1/ L’arrêt du 6 décembre 2023.
Un salarié, licencié pour faute, soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où il aurait été annoncé avant même l’envoi de la lettre recommandée avec avis de réception.
A l’appui de sa demande, l’intéressé se fonde sur un email d’un Responsable de paie adressé à son collègue du service des Ressources humaines, avant la notification du licenciement, au sujet d’un indu à récupérer sur son solde de tout compte :
« Une mutation rétroactive a été finalisée dans Pléiades et cela a entraîné un calcul de paie sur 4 mois sur la nouvelle société. Nous regardons comment récupérer l’indu car celui-ci est sur l’ancien employeur (sinon nous récupérerons sur le STC) ».
Selon le salarié, en évoquant le « STC » (acronyme désignant le solde de tout compte), l’employeur avait nécessairement anticipé la rupture de son contrat de travail.
La Cour d’appel de Poitiers [1] suit son analyse, aux motifs suivants :
« Les termes employés par M. [H] ne laisse planer aucun doute quant au fait qu’il connaissait la décision de licenciement de M. [S] dès le 1er octobre 2018 et que cette décision n’était pas, dans son esprit, une hypothèse mais une certitude ».
L’arrêt est cassé au visa de l’article L1232-6 du Code du travail, selon lequel :
« Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.
Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.
Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué (…) ».
Pour la Cour de cassation, il résulte de ce texte que la rupture du contrat de travail, en l’absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Or, ajoute la Cour de cassation, les propos tenus par le Responsable de paie dans son email relatif à une possible répétition de l’indu, n’émanaient pas du titulaire du pouvoir de licencier, ce dont il résultait que l’employeur n’avait pas manifesté la volonté de mettre fin au contrat de travail.
2/ Les précédents jurisprudentiels.
Comme la Cour de cassation a pu le juger, est sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’une salariée notifié par lettre du 13 mars 1990, alors que l’intéressée s’était vu interdire l’accès à son bureau dès le 2 mars 1990 [2].
De même, une cour d’appel, ayant constaté qu’avant l’entretien préalable les employés de la banque signalaient que le directeur d’agence ne faisait plus partie du personnel, qu’il avait été licencié et remplacé, a pu décider que son licenciement ne procédait pas d’une cause réelle et sérieuse [3].
La jurisprudence de la Cour de cassation n’est cependant pas solidement établie sur la question du licenciement verbal.
En effet, la cour a pu juger que la décision prise avant l’entretien préalable et communiquée par note interne à d’autres salariés constitue une irrégularité de procédure mais n’a pas pour effet de priver la rupture de cause réelle et sérieuse [4].
Un arrêt antérieur avait également considéré que la seule circonstance pour l’employeur, avant l’entretien préalable, de rechercher un nouveau salarié, n’est pas de nature à rendre irrégulière la procédure de licenciement [5].
Les juges du fond sont également partagés sur la qualification à donner aux agissements de l’employeur faisant part de sa volonté de se séparer du salarié, directement ou indirectement, avant la notification du licenciement.
A titre d’exemple, la désactivation du badge d’accès aux locaux et l’attribution de ses fonctions à d’autres salariés avant l’engagement de la procédure de licenciement ne suffisent pas à caractériser la volonté de l’employeur de licencier le salarié avant la tenue de l’entretien préalable [6].
En revanche, la divulgation faite par le dirigeant sur sa volonté de rompre le contrat révèle la décision de licencier le salarié avant le déclenchement de la procédure de licenciement, et la rupture s’analyse alors en un licenciement verbal et donc abusif [7].
3/ Les sanctions du licenciement verbal.
Le licenciement verbal, malgré son irrégularité, entraîne la rupture du contrat de travail et fixe le point de départ du préavis [8].
Il en résulte que l’employeur a l’obligation de tenir à la disposition du salarié - ou de lui adresser - les documents de fin de contrat, dont l’attestation Pôle Emploi, le certificat de travail et le reçu pour solde de tout compte.
Le licenciement verbal ne pouvant être régularisé par l’envoi postérieur d’une lettre de rupture, cette mesure est nécessairement sans cause réelle et sérieuse [9].
Le montant de l’indemnité mise à la charge de l’employeur oscille entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau figurant à l’article L1235-3 du Code du travail (« barème Macron »).
Cette indemnité, exprimée en mois de salaire brut, varie selon l’ancienneté du salarié et le nombre de salariés dans l’entreprise (moins de 11 ou 11 et plus).
Une cour d’appel ne peut pas débouter un salarié de ses demandes d’indemnités consécutives à son licenciement au motif que les faits qui lui étaient reprochés étaient graves, alors qu’elle avait retenu que le salarié avait été licencié verbalement [10].