La multidisciplinarité, pratiquée depuis des années dans le domaine des sciences de l’environnement, pourrait être développée avec succès dans le droit de la famille, notamment pour les procédures concernant la protection de l’enfant lors des séparations parentales. Ces situations très ordinaires, prennent parfois des développements dramatiques qui devraient appeler, pour leur résolution, les différents professionnels à travailler plus en coopération transdisciplinaire selon le principe de subsidiarité. Dans tous les cas, les réponses techniques doivent satisfaire un certain nombre de critères : elles doivent être efficaces, acceptées et acceptables pour ceux qui les financent et pour ceux à qui elles sont destinées, et respecter les textes et les paradigmes en vigueur.
Une analyse systémique des situations complexes
Dans des situations environnementales difficiles, la réponse judiciaire n’est pas toujours suffisante, même en présence d’une demande de régulation institutionnelle très forte du grand public et des parties prenantes. Les conflits peuvent se multiplier avec un facteur d’échelle : conflits entre individus, conflits d’intérêts entre institutions, systèmes décisionnaires interférents, et surtout conflits entre des droits fondamentaux, qui vont poser de façon criante le problème de la priorité et de l’arbitrage.
Ces situations, quand elles entraînent des préjudices, posent le problème de la responsabilité des différents intervenants et l’éventuelle indemnisation des victimes. Ces questions sont plus ou moins faciles à résoudre dans un cadre juridique contraignant. Elles le sont nettement moins en absence de contrainte juridique et de responsabilisation, le respect des normes et des lois relevant alors d’une libre adhésion des parties.
Dans les procédures de séparation parentale très conflictuelles, l’intérêt supérieur de l’enfant devient un concept flou utilisé au gré des interprétations et des convictions. La justice, qui n’est plus jugée sur son application de la loi mais sur ses résultats, fait appel à des professionnels qui n’en ont pas la contrainte. Le respect des droits de l’enfant, et de l’autorité parentale, tels que spécifiés notamment dans la loi du 4 mars 2002, relèvent en partie de la libre adhésion des deux parents. Une analogie avec des problèmes de santé environnement (ex.pesticides), amène à conclure à des phénomènes émergents relativement récents dans notre paysage sociétal, dont les conséquences en terme de santé publique n’ont pas été anticipées, et qui présentent un risque pour l’ensemble de la société, avec des effets négatifs potentiels sur plusieurs générations, et des coûts très élevés, largement externalisés jusqu’à présent.
Justice, violence et familles
L’augmentation des violences intrafamiliales, de la délinquance des mineurs sous toutes ses formes, ainsi que du phénomène de bandes deviennent une réelle préoccupation. Les sociologues y voient, entre autres, l’effet de très nombreux divorces et séparations, ainsi que le résultat de la dégradation des liens entre les jeunes et les adultes.
De gauche à droite, Mireille Lasbats (psychologue clinicienne expert), Dominique Attias (avocat), Roland Broca (psychiatre expert), Olga Odinetz (chercheur), Giuseppe Barletta Caldarera (avocat, INTERCENTER) et Eric Meillan (AFDD).
Malgré une majorité de divorces par consentement mutuel, de plus en plus d’enfants perdent le contact avec l’un de leurs deux parents, et les procédures judiciaires les plus acharnées portent sur leur résidence. Dans des situations extrêmes, l’enfant peut être séquestré, enlevé, voire même assassiné par un parent, qui préfère détruire physiquement son propre enfant que de reconnaître l’existence parentale de son ex-conjoint.
Les affaires familiales font appel à une justice pas comme les autres. En mettant leur histoire personnelle privée dans l’arène publique institutionnelle sous forme de litige dans une procédure de dossier, les parents en difficulté de séparation, se retrouvent rapidement face à un véritable système médico-socio-judiciaire, dont la complexité échappe à la majorité des justiciables. A l’instar d’autres systèmes complexes, il est porteur de concepts contradictoires et souffre d’un certain nombre de points de blocage, qui sont l’objet de contrôle de routine dans le domaine de l’environnement. On constate ainsi un état des lieux difficile, des dispositifs hétérogènes et peu fiables, une communication réduite, un cloisonnement des services, une absence de suivi, une absence de responsabilisation, l’impunité du mensonge, un coût élevé des services, l’absence de dynamique participative et des processus de non- contradiction. .
Chiffres et questions scientifiques
Se pose évidemment la triple question du nombre des séparations parentales très conflictuelles, pour lesquelles la réponse judiciaire actuelle n’est pas adaptée, de leur évolution dans le temps et de leurs conséquences directes et à terme, au niveau individuel, familial et sociétal. L’un des rares indicateurs qui permette de prendre en compte, sur le plan judiciaire, cet éclatement familial à la séparation des parents, est le nombre de délits de non présentation d’enfants, enregistrés sous forme de plaintes (26.909 procédures en 2006, soit une progression de + 2,36% sur 12 mois), ou de mains courantes (143.874 procédures en 2006, soit + 15%). Ces chiffres, qui sous-estiment largement le nombre de victimes, soulèvent à la fois une question de justice et de société, et ne permettent en rien de répondre à la problématique soulevée.
Reconnaissance du syndrome d’aliénation parentale par la Cour européenne des Droits de l’Homme
Lors d’une séparation conflictuelle, un parent peut prendre son enfant en otage, et le soumettre à un chantage psychologique, ou à la violence physique, pour l’amener à se détacher de son autre parent. Prisonnier d’une relation d’emprise, l’enfant va tenir alors des propos insensés, voire même de graves accusations mensongères, en profonde discordance avec la réalité des faits, pour rejeter son autre parent avec violence jusqu’à sa destruction psychologique. On appelle syndrome d’aliénation parentale, ce processus d’emprise et de manipulation qui va amener l’enfant à rompre tout lien affectif avec l’un de ses parents ainsi qu’avec tout l’environnement familial de celui-ci.
Il s’exprime sous la forme de huit manifestations bien identifiables : (1) campagne systématique de rejet, de diffamation contre le parent rejeté, (2) rationalisation absurde, (3) absence d’ambivalence normale, (4) prise de position systématique pour le parent manipulateur, (5) extension des hostilités à toute la famille et entourage du parent rejeté, (6) revendication d’une « opinion personnelle », (7) absence de culpabilité et cruauté envers le parent rejeté et (8) adoption de scénarios empruntés.
Le syndrome d’aliénation parentale est en passe d’être inclus dans le DSMV.
La Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg (CEDH) en a fait état de façon explicite dans l’affaire Koudelka c.République Tchèque (n°1633/05), ainsi que dans l’affaire Zavril c.République Tchèque (n°14044/05), en réponse à des requêtes pour violation allégée de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
En France, un certain nombre de psychologues et de psychiatres nommés par les tribunaux font référence au SAP dans leurs rapports d’expertise, et quelques rares magistrats se sont alignés sur la CEDH en reprenant explicitement ces diagnostics pour les inclure dans leurs décisions et les motiver.
Des solutions alternatives de résolution des conflits familiaux
Les séparations parentales et les divorces très conflictuels font l’objet depuis quelques années d’une préoccupation toute spéciale dans de nombreux pays occidentaux, du fait de leur nombre croissant et du coût social énorme que ce phénomène entraîne, en terme de prise en charge juridique, de soins médicaux, de comportements à risque, de délinquance et de chômage.
Dans ce domaine, le système judiciaire français souffre d’une double carence :
Il n’existe pas dans notre pays de politique suffisante de prévention des conflits parentaux aigus autour de l’enfant ;
Le temps de l’enfance n’étant pas le temps de l’adulte, la résolution des conflits parentaux nécessite une réponse juridique très rapide, ferme, voire contraignante, et très claire quant à la lecture de la loi et l’application de décisions judiciaires, ce qui est souvent difficile.
L’efficacité des mesures, thérapeutiques ou judiciaires dépend surtout de la rapidité avec laquelle la situation sera correctement analysée et prise en charge.
La réflexion sur la protection de l’enfant au cours des séparations parentales conflictuelles passe par un approfondissement des connaissances avec des recherches d’une part sur l’impact de l’exclusion parentale sur la santé au niveau individuel, et d’une part, sur le coût sociétal qu’elle représente. Il sera difficile de faire l’économie d’une réflexion sur l’application des dispositifs législatifs et réglementaires existants, sans s’interroger sur l’application et l’applicabilité de la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale.
La mise en place d’actions et de mesures alternatives pour les trois temps de l’intervention doit également s’appuyer sur une campagne d’information publique ainsi qu’une meilleure formation des intervenants professionnels. Les dispositifs de soutien et d’accompagnement à la parentalité existants pourraient être complétés de façon spécifique en incluant dans le code civil la possibilité pour le juge d’imposer aux parents en instance de séparation un stage de guidance parentale. Le référant désigné par le juge aurait pour mission d’accompagner activement les parents afin qu’ils puissent par eux-mêmes, identifier les causes du conflit, en mesurer les conséquences sur l’enfant et trouver ensemble des solutions.
Dans un cadre juridique très peu contraignant, comme celui de la famille, la libre adhésion des parties prenantes à une charte éthique ou à de bonnes pratiques partagées repose non seulement sur l’efficacité des dispositifs incitatifs mis en place, mais également sur la possibilité offerte à chacun de s’approprier le thème du débat, d’y trouver sa place et de construire sa solution.
Pour tous les intervenants, à commencer par les juges aux affaires familiales, la meilleure solution sera toujours celle qui vient de la sphère privée des parents. C’est aux intervenants professionnels de la sphère publique, notamment aux avocats, qu’il incombe la tâche de les aider à la construire ensemble. Mais faut-il encore que soit affichée une véritable volonté de prévention et de dialogue pour permettre aux intervenants de sortir d’un face à face bipolaire et conflictuel, pour s’engager dans un espace ternaire de négociation et de construction, indispensable à l’expression démocratique, à la citoyenneté des individus, au respect des institutions, quitte à les y contraindre dans l’intérêt supérieur des enfants.
L’ACALPA : http://www.acalpa.org/