Acquisition des congés payés en arrêt de travail : les nouvelles règles après la loi du 22 avril 2024.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-avocate.

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Explorer : # acquisition des congés payés # arrêt maladie # code du travail # droit du travail

Alors que le droit du travail français a subi un véritable bouleversement à la suite des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, le gouvernement s’est emparé du sujet et le Code du travail a été réformé afin d’être conforme au droit européen en matière d’acquisition des congés payés durant les périodes d’arrêt maladie.
L’objet de cet article est de vous préciser ce qui change en matière d’acquisition des congés payés en arrêt de travail la loi du 22 avril 2024.

-

I) Le droit actuel en vigueur depuis le 24 avril 2024.

Pour donner suite à ces arrêts retentissants du 13 septembre 2023, et afin de limiter et encadrer le contentieux qui en résulte, le gouvernement a réalisé un projet de loi sur le sujet dont la version définitive a été adoptée par le Sénat le 9 avril 2024 et par l’Assemblée nationale le 10 avril 2024.

La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 a ensuite été publiée au journal officiel du 23 avril 2024, et est entrée en vigueur le 24 avril 2024.

A) L’acquisition des congés payés durant les périodes d’arrêt maladie.

L’article L3141-5 du Code du travail, en vigueur depuis le 24 avril 2024, prévoit désormais que :

« Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :

[…]

5° Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;

[…]

7° Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel ».

Cette loi a également ajouté un article L3141-5-1 au Code du travail, lequel prévoit que :

« par dérogation au premier alinéa de l’article L3141-3, la durée du congé auquel le salarié a droit au titre des périodes mentionnées au 7° de l’article L3141-5 est de deux jours ouvrables par mois, dans la limite d’une attribution, à ce titre, de vingt-quatre jours ouvrables par période de référence mentionnée à l’article L3141-10 ».

Ainsi, il convient de distinguer les situations selon l’origine de l’arrêt maladie :

  • Lorsqu’un salarié est en arrêt de travail du fait d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, il acquiert 2,5 jours de congés payés par mois, dans la limite de 30 jours ouvrables par période de référence (soit 5 semaines par an) ;
  • Lorsqu’un salarié est en arrêt de travail du fait d’un accident ou d’une maladie d’origine non professionnelle, il acquiert 2 jours de congés par mois, dans la limite de 24 jours ouvrables par période de référence (soit 4 semaines par an).

L’acquisition de congés payés est désormais possible pour toute la durée de l’arrêt maladie, sans limite de durée.

Concernant les intérimaires, ils ont désormais également droit à une indemnité compensatrice de congés payés pour les périodes de suspension de la mission pour accident ou maladie, professionnels ou non, pour l’intégralité de leur durée, ainsi que durant le congé paternité et d’accueil de l’enfant [1].

B) L’information par l’employeur du salarié à son retour d’arrêt maladie.

L’article L3141-19-3, nouvellement créé, dispose que :

« Au terme d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur porte à la connaissance du salarié, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie :
« 1° Le nombre de jours de congé dont il dispose ;
« 2° La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris
 ».

Cet article permet de s’assurer que le salarié a connaissance de ses droits à congés payés dans le mois qui suit sa visite de reprise du travail, et ce en réponse à la position de la Cour de cassation qui considérait que le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne commençait à courir que si l’employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé.

C) Les limites au cumul des congés payés acquis durant les périodes d’arrêt maladie.

Afin de limiter, par un autre moyen, le nombre de congés payés que peut acquérir un salarié durant un arrêt maladie, la loi du 22 avril 2024 a prévu une période de report maximale pour utiliser les congés payés acquis.

1) Période de report de 15 mois pour utiliser les congés payés acquis pendant les congés payés acquis.

Ainsi, le salarié bénéficie d’une période de report de quinze mois pour utiliser les congés payés acquis durant son arrêt maladie, après quoi les congés payés non-pris seront perdus [2].

Un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut fixer une durée de la période de report supérieure à celle prévue à l’article L3141-19-1.

2) Point de départ de la période de report.

Concernant le point de départ de cette période de report, il convient de distinguer selon la durée de l’arrêt :

  • Si la suspension du contrat de travail dure moins d’un an, la période de report débute à la date à laquelle le salarié reçoit, après sa reprise du travail, les informations prévues à l’article L3141-19-3 [3].
  • Si la suspension du contrat de travail dure au moins un an, la période de report débute à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis.
    Lors de la reprise du travail, la période de report, si elle n’a pas expiré, est suspendue jusqu’à ce que le salarié ait reçu les informations prévues à l’article L3141-19-3 [4].

D) Les règles d’application de la loi dans le temps.

Le II de l’article 37 de la loi du 22 avril 2024 prévoit quelques précisions sur les modalités d’application de cette loi dans le temps.

1) Rappel de congés payés acquis entre le 1er décembre 2009 et le 24 avril 2024.

Il est possible de solliciter un rappel des congés payés qui auraient dû être acquis entre le 1er décembre 2009 et le 24 avril 2024.

La loi n’a en revanche pas prévu de rétroactivité pour la suppression de la limite d’un an pour l’acquisition de congés payés durant les périodes d’arrêts de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.

Il n’est donc possible d’intenter une action, pour la période entre le 1er décembre 2009 et le 24 avril 2024, que pour les congés payés qui auraient dus être acquis durant des arrêts maladie d’origine non-professionnelle.

De plus, ce rappel de congés payés pour des périodes déjà écoulées sera limité à 24 jours ouvrables de congés, après prise en compte des jours déjà acquis en application de la précédente législation.

2) Forclusion si l’action n’est pas introduite avant le 24 avril 2026.

Enfin, toute action relative à l’acquisition de congés payés durant des périodes d’arrêt maladie antérieures au 24 avril 2024 doit être introduite, à peine de forclusion, avant le 24 avril 2026.

II) Rappel du droit antérieur à la loi du 22 avril 2024.

L’article L3141-3 du Code du travail dispose que :

« le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ».

Préalablement à la loi du 22 avril 2024 entrée en vigueur le 24 avril 2024, l’article L3141-5 du même code, qui liste les périodes considérées comme du temps de travail effectif pour la détermination du droit à congés payés, prévoyait que seules les périodes d’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle donnait lieu à l’acquisition de congés payés, dans la limite d’un an.

Or, la Cour de cassation, dans des arrêts très commentés du 13 septembre 2023, a considéré que la législation française n’était pas conforme au droit européen en matière d’acquisition de congés payés durant des périodes d’arrêt maladie.

Pour ce faire, la chambre sociale se fondait sur l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui prévoit que tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.

La Cour de cassation a rappelé également que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période.

Les juges de la haute Cour en ont déduit en conséquence que :

- « Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail » [5].

- « Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-5 du Code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail » [6].

Dans un troisième arrêt du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a également statué sur la question de la prescription, considérant que :

« Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé » [7].

Sources :

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Mathilde Fruton Létard élève avocate EFB Paris
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1Article L1251-19 du Code du travail.

[2Article L3141-19-1 du Code du travail.

[3Article L. 3141-19-1 du Code du travail.

[4Article L. 3141-19-2 du Code du travail.

[5Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342.

[6Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638.

[7Cass. soc., 13 septembre 2024, n° 22-10.529 et 22-11.106.

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Discussions en cours :

  • par Pauchet , Le 5 février à 18:57

    Bonjour, pourrait on avoir des exemples de calcul , pour une année de référence avec plusieurs mois de maladie.
    Merci

  • par Frank Lauden , Le 22 octobre 2024 à 19:09

    De précieux conseils.
    Merci

  • par CALLAERT Marleen , Le 16 septembre 2024 à 11:02

    Cher Maître,

    Merci pour vous publications, toujours forts intéressantes.

    Cependant je me permets une question : Avant la Loi en vigueur depuis le 24 avril 2024, j’ai pu lire que "sous réserve d’usage, d’accords de branche, ou de dispositions de la convention collective applicable, le salarié en invalidité n’acquiert aucun droit à congés payés pendant cette période".

    Est-ce exact ? Et qu’en est-il exactement depuis la nouvelle Loi, je n’ai rien trouvé en ce qui concerne cet aspect...?

    Vous remerciant par avance, Cher Maître, pour votre avis éclairé,

  • par lefevre Stephane , Le 26 juillet 2024 à 12:09

    Bonjour,
    Pour les salariés ayant quitté l’entreprise le 30 mai 2023 avec un solde de tout compte signé, peuvent-ils faire la demande pour les congés manquants suite à cette nouvelle loi ?

    Bien cordialement

  • par lilou , Le 10 juin 2024 à 15:28

    Bonjour. et concernant les congés liés à l’ancienneté (4 par an pour mon cas), sont ils acquis pendant un arrêt maladie ? exemple : 3 ans d’arrêt doonc 4 x 3 = 12 congés d’ancienneté à rajouter aux congés payés acquis durant cette même période ?
    merci

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