La Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la contrefaçon d’un open source le 8 janvier 2024.
Cette décision devrait interpeller aussi bien les prestataires informatiques qui intègrent des open source dans leur pratique, qu’aux clients qui vont en bénéficier !
Quel était le contexte ?
En 2005, un appel d’offres a été remporté par la société Orange pour la fourniture d’une solution de gestion d’identité. Dans le cadre de sa prestation commerciale, Orange a utilisé, sans verser de redevances, un logiciel édité par la société Entr’Ouvert, sous forme de licence libre GPL (General Public License).
Que s’était-il passé ?
En 2011, estimant que l’utilisation par Orange de son logiciel était contrefaisante, la société Entr’Ouvert a procédé à une saisie-contrefaçon dans les locaux d’Orange puis l’a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris pour contrefaçon et parasitisme.
En 2019, les juges n’ont pas fait droit aux demandes de la société Entr’Ouvert, au motif qu’un manquement à un contrat de licence n’ouvrait droit qu’à une action contractuelle, distincte de la contrefaçon.
En appel, les juges n’ont toujours pas retenu la contrefaçon mais seulement le parasitisme. L’éditeur a donc formé un pourvoi en cassation pour que la contrefaçon soit reconnue.
C’est ainsi que la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel. L’affaire a donc dû être rejugée.
Qu’ont retenu les magistrats ?
La reconnaissance d’une action en contrefaçon en cas de violation d’une licence.
Cet arrêt est la fin d’une saga jurisprudentielle longue de plus d’une décennie. La cour d’appel fait ici application d’un arrêt de la CJUE (du 18 décembre 2019) qui a retenu que la violation d’un contrat de licence ouvre le droit à une action en responsabilité délictuelle, soit une action en contrefaçon.
La reconnaissance du droit d’auteur sur le logiciel libre.
La cour d’appel estime que le logiciel développé par l’éditeur relève bien de la protection par le droit d’auteur. En effet, la société a fait preuve d’un effort personnalisé. La solution a requis dix ans de travail et permet surtout de faciliter le travail ultérieur d’intégration, ce qui la distingue des autres logiciels ayant la même nature.
La violation du contrat de licence.
Selon l’article 2 du contrat de licence, dans le cas où une solution est fondée sur le logiciel libre, celle-ci doit être mise à disposition à titre gratuit. Selon l’article 3 du contrat de licence, dans le cas d’une distribution du logiciel libre, le distributeur doit communiquer le code source lors d’une modification du logiciel. Selon les articles 4 et 10, en cas d’incorporation d’une partie du logiciel libre dans d’autres programmes libres, il faut demander l’autorisation de l’auteur.
La Cour constate que la solution développée par Orange a été fondée sur une partie du logiciel libre, en ne respectant pas le principe de commercialiser le tout à titre gratuit, ni la communication du code source, ou encore l’autorisation de l’auteur.
Orange a donc violé les conditions du contrat de licence et commis des actes de contrefaçon devant être indemnisés.
La reconnaissance du préjudice lié à la contrefaçon.
La cour constate enfin pour chiffrer le préjudice de la contrefaçon les points suivants :
- La société éditrice avait émis une proposition commerciale à Orange afin que lui soit versé une redevance suite à l’utilisation de son logiciel.
- Orange ayant refusé, il en résulte un manque à gagner conséquent eu égard à la longueur du projet, son coût pour l’Etat, et son ampleur.
- Aussi, il n’a pas été reconnu l’économie d’investissements au titre du préjudice réparable (ce dernier ayant été déjà indemnisé par la voie du parasitisme).
- Le préjudice moral a aussi été reconnu eu égard notamment aux précédentes relations contractuelles qui sont intervenues.
- Le préjudice est chiffré à hauteur de 800 000 euros.
Ce qu’il faut retenir.
- Les logiciels libres ne sont pas libres de droit d’auteur
- Pour utiliser et exploiter des logiciels libres, il est indispensable de respecter les termes de la licence de ce logiciel.