Pour rappel, le régime actuel du report d’imposition permet de fixer à un instant donné une assiette de plus-value dont l’imposition est reportée à la survenance d’un évènement prévu par la loi. Selon le BOFIP, le fait générateur de la plus-value d’apport étant constitué par cet apport, les règles d’assiette applicables sont celles en vigueur lors de l’apport . Aussi, les règles fiscales qui seraient mises en place ultérieurement à cet apport seraient sans incidence sur l’imposition de la plus-value initiale mise en report.
Les deux questions préjudicielles posées à la Cour présentant des similitudes, elles ont été jointes. Dans les deux affaires, l’administration fiscale avait imposé les plus-values d’apport dont le report prenait fin en retenant le taux applicable à l’année de la cession mais en refusant de leur appliquer des abattements pour durée de détention, alors même que les deuxièmes plus-values générées, celles des titres reçus lors de l’apport, pouvaient, elles, en bénéficier.
Les deux questions préjudicielles avaient pour but de savoir si les dispositions de la directive dite « Fusion » pouvaient conduire à traiter différemment les deux plus-values, celle d’apport et celle de la cession ultérieure des titres reçus, et notamment quant à l’application d’abattements pour durée de détention.
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà eu à se prononcer sur le mécanisme du report. Dans une précédente affaire , elle avait indiqué que l’objectif de la directive « Fusion » et notamment de son article 8 était, non pas de soustraire la plus-value à l’imposition des Etats membres, mais d’interdire de considérer cette opération d’échange comme étant le fait générateur de l’imposition.
A ce stade, on remarquera d’ores et déjà que le BOFIP, en ce qu’il énonce clairement que « le fait générateur de la plus-value est constitué par l’apport », était en contradiction avec l’objectif de la directive.
Dans les affaires « Jacob » et « Lassus », la Cour avait indiqué que, la directive ne contenant pas de dispositions appropriées aux fins de mise en œuvre de son article 8, elle laissait aux Etats membres une certaine marge de manœuvre concernant cette mise en œuvre.
La Cour relevait alors qu’une mesure consistant à constater la plus-value d’apport et à reporter le fait générateur de son imposition à la survenance d’un évènement futur constituait uniquement une technique respectant le principe de neutralité fiscale établi par l’article 8 puisqu’elle ne donnait pas lieu à imposition de la plus-value d’apport.
Dans sa récente réponse aux questions préjudicielles en date du 18 septembre 2019, la Cour souligne désormais qu’un tel report du fait générateur implique nécessairement que l’imposition de la plus-value d’apport suive les règles en vigueur à la date du fait générateur, soit à l’occasion de la fin du report, car elles constituent les mêmes conditions dont aurait bénéficié la plus-value d’apport si l’échange ne s’était pas produit.
Aussi, la Cour de justice de l’Union européenne expose clairement qu’il y a lieu d’interpréter les dispositions de la directive en ce sens que, dans le cadre d’une opération d’échange, les deux plus-values doivent suivre le même traitement fiscal, tant en matière d’assiette que de taux.
Au vu de cette décision, il apparaît aujourd’hui que des contribuables qui se sont vu appliquer d’anciens régimes fiscaux, sans par exemple pouvoir bénéficier des abattements pour durée de détention, peuvent désormais envisager d’introduire une réclamation pour bénéficier de l’application du régime fiscal en vigueur lors de la fin du report . Aussi, un contribuable qui se serait vu appliquer un régime antérieur au prélèvement forfaitaire unique et dont le report prend fin sous l’empire de la flat tax aurait tout intérêt à introduire une telle réclamation.
Suite à la décision de la Cour de justice, le cabinet d’avocats du barreau de Paris a déposé une question prioritaire de constitutionnalité [1] pour savoir si la solution retenue doit être cantonnée aux opérations visées par la directive, à savoir les seules situations transfrontalières, ou pourront être généralisées pour englober des opérations ne mettant en jeu que des entités françaises.
Au vu de ces éléments, le législateur français aurait tout intérêt à procéder à une réforme du régime du report, ce qui pourrait conduire à sa suppression pure et simple au profit du maintien du seul mécanisme du sursis, ce qui rendrait ainsi le régime d’imposition des plus-values en vigueur plus simple et cohérent qu’il ne l’est aujourd’hui.