I – Du plomb dans l’aile pour EuropaCity.
EuropaCity est un projet d’aménagement, impliquant l’artificialisation massive de terres agricoles situées non loin de Paris, pour y construire un quartier d’affaire, des commerces, des loisirs, etc. Des associations s’opposant au projet viennent d’obtenir un premier coup d’arrêt, par suite de la décision du TA de Cergy du 6 mars 2018 (n°1610910 et n°1702621).
Deux moyens très intéressants ont été retenus par le Tribunal, relatifs à la qualité insuffisante de l’étude d’impact.L’un concerne l’étude des émissions de CO2 induites par les déplacements de touristes, l’autre est relatif à l’absence d’étude des effets cumulés de ce projet avec une nouvelle ligne de métro et une de ses stations proches.
Au-delà du « saucissonnage » des études d’impact, bien connu et condamné une fois de plus, les magistrats ont fait l’effort, s’agissant des émissions de CO2, d’investiguer du côté des impacts « de fond » du projet, pendant son fonctionnement.
Trop souvent, l’expérience montre que les études d’impact des projets se limitent en effet à une litanie d’impacts « faibles » ou « négligeables » car n’analysant justement pas le fonctionnement des installations. Les industriels s’en sortent souvent de la sorte, en n’étudiant tout simplement pas ce qui constitue aussi « le dur » de leur impact, pendant la vie du projet.
Il s’agit donc d’un jugement à retenir et capitaliser dans le cadre de nombreux projets dont les impacts sont présentés comme « faibles » du fait de l’absence d’analyse de certaines activités ultérieures :
"Les analyses de l’étude d’impact s’agissant de l’incidence du projet sur la qualité de l’air et, notamment, sur la question des émissions de CO2 induites par les déplacements de touristes par déplacements terrestres ou aériens, eu égard à la proximité de l’aéroport et dans la perspective de la création d’Europacity restent très insuffisantes."
II – L’usine Altéo de Gardanne s’embourbe.
A Gardanne, l’usine Altéo transforme quant à elle la bauxite en oxydes d’aluminium, et rejette depuis des décennies toutes sortes de boues polluées dans la méditerranée.
Pour preuve, en 2015, le Préfet des Bouches-du-Rhône a autorisé cette usine à dépasser les « valeurs limites d’émissions » réglementaires, concernant ses rejets liquides résiduels, jusqu’au 31 décembre 2021.
En clair, il s’agit d’une dérogation aux seuils de polluants que l’on a le droit de rejeter dans la nature pour ce type d’industrie.
Les associations, dont FNE et Sea Shepherd, demandaient le raccourcissement de cette durée de dérogation, et elles ont obtenu partiellement raison dans un jugement qui ressert l’étau autour des industries bénéficiant encore de traitements de faveur (TA Marseille, 20 juillet 2018, n°1610285, n°1610282).
Au regard des « incertitudes » relatives à l’impact à long terme des polluants concernés (arsenic, aluminium, fer…), le Tribunal a décidé de raccourcir la durée de dérogation, qui porte selon lui une atteinte excessive aux intérêts protégés par le Code de l’environnement.
Voilà un jugement, bien que ne condamnant pas les dérogations par principe (l’historique de cette usine est relativement complexe et pesant en ce sens), qui pourra être utilisé pour lutter contre toutes les dérogations excessives en durée et en niveau de pollution :
"Que, dans ces conditions, eu égard à l’existence d’incertitudes techniques résiduelles quant à l’impact environnemental et sanitaire à long terme de substances rejetées dans la mer Méditerranée pour lesquelles une dérogation a été accordée, telle qu’exposée dans les motifs mêmes de l’arrêté litigieux, ainsi qu’à la nécessité de mieux protéger, au plus tôt, les intérêts mentionnés aux articles L. 511-1 et L. 211-1 du code de l’environnement, auxquels la dérogation porte une atteinte excessive en terme de durée, il y a lieu de ramener au 31 décembre 2019 le terme de la dérogation accordée, en ce qui concerne les valeurs limites d’émission tant de l’arsenic, de l’aluminium, du fer et du pH, que de la DBO5 et de la DCO, substances pour lesquelles la recherche du traitement de finition par l’exploitant doit être désormais accélérée, étant observé qu’est attendue, en outre, l’intervention, au début du deuxième semestre 2018, l’arrêté préfectoral visant à réduire les valeurs limites d’émission des substances DCO, aluminium, arsenic et fer, avec suppression, dès sa date d’entrée en vigueur, de la dérogation relative au fer."
III – La hiérarchie des modes de traitement des déchets poursuit son ascension normative.
L’année 2017 a vu l’utilisation contentieuse efficace, fait assez rare, de la hiérarchie des modes de traitement des déchets.
Ce contentieux, notamment porté par l’association Zero Waste France, est relatif à l’autorisation par le Préfet de Charente-Maritime d’une usine d’incinération des déchets, accolée à une usine de tri mécano biologique (sur-tri des ordures ménagères résiduelles, technologie qualifiée de « non-pertinente » par la loi de transition énergétique du 17 août 2015).
Cette hiérarchie des modes de traitement des déchets, instaurée à l’article L541-1 II du Code de l’environnement, est la norme de référence depuis des décennies pour guider l’action des pouvoirs publics et des parties prenantes du secteur, en matière de gestion des déchets. En substance, elle énonce qu’il convient en priorité de réduire les déchets à la source, les réemployer et les recycler, et seulement par défaut les envoyer en décharge ou en incinération.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux (12 décembre 2017, n°17BX01387) a annulé une de ces deux usines (le tri mécano biologique) en référence à cette norme dont beaucoup s’accordaient (à dessein ?) jusque-là pour affirmer qu’elle n’a pas de valeur juridique.
En l’occurrence, les magistrats se sont appuyés sur cette hiérarchie pour faire prévaloir le tri à la source des biodéchets par préférence à leur sur-tri ultérieur (en général inefficace et couteux – attention, rien à voir avec les centres de tri « classique » des déchets secs recyclables comme les emballages) :
"Enfin, si le SIL soutient, sans d’ailleurs en apporter la démonstration, que les procédés d’exploitation dans certaines des unités de tri mécano-biologique les plus récentes permettent d’obtenir un compost d’excellente qualité, une telle circonstance, alors au surplus qu’il n’est aucunement établi que l’unité d’Echillais mettrait en oeuvre de tels procédés, n’est pas de nature à remettre en cause l’énoncé, par les dispositions précitées du code de l’environnement, de la hiérarchie en matière de prévention et de gestion des déchets selon laquelle le tri à la source doit être préféré au tri mécano-biologique."
Cette hiérarchie des modes de traitement est donc promise, dans un contexte de transition vers une économie circulaire, à de nombreux et intéressants développements : annuler les soutiens financiers non « calés » selon cette hiérarchie, faire condamner des entreprises privilégiant le modèle du « tout jetable » à celui du réutilisable, annuler des usines d’incinération ou des décharges inutiles par rapport aux potentiels de progrès dans le compostage / recyclage (Cf. usine d’incinération d’Ivry-Paris 13), etc.
IV – Pas de raisons impératives d’intérêt public majeur à construire le nouveau centre commercial Val Tolosa.
Dans l’Ouest, un énième projet de centre commercial dénommé pour l’occasion « Val Tolosa » vient de subir un sérieux coup d’arrêt (CAA Bordeaux, 13 juillet 2017, n°16BX01364).
En l’occurrence, le projet amenant là-encore une artificialisation importante de terres agricoles, impliquait la destruction d’espèces protégées. Pour ce faire, les aménageurs doivent obtenir une dérogation à l’interdiction de détruire ce type d’espèces. C’est le Préfet de la Haute-Garonne qui a cette fois délivré le sésame, contesté par des associations dont France Nature Environnement Midi-Pyrénées.
Pour obtenir cette autorisation de détruire des espèces protégées, les projets doivent respecter plusieurs conditions listées à l’article L411-2 du Code de l’environnement, et en particulier être réalisés « dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».
La question qui se pose est donc la suivante : un centre commercial dans une zone déjà bien couverte en centres commerciaux constitue-t-il une « raison impérative d’intérêt public majeur » ? Réponse très claire de la part des juges : non.
Les porteurs du projet ont tout tenté pour défendre leur centre commercial et en particulier l’argument des emplois à la clé… Rien n’y a fait, et la Cour a confirmé le jugement du TA de Toulouse qui avait déjà annulé cette autorisation :
"En second lieu, le SCOT de la Grande agglomération toulousaine, après avoir analysé l’offre commerciale dans ce secteur, a relevé que l’offre en grands centres commerciaux apparaissait suffisamment structurée pour répondre à la demande des prochaines années et a d’ailleurs préconisé de limiter, s’agissant de la commune de Plaisance-du-Touch, le développement des pôles commerciaux existants ou futurs. En outre, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ce projet n’est pas soutenu par l’ensemble des acteurs institutionnels locaux. A ce titre, le conseil départemental a estimé que ce projet se fondait sur des études obsolètes remontant à 2005 et qu’il ne répondait plus désormais aux besoins des consommateurs. Le comité syndical du syndicat mixte d’études de l’agglomération toulousaine (SMEAT) a également émis un avis défavorable au projet compte tenu des risques qu’il présenterait pour le commerce de proximité, les centres urbains et la saturation du réseau routier qu’il pourrait engendrer. Il résulte enfin de l’instruction que l’ouest toulousain est desservi en grandes surfaces, avec un pôle majeur existant sur la commune de Colomiers, située au nord de la commune de Plaisance-du-Touch, ainsi que des pôles secondaires répartis de manière équilibrée dans le secteur concerné.
Dans ces conditions, et en dépit de la création de plus de 1.500 emplois qu’il pourrait engendrer, ce projet ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur suffisante pour justifier, en l’espèce, l’atteinte portée par ce projet, comme indiqué au point 9, au maintien dans un état de conservation favorable des populations d’espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle alors même que la conception architecturale du projet aurait intégré des préoccupations environnementales. Par suite, la dérogation accordée par l’arrêté du 29 août 2013 ne peut être regardée comme justifiée par l’un des motifs énoncés au c) du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement."
Nous constatons donc que les juridictions tiennent une analyse de plus en plus stricte de ces fameuses « raisons impératives d’intérêt public majeur », expression juridique qui se veut au demeurant très claire, pour ce type de projets particulièrement douloureux pour la biodiversité.
Plus globalement, il s’agit de signaux encourageants pour une application effective du droit de l’environnement dans les prétoires.