A la suite d’un accident, un homme de 42 ans est pris en charge par les services de secours et décède une semaine plus tard à l’hôpital.
Sa femme initie une procédure devant la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) afin de comprendre ce qu’il s’est passé dans la prise en charge de son mari et voir son préjudice et celui de ses enfants mineurs indemnisés.
A la suite de l’expertise, l’établissement hospitalier, auquel les services de secours étaient rattachés, est reconnu responsable de fautes dans la prise en charge du patient, ayant contribué à son décès.
Conformément à la procédure applicable devant la CCI, celle-ci invite l’assureur de l’établissement hospitalier à formuler une proposition d’indemnisation à la requérante, agissant en son nom et en celui de ses enfants.
L’assureur adresse un courrier à la requérante, valant offre, lequel sera considéré par celle-ci comme d’évidence inacceptable, les montants proposés étant dérisoires.
Considérant qu’elle n’a d’autre choix, elle saisit le juge administratif en indemnisation de son préjudice et de celui de ses enfants.
A cette occasion, elle formule une demande d’indemnisation à l’encontre de l’assureur pour offre manifestement insuffisante, en sollicitant le bénéfice des dispositions de l’article L1142-14 du Code de la Santé Publique lequel dispose en son neuvième alinéa
« si le juge compétent, saisi par la victime qui refuse l’offre de l’assureur, estime que cette offre était manifestement insuffisante, il condamne l’assureur à verser à l’office l’ONIAM une somme au plus égale à 15% de l’indemnité qu’il alloue, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime ».
Le Tribunal administratif de Versailles ne fait pas droit à cette demande, considérant que l’application de cet article relève de l’office du juge et que le bénéfice de l’indemnité, à laquelle l’assureur pourrait être condamné, serait réservé à l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux).
La Cour administrative d’appel de Versailles n’y fait pas plus droit considérant que seul l’ONIAM serait en droit de faire cette demande et qu’en tout état de cause ce préjudice aurait déjà été indemnisé au titre du préjudice moral de la requérante.
Le Conseil d’Etat censure les premiers juges et dit qu’il appartient au juge
« s’il est saisi de conclusions en ce sens par la victime ou ses ayants droit, et s’il estime que l’offre d’indemnisation faite par l’assureur de l’établissement de santé responsable du dommage était manifestement insuffisante, de condamner l’assureur au paiement d’une indemnité destinée à réparer les préjudices ayant résulté directement pour la victime ou ses ayants droit de ce caractère manifestement insuffisant. Ce préjudice est constitué par le fait, pour la victime ou ses ayants droit, de s’être vu proposer une offre d’indemnisation manifestement insuffisante au regard du dommage subi et d’avoir dû engager une action contentieuse pour en obtenir la réparation intégrale en lieu et place de bénéficier des avantages d’une procédure de règlement amiable ».
Le Conseil d’Etat insiste sur le caractère autonome de ce préjudice, distinct du préjudice moral, qui de ce fait doit être réparé uniquement par l’assureur, et non par l’établissement de santé.
La décision du Conseil d’Etat était porteuse d’espoir.
Devant la Cour d’appel de renvoi de Versailles, la requérante a pris soin de souligner le préjudice résultant du manque de considération de l’assureur qui vient ajouter une forme d’insulte à la peine ; mais aussi la défaillance de l’assureur à endosser son rôle au moment où la victime en a le plus besoin (c’est-à-dire quand il faut reconstruire et repenser toute sa vie) ; et enfin la souffrance morale d’avoir à engager et de rester plongée si longtemps dans une procédure judiciaire (l’arrêt de renvoi est rendu 11 ans après la saisine de la CCI).
Si la cour administrative d’appel de renvoi entérine la décision du Conseil d’Etat et juge l’offre de l’assureur manifestement insuffisante, soulignant que cette offre a été à l’origine d’une souffrance morale ayant contraint la requérante à engager une longue procédure alors qu’elle aurait souhaité bénéficier d’une procédure d’indemnisation accélérée, elle condamne l’assureur à la somme de 2 000 Euros.
En premier lieu, on se réjouit que la juridiction administrative, qui n’est pas le juge naturel de ce contentieux indemnitaire lequel met en cause le comportement distinct de l’assureur, ait étendu sa compétence au bénéfice d’une cohérence globale, évitant de complexifier les démarches de la requérante au risque d’une divergence entre les deux ordres de juridiction.
En second lieu cependant, le caractère dérisoire de cette indemnité nous pousse à interroger le message véhiculé par la juridiction. Si l’on considère que le curseur décisionnel du juge administratif se doit d’être celui de l’intérêt général, on ne peut que questionner le sens d’une décision qui fait peser sur l’assureur le risque d’une condamnation aussi faible, symbolique, manifestement insuffisante.
Dans le même temps, et au-delà de la difficile question de la valorisation d’un préjudice, la modicité des sommes allouées interroge sur sa grille d’appréciation.
Du point de vue de l’avocat, cette décision consacre le fait que pour l’assureur le bénéfice de l’inertie est plus grand que celui de la prise de responsabilité. Si tel est le « prix » du mépris et de l’incurie, il ne nous semble pas qu’il appelle à un comportement vertueux. Les compagnies d’assurance pratiquant cette politique peuvent continuer tranquillement, en sachant en outre que la plupart des victimes n’ont ni l’énergie, ni les fonds pour porter ce type de combat.
Du point de vue du médiateur, et à l’époque où les politiques publiques tendent à valoriser les règlements non judiciaires des différends en vantant notamment leur rapidité, le désengorgement des tribunaux et l’économie ainsi réalisée par l’Etat, il ne nous semble pas que la sanction prononcée par le juge administratif à l’égard de l’assureur récalcitrant aille dans le sens souhaité.
Discussion en cours :
Un très grand Merci pour la divulgation de cet arrêt, où le Conseil d’Etat retient en filigrane que quel que soit notre statut, nous sommes des êtres vivants et qu’à ce titre nous méritons un minimum de considération ...
Ajouter de la souffrance à la souffrance soit être bien évidemment sanctionné, ne serait-ce dans l’intérêt général et pour un meilleur vivre ensemble.
A cet égard et pour une juridiction qui serait dans le déni, les fondements juridiques ne manquent pas, dont au premier chef la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la chartre européenne des droits fondamentaux ...