Ce nouveau statut juridique se situe à mi-chemin entre le statut d’entrepreneur individuel classique et l’EURL en ce qu’il permet à l’entrepreneur qui l’adopte d’affecter les biens nécessaires ou utiles à son activité professionnelle dans un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, ce patrimoine d’affectation devenant seul gage des « créanciers professionnels » dont la créance est née après l’adoption de ce statut.
Ce statut est entré en vigueur depuis le 10 décembre 2010, date de publication de l’ordonnance n°2010-1512 du 9 décembre 2010 adaptant la législation applicable en matière de préventions et de procédures collectives au statut de l’EIRL.
En outre, le dispositif légal a été complété par un décret n°2010-1706 et un arrêté du Garde des Sceaux, tous deux datés du 29 décembre 2010.
I. DÉCLARATION D’AFFECTATION
Pour adopter ce statut, l’entrepreneur devra effectuer une simple déclaration d’affectation auprès d’un registre de publicité légale (tenu selon l’activité des entrepreneurs concernés par le greffe du Tribunal de Commerce, la Chambre des métiers, la Chambre d’Agriculture, etc...).
Cette déclaration doit comporter un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l’activité, en détaillant la nature, la qualité, la quantité et la valeur.
Dans l’hypothèse où un bien immobilier doit être affecté, une publication complémentaire doit être effectuée auprès du Bureau des Hypothèques après réception d’une déclaration faite par acte notarié.
Il est précisé que lorsque la valeur d’un élément d’actif affecté dépasse un montant de 30.000 euros (article D.526-5 C.com), celui-ci doit faire l’objet d’un rapport, établi sous sa responsabilité par un commissaire aux comptes, un expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité, ou un notaire (si le bien est immobilier) désigné par l’entrepreneur individuel, qui sera annexé à la déclaration.
Il convient également de préciser qu’en cas de modification de la composition du patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devra effectuer une déclaration complémentaire.
Pour éviter toute confusion entre les différents patrimoines d’un même individu, l’entrepreneur devra ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à l’activité afférente au patrimoine d’affectation concerné.
II. EFFET JURIDIQUE
1. Statut
Le statut de l’EIRL va permettre à l’entrepreneur qui l’a adopté d’affecter à son patrimoine professionnel les biens nécessaires ou utiles à son activité professionnelle, tout en mettant à l’abri de ces créanciers professionnels son patrimoine personnel.
Ainsi, le gage des créanciers professionnels, c’est-à-dire les créanciers dont la créance est née à l’occasion de l’activité professionnelle, sera composé des seuls biens affectés au patrimoine professionnel. Il est néanmoins précisé que les créanciers personnels (dont les créances sont étrangères à l’activité professionnelle) pourront exercer leur droit de gage sur le bénéfice réalisé par l’entrepreneur dans le cadre de son activité lors du dernier exercice clos, étant considéré comme perçu par le patrimoine personnel.
Cela permet ainsi de compartimenter les « gages » d’un individu en fonction de son rôle, c’est-à-dire selon qu’il agit en tant que particulier, ou en tant que professionnel.
De surcroît, il convient de noter qu’un entrepreneur peut déclarer autant de patrimoines d’affectation qu’il a d’activités professionnelles.
Il est précisé que le statut d’EIRL peut coexister avec le dispositif d’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel.
Le statut de l’EIRL trouve toutefois une limite dans les articles L.133-4-7 du Code de la Sécurité Sociale et 273B du Livre des procédures fiscales qui prévoient l’inopposabilité pure et simple de l’affectation aux administrations concernées en cas de manœuvres frauduleuses ou inobservations répétées rendant impossibles le recouvrement des impositions, cotisations, contributions sociales, pénalités et majorations afférentes dont l’entrepreneur est redevable au titre de l’activité à laquelle le patrimoine est affecté. Dans ce cas, le recouvrement desdites sommes pourra s’effectuer sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur.
On peut en outre s’interroger quant aux limites du statut dans l’hypothèse où les biens mis en gage ne suffiraient pas à satisfaire certains créanciers. Il nous semble inévitable, par exemple, que les établissements de crédits demandent à l’entrepreneur la mise en place de garanties personnelles pour combler l’éventuelle faiblesse du gage professionnel.
2. Transfert
L’entrepreneur a la faculté de transférer le patrimoine affecté à son activité professionnelle, lequel patrimoine est maintenu en l’état au niveau du cessionnaire ou du donataire si celui-ci est une personne physique.
Le transfert du patrimoine d’affectation doit s’accompagner d’une déclaration de transfert et d’une publicité au BODACC dans le mois du transfert (article R.526-13 C.com). L’article L.526-17 du Code de commerce requiert un avis accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés sous peine d’inopposabilité du transfert vis-à-vis des tiers.
Il convient de noter que dans l’hypothèse où le transfert n’est que partiel, l’entrepreneur devra en outre effectuer une déclaration rectificative concernant son patrimoine afin de mettre à jour l’état des biens qui composent le gage de ses créanciers professionnels.
Il est noté en outre que dans l’hypothèse où le patrimoine d’affection comporte un fonds de commerce (qui peut en être l’unique élément le composant), les dispositions applicables en matière de cession de fonds de commerce sont écartées.
La cession du patrimoine d’affectation entraîne la substitution pure et simple de débiteur.
L’article L.526-17, alinéa 4 du Code de commerce, prévoit un système de protection des créanciers du patrimoine d’affection transféré en leur octroyant un droit d’opposition exerçable pendant le délai d’un mois courant à compter de la publication de l’avis au BODACC (article R.526-14 C.com). Il est précisé que l’opposition n’aura pas pour effet d’interdire le transfert mais seulement de rendre le transfert inopposable au créancier opposant.
3. Entreprises en difficulté
L’ordonnance du 9 décembre 2010 a adapté le Livre VI du Code de commerce relatif à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises au statut de l’EIRL.
Cela signifie qu’un entrepreneur pourra, selon le patrimoine considéré, bénéficier des mesures de traitement de surendettement -patrimoine personnel - ou des mesures de prévention et de procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire) - patrimoine professionnel.
Il est à noter que, potentiellement, il peut y avoir autant de procédures qu’il y a de patrimoines d’affectation.
III. ANÉANTISSEMENT DE L’AFFECTATION
L’article L.526-25 du Code de commerce prévoit le principe de la cessation de l’affectation par suite du décès de l’entrepreneur. Dans ce cas, mention du décès doit être portée sur le registre compétent par un héritier, un ayant-droit, ou toute personne mandatée à cet effet.
L’article L.526-16 du Code de commerce permet néanmoins le maintien de l’affectation par l’héritier ou l’ayant-droit en cas de reprise de l’activité professionnelle, sous réserve du respect des dispositions successorales. Dans ce cas, il conviendra de procéder au dépôt d’une déclaration de reprise du patrimoine d’affectation dans le cadre du règlement de la succession de l’entrepreneur décédé.
L’anéantissement de l’affectation peut également découler de la renonciation par l’entrepreneur au statut, étant précisé que cette renonciation ne peut être ponctuelle.
Par suite de la cessation de l’affectation, cette dernière continue néanmoins de produire ses effets à l’égard des créanciers dont les créances sont nées durant la période d’affectation.
En tout état de cause, l’article L.526-12, alinéa 6 prévoit la négation totale de l’affectation en cas de fraude ou de faute de l’entrepreneur.
IV. RÉGIME COMPTABLE, FISCAL ET SOCIAL
1. Régime comptable
L’activité professionnelle attachée au patrimoine d’affectation doit faire l’objet d’une comptabilité autonome, conformément aux articles L.123-12 à L.123-23 et L.123-25 à L.123-27 du Code de commerce, sauf dans l’hypothèse où l’entrepreneur bénéficie d’un des régimes définis aux articles 50-0, 64 et 102 ter du Code Général des Impôts portant obligations comptables simplifiées.
2. Régime fiscal
Le principe est la soumission de l’EIRL à l’impôt sur le revenu dans la catégorie concernée selon l’activité exploitée (BIC, BNC, BA).
Toutefois, il est possible pour l’entrepreneur d’opter à l’IS, ce qui représente un avantage évident dans l’hypothèse où le taux d’imposition sur le revenu dépasse le taux de l’IS, à savoir 15% jusqu’à 38.120 € puis 33,1/3% au-delà.
3. Régime social
Le calcul des cotisations sociales dépend du régime fiscal de l’EIRL. Ainsi, si l’EIRL est à l’IR, ses cotisations seront calculées sur la même assiette que tous les entrepreneurs individuels. En revanche, si l’EIRL a opté à l’IS, les cotisations seront calculées sur la base de la rémunération que l’entrepreneur se verse. Sera également soumis à cotisation dans cette dernière hypothèse la part des revenus distribués excédant 10% du montant de la valeur des biens du patrimoine d’affectation constaté en fin d’exercice ou 10% du montant du bénéfice net si ce dernier est supérieur (un décret viendra préciser les modalités d’application de ces dispositions).
V. CONCLUSION
Cette innovation juridique, qui a été adoptée en réponse aux attentes de certains juristes, nous paraît constituer un système d’organisation patrimoniale professionnelle confus.
En effet, l’EIRL, à trop vouloir emprunter à la fois au statut de l’entrepreneur individuel et à l’EURL, risque de perdre le « consommateur » tant on ne sait plus dans quelle mesure l’étanchéité accordée au patrimoine d’affectation ne caractérise pas l’existence d’une personne morale, laquelle serait une sorte d’excroissance de l’entrepreneur individuel, personne physique.
Cette confusion est d’autant plus accentuée que l’EIRL a la possibilité d’opter à l’IS, option qui jusqu’à aujourd’hui faisait l’apanage des personnes morales !
Finalement, après examen de ce dispositif, on s’interroge sur l’opportunité de choisir une forme juridique hybride qui ne semble pas apporter d’avantages particuliers significatifs par rapport à l’EURL, forme juridique bien connue.
On sera ainsi tenté d’inviter à l’utilisation d’un système juridique bien « rodé » plutôt qu’un système nouveau et inconnu qui n’offre pas plus que le premier et où il faudra tout réinventer.
Julien Passemard
Avocat à la Cour