15].
Attention : l’action en rescision pour cause de lésion se prescrit dans un délai de 2 ans à compter du jour de la vente [16].
II - Les principaux mécanismes spécifiques permettant de faire annuler l’engagement pris par un majeur protégé.
A - La protection des personnes sous tutelle ou curatelle.
L’article 465 du Code civil prévoit qu’à compter de la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection (tutelle, curatelle renforcée, curatelle aménagée, curatelle simple), les actes irréguliers accomplis par le majeur protégé sont sanctionnés dans les conditions suivantes.
D’abord, si la personne protégée a accompli seule un acte qu’elle pouvait faire sans l’assistance ou la représentation de la personne chargée de sa protection, l’acte peut être rescindé pour simple lésion ou réduit en cas d’excès dans les conditions prévues à l’article 435 du Code civil.
Ensuite, si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l’acte ne peut être annulé que s’il est établi que la personne protégée a subi un préjudice.
Enfin, si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être représentée, l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
En pratique : le curateur ou le tuteur peut être autorisé par le juge à engager seul les actions en nullité, en rescision et en réduction présentées ci-dessus.
Attention : l’action s’éteint dans un délai de cinq ans à compter du jour où le majeur protégé ou les héritiers ont connu (ou auraient dû connaître) les faits permettant d’exercer l’action.
B - La protection associée à la sauvegarde de justice et au mandat de protection future.
Le Code civil prévoit également un mécanisme permettant aux actes passés par les personnes sous sauvegarde de justice et celles faisant l’objet d’un mandat de protection future d’être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès.
Ainsi, s’agissant de la sauvegarde de justice, c’est l’article 435 du Code civil qui prévoit que les actes passés par une personne sous sauvegarde de justice « peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès ». Il est en outre prévu que le juge prend « notamment en considération l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté ».
S’agissant du mandat de protection future, c’est l’article 488 du Code civil qui dispose que les actes passés par une personne faisant l’objet d’un mandat de protection future « peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès ».
Attention : contrairement à la lésion en matière immobilière, il n’existe pas de ratio pour qualifier la lésion. La proportion du préjudice est laissée à la libre appréciation au juge.
Attention : l’action en rescision ou en réduction n’appartient qu’au majeur protégé et, après sa mort, à ses héritiers. Elle s’éteint dans un délai de cinq ans à compter du jour où le majeur protégé ou les héritiers ont connu (ou auraient dû connaître) les faits lui permettant d’exercer l’action.
C - La « période suspecte » pour les majeurs protégés.
L’article 464 du Code civil prévoit une période, souvent appelée « suspecte », pendant laquelle les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. Cette période suspecte concerne les deux années ayant précédé la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection (tutelle, curatelle renforcée, curatelle aménagée, curatelle simple).
Attention : le délai de prescription de cette action en nullité est de cinq ans, à compter de la date du jugement d’ouverture de la mesure.